Dans l’effervescence pré-référendaire, le Gabon se trouve à la croisée des chemins. Le scrutin d’octobre, censé entériner une nouvelle ère démocratique, soulève paradoxalement plus de questions qu’il n’apporte de réponses.
Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | Date : 18 septembre 2024
L’opacité constitutionnelle, un déni démocratique ?
Le processus d’élaboration de la nouvelle constitution gabonaise s’apparente à une véritable boîte noire, hermétique aux regards extérieurs. Cette opacité, loin d’être anodine, sape les fondements mêmes de l’exercice démocratique que le référendum est censé incarner. Comment, en effet, demander aux citoyens de se prononcer sur un texte dont ils ignorent la teneur ?
Jean Delors Biyogue Bi Ntougou, membre éminent du comité constitutionnel, a jeté un pavé dans la mare le 1ᵉʳ août 2024 en déclarant : « Moi, j’appelle à voter oui parce que j’ai des éléments portant sur le contenu de l’ébauche de la nouvelle Constitution. » Cette assertion sibylline, loin de rassurer, a exacerbé les tensions. Elle révèle une asymétrie d’information flagrante entre les initiés du pouvoir et le peuple souverain, censé être le destinataire ultime de ce texte fondamental.
Cette situation kafkaïenne soulève des interrogations légitimes sur la nature réelle du processus en cours. S’agit-il d’une véritable refondation démocratique ou d’un simple replâtrage institutionnel visant à légitimer a posteriori le coup d’État du 30 août 2023 ? Le mutisme des autorités sur le contenu précis du projet constitutionnel alimente toutes les spéculations et nourrit un climat de méfiance peu propice à l’adhésion populaire.
L’absence de débat public sur les grandes orientations du texte est particulièrement problématique. Dans une démocratie mature, l’élaboration d’une nouvelle constitution devrait être l’occasion d’un vaste dialogue national, impliquant toutes les composantes de la société civile. Or, le huis clos dans lequel semble se dérouler ce processus crucial rappelle davantage les pratiques des régimes autoritaires que celles d’une démocratie en devenir.
Bio : Delors BIYOGUE BI NTOUGOU
Jean Delors BIYOGUE BI NTOUGOU est un acteur politique gabonais au parcours complexe. Docteur en sciences sociales et économiques, spécialisé en sciences politiques, il s’est d’abord présenté comme candidat à l’élection présidentielle du 26 août 2023 au Gabon.
Après le coup d’État militaire du 30 août 2023 qui a renversé le régime d’Ali Bongo Ondimba, BIYOGUE BI NTOUGOU s’est rallié aux nouvelles autorités. Le 8 novembre 2023, il a été nommé président du Conseil d’Administration de l’Agence gabonaise de sécurité alimentaire par le gouvernement de transition, lors d’un Conseil des ministres présidé par Brice Clotaire Oligui Nguema, le chef de la junte militaire.
Son engagement auprès du nouveau régime s’est encore renforcé le 7 mai 2024, lorsqu’il a été désigné membre du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), chargé de mettre en place un Comité constitutionnel national.
Ces nominations successives font de Jean Delors BIYOGUE BI NTOUGOU un acteur clé du régime de transition militaire en place depuis un an au Gabon. Sa trajectoire, passant d’opposant à soutien du nouveau pouvoir, invite à considérer ses prises de position avec un regard critique, en tenant compte de son implication directe dans les structures du régime actuel.
Les militaires, nouveaux maîtres du jeu politique gabonais ?
L’omniprésence des forces armées dans le processus de transition suscite des interrogations croissantes sur la nature réelle du pouvoir en place à Libreville. Si l’intervention militaire du 30 août 2023 a été initialement accueillie avec soulagement par une partie de la population, lasse des dérives du régime Bongo, la prolongation de la tutelle kaki sur les institutions civiles soulève désormais de sérieuses inquiétudes.
Le général Brice Clotaire Oligui Nguema, figure de proue du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), cristallise ces ambiguïtés. Présenté à l’origine comme un simple garant de la stabilité durant la période transitoire, il affiche aujourd’hui sans ambages ses ambitions présidentielles. Cette métamorphose d’un « arbitre » autoproclamé en acteur central du jeu politique interroge sur la sincérité des engagements initiaux de « rendre le pouvoir aux civils ».
La défense par Jean Delors Biyogue Bi Ntougou du droit du général Oligui Nguema à se présenter à l’élection présidentielle illustre les contorsions intellectuelles nécessaires pour justifier cette situation paradoxale. L’argument selon lequel « aucun texte n’interdit à un militaire de briguer la magistrature suprême » fait fi des principes élémentaires de séparation des pouvoirs et de neutralité des forces armées dans le processus politique.
Cette militarisation rampante des institutions pose la question cruciale de l’indépendance réelle des organes de transition. Le comité constitutionnel, censé être le creuset d’une nouvelle ère démocratique, n’est-il pas in fine qu’une chambre d’enregistrement des desiderata de la junte ? La « coopération civilo-militaire » vantée par certains observateurs ne masque-t-elle pas une mise sous tutelle de fait de la société civile ?
Un bilan de transition en demi-teinte
Le tableau idyllique dressé par Jean Delors Biyogue Bi Ntougou de la transition gabonaise mérite d’être nuancé à l’aune des réalités du terrain. Si certaines avancées sont indéniables, notamment en matière sociale avec la revalorisation de la situation des retraités ou l’amélioration du système de Sécurité sociale, l’ampleur réelle des changements structurels reste à démontrer.
La rhétorique du « pays en chantier » et de la « paix sociale » brandie par les tenants du pouvoir occulte les défis colossaux auxquels le Gabon reste confronté. La diversification d’une économie encore trop dépendante des hydrocarbures, la lutte contre une corruption endémique ou encore la réduction des inégalités criantes qui minent le tissu social gabonais sont autant de chantiers titanesques qui nécessiteront bien plus qu’une simple refonte constitutionnelle.
L’absence de mouvements sociaux d’envergure, présentée comme un gage de stabilité, peut également être interprétée de manière moins favorable. Ne traduit-elle pas plutôt un contrôle accru sur la société civile, une forme de musellement des voix dissidentes sous couvert de préservation de l’unité nationale ? La « coopération civilo-militaire » vantée par les autorités de transition soulève des interrogations légitimes sur l’équilibre réel des pouvoirs au sein des institutions intérimaires.
Le bilan économique de la transition demeure, quant à lui, en demi-teinte. Si certains investissements dans les infrastructures sont salués, l’impact réel sur le quotidien des Gabonais reste à évaluer. La persistance de problématiques structurelles comme le chômage des jeunes ou la précarité dans les zones rurales tempère l’enthousiasme affiché par certains observateurs complaisants.
Le référendum, ultime test de crédibilité
Le référendum constitutionnel d’octobre s’annonce comme l’heure de vérité pour les autorités de transition. Au-delà de la simple approbation d’un texte, c’est la légitimité même du processus entamé le 30 août 2023 qui sera jugée par les urnes. L’enjeu est de taille : transformer une prise de pouvoir par la force en un mandat populaire pour refonder les institutions.
Les promesses de limitation du nombre de mandats présidentiels et de garantie de l’alternance politique, présentées comme des avancées majeures par Jean Delors Biyogue Bi Ntougou, devront être scrutées à la loupe. L’intangibilité de ces dispositions, si elle se confirmait, pourrait effectivement marquer une rupture significative avec les pratiques du passé. Toutefois, l’histoire récente du continent africain regorge d’exemples de constitutions taillées sur mesure pour perpétuer le pouvoir en place sous des apparences démocratiques.
Le processus d’adoption de la constitution soulève également des questions sur la répartition effective des pouvoirs. Le rôle consultatif attribué au Parlement, dont les recommandations doivent être validées par les autorités militaires, interroge sur la nature réellement démocratique de l’exercice. La décision de soumettre le texte à référendum, présentée comme une mesure de légitimation populaire, ne saurait à elle seule garantir le caractère inclusif et transparent du processus constitutionnel.
L’organisation même du scrutin sera scrutée de près par les observateurs nationaux et internationaux. La crédibilité du processus reposera sur des éléments tangibles : transparence dans la composition et le fonctionnement des bureaux de vote, accès équitable des différentes sensibilités politiques aux médias durant la campagne, présence d’observateurs indépendants, etc. Le spectre des irrégularités qui ont entaché les scrutins passés plane sur cette consultation, test crucial pour la crédibilité des nouvelles autorités.
Au-delà des frontières gabonaises, ce référendum revêt une importance capitale pour toute la sous-région. Dans un contexte marqué par la multiplication des coups d’État militaires en Afrique de l’Ouest et centrale, l’expérience gabonaise est observée avec attention. Réussite, elle pourrait offrir un modèle de transition ordonnée du pouvoir militaire vers un régime civil. Échec, elle ne ferait que conforter les sceptiques sur la capacité des juntes à orchestrer un véritable retour à l’ordre constitutionnel.
In fine, le référendum d’octobre place les Gabonais face à un dilemme cornélien. Approuver une constitution dont ils ignorent largement la teneur, au risque de cautionner une possible confiscation du pouvoir ? Ou rejeter le texte, au risque de prolonger une période d’incertitude institutionnelle ? Entre Charybde et Scylla, le peuple gabonais devra naviguer à vue, dans des eaux constitutionnelles pour le moins troubles.