Gabon – L’ARCEP impliquée dans la surveillance et la répression d’opposants politiques

Des éléments récemment révélés au grand public gabonais mettent en évidence les dérives autoritaires du régime militaire en place depuis le 30 août 2023, en particulier en ce qui concerne l’ARCEP.

Gabon – L’ARCEP impliquée dans la surveillance et la répression d’opposants politiques
Gabon – L’ARCEP accusée de surveiller et de réprimer les opposants. Par Jocksy Andrew Ondo-Louemba. Journaliste chez Mondafrique en charge du Gabon. Auteur de deux ouvrages : Something is wrong (2015) et Mauvaises Nouvelles, chroniques du Gabon (2020). Son travail a été cité dernièrement dans The Handbook of African Intelligence Cultures de Ryan Shaffer (Mars 2023).

Le journaliste et écrivain gabonais Jockey Andrew Ondo-Louemba, spécialisé dans les questions militaires et de sécurité nationale, a révélé que l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP), qui devrait normalement réguler les télécommunications au Gabon, serait en réalité impliquée dans la surveillance et la répression des voix dissidentes et des opposants politiques. Cette affaire suscite de graves inquiétudes quant au respect des libertés fondamentales au Gabon sous l’ère post-Ali Bongo Ondimba. Pour rappel, l’une des raisons ayant motivé le coup du 30 août 2023 au Gabon était notammen t les aspirations démocratiques étouffées : les forces vives du pays étaient réprimées par le pouvoir en place, alimentant des aspirations démocratiques non réalisées.

Sous l’ère de la junte militaire, tout a commencé avec Judes Bertrand Mekame Mba, un Gabonais ordinaire qui a un temps été proche de Jean Ping et membre de son état-major (bien que cela soit contesté aujourd’hui par les proches de Jean Ping). Sur les réseaux sociaux, Judes Bertrand Mekame Mba a critiqué le régime d’Ali Bongo, défendu puis critiqué l’influenceuse ivoirienne Emmanuelle Keita, avant de devenir un fervent défenseur de Brice Oligui Nguema, président de la Transition, et de Mme Laurence Ndong, la ministre de la communication et des médias, après avoir soutenu Jean Eyeghe Ndong, homme politique, dernier 1ᵉʳ ministre de feu Omar Bongo Ondimba et ancien Haut Commissaire de la République sous Ali Bongo Ondimba. Il est difficile de trouver une logique dans ces prises de position, à part l’opportunisme qui semble évident aux yeux de tous.

Judes Bertrand Mekame Mba et Princesse de Souba

Alors qu’il était en conflit avec une Gabonaise nommée Princesse de Souba sur les réseaux sociaux (Nelly Ngabima à l’état civil), Mekame Mba a lancé des menaces à la jeune femme : « Toi princesse de Souba, le jour où tu remettras les pieds au Gabon, saches que moi, je vais te faire arrêter. Je vais te prouver que moi, je travaille pour le CTRI […]. J’espère que tu as suffisamment d’argent pour vivre à l’étranger et de ne pas venir au Gabon parce que le jour où tu débarques, moi Judes [Bertrand Mekame Mba], je te ferai enfermer ».

Des opposants et dissidents mis sur écoute puis livrés « aux services ».

Ces menaces ont suscité des réactions, notamment d’un cadre de l’ARCEP, qui a confirmé les dangers qui pèsent sur Nelly Ngabima en cas de retour au Gabon. De plus, il a révélé le rôle de l’ARCEP dans le dispositif de surveillance et de répression au Gabon. Cet employé de l’ARCEP a déclaré : « C’est chez nous, dans notre pôle, qu’on envoie des informations aux services de renseignements et à partir de là, ils envoient des agents vous prendre ». Des propos qui font froid dans le dos ! – Ce cadre de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) a aussi mentionné qu’ils étaient capables de manipuler les informations pour que certaines personnes ne soient pas repérées par les services de renseignement gabonais, moyennant finances bien sûr. Corruptions quand tu nous tiens !

Persistance d’un système répressif

Ce dispositif de surveillance des citoyens gabonais jugés perturbateurs ou nécessitant une surveillance soulève des questions, surtout parce que l’agent de l’ARCEP a clairement désigné le commanditaire de cette pratique comme étant « la grande maison« . Cette entité semble manifestement être la présidence de la République, selon de nombreux observateurs. Cela démontre qu’on ne délaisse pas une méthode qui a fait ses preuves pendant 56 ans.

L’alliance ARCEP, SILAM : Une grande menace pour la liberté

Selon l’analyse de Jocksy Andrew ONDO-LOUEMBA, un climat de peur similaire à celui du régime précédent persiste au Gabon sous la junte militaire dirigée par Brice Clotaire Oligui Nguema (ancien chef du service de renseignement de la Garde Républicaine, Direction Générale des Services Spéciaux (DGSS). Des faits comme des syndicalistes arrêtés et rasés les têtes ; deux jeunes assassinés, le premier à Libreville, Karl Stecy Akue Angoué (30 ans) et le second, Lionel Rokewa, à Port-Gentil, pour avoir enfreint le couvre-feu ; il y a de cela quelques jours, deux syndicalistes de l’éducation nationale, Alain Mouangouadi et Thierry Nkoulou, ont été arrêtés le 1ᵉʳ mars 2024, puis libérés deux jours plus tard. Ces évènements sont très préoccupants pour la démocratie et les droits de l’homme au Gabon, car ils témoignent d’une répression accrue des voix dissonantes et d’une atteinte sans conteste des droits des humains.

Les outils au service de l’étouffement des populations

L’organigramme de l’ARCEP révèle la présence d’un personnage peu connu du grand public : Jean-Charles Solon. Ce Français d’origine Malgache est en réalité le maître des écoutes présidentielles depuis de nombreuses années au Gabon, grâce au Silam (centre d’écoutes téléphoniques de l’État gabonais installé dans l’enceinte de la présidence). Son activité : transmettre quotidiennement au Chef de l’État, sous forme de plis, les retranscriptions d’écoutes téléphoniques, d’interceptions de SMS ou de conversations sur WhatsApp, ainsi que les résultats d’espionnage, d’échanges de courriels ou sur les réseaux sociaux. En 2019, il s’est vu confier un rôle important au sein de l’ARCEP en tant que membre du conseil de régulation. 

Signe d’une dictature ?

Les écoutes téléphoniques sont utilisées pour surveiller et réprimer les opinions dissidentes, portant ainsi atteinte à la liberté d’expression et à la vie privée des citoyens. De plus, l’existence d’alliances informelles entre l’ARCEP, le Silam et certains activistes soulève des questions sur l’indépendance et l’impartialité de ces organismes vis-à-vis du respect des droits fondamentaux des citoyens. Ce n’est certainement pas en continuant les méthodes du système décrié et rejeté par la majorité des Gabonais que ces derniers vont se sentir en sécurité et libres. Tout au contraire !

Cette situation évoque les pratiques observées dans les pays d’Europe de l’Est pendant la guerre froide (Roumanie, Pologne, République fédérale allemande (RFA, etc.) où les régimes autoritaires recouraient aux services de renseignement pour surveiller et réprimer non seulement les simples citoyens, mais aussi leurs opposants politiques. Lorsque les paroles et les actions ne concordent pas réellement, il y a lieu de s’inquiéter, il y a anguille sous roche. Et en six mois de Transition, ce constat est plus que manifeste.

Par Jocksy Andrew ONDO-LOUEMBA /Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME
14/03/224

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