De promesse de changement, la transition gabonaise s’est transformée en un théâtre de détournements et de népotisme. Le régime militaire du général Oligui Nguema reproduit les erreurs du passé, plongeant le pays dans une crise sans fin.
Par Anna Marie DWORACZEK-BENDOME | 6 janvier 2025
Audrey Christine Chambrier !
Audrey Christine Chambrier, ancienne directrice générale de la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (CNAMGS), incarne à elle seule les dérives du nouveau régime. Protégée par son statut d’épouse d’un membre influent du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), elle a bénéficié d’une tribune sur Gabon 24, une chaîne publique, pour clamer son innocence face aux accusations de malversations.
Pendant qu’elle se défendait sur un plateau télévisé, des centaines de Gabonais luttaient pour survivre avec moins de 2 dollars par jour. Son mariage somptueux, estimé à 40 millions de francs CFA, a suscité des questions légitimes sur l’origine des fonds.
Mais l’affaire Chambrier n’est que la partie émergée de l’iceberg. Elle révèle un système où l’impunité est la règle pour ceux qui sont proches du pouvoir. Alors que les citoyens ordinaires subissent les conséquences des dysfonctionnements de la CNAMGS, les élites de la transition continuent de vivre dans l’opulence, protégées par leurs connexions politiques.
Une défense qui méprise la réalité gabonaise
Audrey Christine Chambrier, face aux accusations de détournement de fonds de la CNAMGS, a choisi la posture de l’indignation vertueuse. « Je n’ai pas volé d’argent à la CNAMGS », a-t-elle déclaré, fixant la caméra avec une assurance qui frise l’arrogance. Pourtant, les questions sur son mariage somptueux, estimé à 40 millions de francs CFA, restent sans réponse convaincante. « Mon époux et moi avons les moyens de financer cela « , a-t-elle affirmé, invoquant leurs 18 et 30 ans d’expérience professionnelle. Une déclaration qui, dans un pays où l’extrême pauvreté pousse les populations les plus exposées à déterrer de la nourriture avariée pour survivre, sonne comme une provocation.
Elle a balayé d’un revers de main les accusations, arguant que les invités de son mariage, âgés de 50 à 60 ans, ont payé leurs billets d’avion, leurs chambres et leurs repas. En invoquant son « intégrité » et sa « vie privée », Chambrier Voua tente de détourner l’attention des défaillances de la CNAMGS, tout en méprisant les citoyens qui subissent les conséquences de ces malversations présumées. Une défense qui, loin de laver son nom, révèle un profond décalage avec la réalité du pays.
La famille d’abord, le pays ensuite : le népotisme à son paroxysme
Le népotisme atteint des sommets vertigineux sous la transition. Aurélien Mintsa Mi Nguema, demi-frère du président Oligui Nguema et ancien Directeur général du Budget, s’était illustré par des détournements supposés. La justice n’ayant jamais fait son travail dans ce dossier, on parle au bas mot d’une somme astronomique, avoisinant les 32 milliards en huit mois.
Le Programme National de Promotion de l’Emploi (PNPE), censé lutter contre le chômage, est devenu sous Puanne Paulin Moussounda une véritable entreprise familiale. Contrats douteux, surfacturations, emplois fictifs pour plus de 30 membres de sa famille – le directeur déchu a transformé l’institution en vache à lait personnelle, détournant près de 50 % des fonds destinés à l’emploi des jeunes.
Ces exemples ne sont pas des cas isolés, mais le reflet d’un système où la famille et les proches du pouvoir sont prioritaires, au détriment de l’intérêt général.
Une cascade de scandales : la transition, un changement de façade
L’affaire Webcor ITP a mis en lumière un protocole transactionnel suspect signé entre l’Agence Judiciaire de l’État (AJE) et le Conseil d’État gabonais d’un montant estimé à plus de 70 milliards de francs CFA. Diane Moussounda (belle-sœur du président de la transition) et Jean-Paul Komanda, impliqués dans cette affaire, auraient agi sans mandat clair du gouvernement de transition, soulevant des questions sur la légitimité de leurs actions.
Le scandale de la SEEG (Société d’Énergie et d’Eau du Gabon) est tout aussi révélateur. Une vaste fraude impliquant un système parallèle de vente de tickets d’électricité prépayés et des détournements de plusieurs milliards de francs CFA a été découverte. Des hommes d’affaires influents, dont certains financeraient les projets du CTRI, seraient impliqués.
L’affaire Landry Bongo Ondimba, président du Conseil d’Administration de Gab’Oil, a révélé un budget prévisionnel plus que suspect : 15 millions de francs CFA pour des T-shirts, 22 millions pour une logistique non justifiée, et 7 millions pour la restauration. Des dépenses extravagantes qui contrastent cruellement avec le quotidien des personnes modestes.
La Poste SA : un nouveau scandale qui éclabousse la transition
Le feuilleton judiciaire de la Poste SA vient ajouter une couche à cette litanie de scandales. Trois mois après la suspension de onze hauts responsables pour malversations présumées, le président-directeur général, Eric Reynard Ndama, et sa directrice des affaires financières, Laurence Mboungadi, ont été placés sous mandat de dépôt à la prison centrale de Libreville le 2 décembre dernier. Leur incarcération intervient dans le cadre d’une enquête pour détournements de fonds présumés.
Cette affaire, qui aurait pu être présentée comme une preuve de la détermination du régime à lutter contre la corruption, soulève en réalité des questions plus larges. Pourquoi ces arrestations interviennent-elles seulement après des mois de dysfonctionnements ? Et pourquoi certains responsables, comme Audrey Christine Chambrier, bénéficient-ils d’une impunité apparente, tandis que d’autres sont jetés en prison ?
Une transition qui tourne au fiasco : la désillusion des Gabonais
Les ultimatums théâtraux du général Oligui Nguema aux « corrompus » ressemblent de plus en plus à un écran de fumée destiné à masquer l’incapacité du régime à rompre avec les pratiques du passé. La « restauration des institutions » promise par le CTRI semble se résumer à une simple substitution d’élites prédatrices. Les militaires au pouvoir reproduisent exactement ce qu’ils dénonçaient hier : détournements, népotisme, abus de pouvoir.
Le changement tant espéré par les Gabonais se fait toujours attendre, pendant que les coffres de l’État continuent d’être pillés par une nouvelle caste de privilégiés en treillis et affidés. Les promesses de transparence et de justice se sont évaporées, laissant place à une réalité amère : la transition militaire gabonaise apparaît désormais pour ce qu’elle est : un changement de façade qui perpétue les mêmes pratiques prédatrices, au détriment d’une population qui espérait naïvement que les militaires seraient différents de leurs prédécesseurs.
Et pourtant, ces scandales ne sont que la partie visible de l’iceberg. Que sait-on des dossiers qui n’ont pas encore fait l’objet de diffusion sur la place publique ? Combien de milliards ont été détournés dans l’ombre ? Combien de familles proches du pouvoir continuent de s’enrichir sur le dos des Gabonais ?
La désillusion est totale. Les Gabonais, qui avaient cru en une nouvelle ère, se retrouvent face à un système aussi corrompu, sinon plus, que celui qu’ils espéraient voir disparaître. La transition militaire, loin d’être une solution, se révèle être un piège. Et pendant que les élites se partagent le gibier en criant à qui veut l’entendre : « C’est notre tour de manger », le peuple, lui, continue de souffrir.
DBnews