« Une Histoire du franc CFA »: à qui profite l’antique monnaie d’Afrique ?



« Une Histoire du franc CFA »: à qui profite l’antique monnaie d’Afrique ?

« Une Histoire du franc CFA »: à qui profite l’antique monnaie d’Afrique ?

Monnaie héritée de la colonisation, elle s’impose toujours au quotidien à quelque 187 millions d’Africains. Pourquoi tant d’Etats indépendants d’Afrique n’ont-ils pas rompu avec ce lourd héritage ? Le film de Katy Lena Ndiaye soulève habilement la question… Extrait vidéo à l’appui (ci-dessous)

Ce sont quelques coupures ou quelques pièces, enfouies dans le fond d’une poche ou d’une enveloppe, qui charrient un tas de rêves ou de souvenirs émus. Chaque monnaie est intimement liée à un territoire donné, de taille plus ou moins grande. L’apparition du franc CFA, quant à elle, remonte à décembre 1945 et à l’histoire de la colonisation française. Cette monnaie a curieusement survécu au cap de 1960, qui amorçait pourtant la fin des Empires sur le continent africain. La France partie, le franc CFA (pour Colonies françaises d’Afrique) aurait dû disparaître, mais il est resté, continuant à relier la quasi-totalité des anciens territoires placés jadis sous tutelle hexagonale. A sigle inchangé – mème si l’on parle désormais des Communautés financières d’Afrique – réalité immuable dont la France reste toujours le garant sur la scène internationale.

Pourquoi, comment ? C’est à ces questions que le nouveau documentaire de Katy Lena Ndiaye tente de répondre. Après un portrait à la fois dépouillé et intense du rappeur et activiste Smockey, l’un des visages du mouvement citoyen burkinabé, l’ancienne journaliste a plongé au cœur des archives nationales françaises et dans la rencontre avec d’éminents spécialistes africains pour décrypter cette curieuse et paradoxale survivance d’une monnaie «deux fois morte et deux fois ressuscitée» toujours en circulation dans quatorze pays africains, d’Ouest en Est.

« Une Histoire du franc CFA »: à qui profite l’antique monnaie d’Afrique ?

Des rapports commerciaux biaisés

Pas besoin d’être un expert pour suivre cette remontée historique et didactique jusqu’aux fondements du franc CFA. Le film, dense mais limpide, permet d’en saisir le fonctionnement et les dérives avant d’aborder les questions qui façonnent son utilisation et sa survivance aujourd’hui. Toujours rattaché au Trésor français, mais désormais adossé à l’euro, le franc CFA offre non seulement à la France, mais aussi à tous ses partenaires, un accès privilégié aux marchés africains. Ce qui, de facto, handicape les pays de la zone dans leurs relations commerciales internationales.

Interrogeant de nombreux experts et universitaires tels Martial Ze Belinga (Cameroun), l’ancien ministre Kako Nubukpo (Togo), Ndongo Samba Sylla et l’économiste et écrivain Felwine Sarr (Sénégal) mais aussi Roland Colin (ancien Administrateur colonial) ou Lionel Zinsou (ancien Premier ministre du Bénin), Katy Lena Ndiaye démêle les fils d’une histoire complexe et controversée qui pourrait sembler institutionnelle et lointaine mais qui, à travers l’achat de denrées alimentaires et l’accès aux services de base (école, transports, téléphonie, soins de santé) est intimement liée à la vie de chacun. Raison pour laquelle, tout en approfondissant ses recherches, la réalisatrice a tenu à entraîner son film vers le conte, récit universel par excellence, grâce à une réalisation riche en symboles.

« Une Histoire du franc CFA »: à qui profite l’antique monnaie d’Afrique ?

Etrange survivance

Depuis la grande dévaluation de 1994, la crise grecque de 2008 et les tentatives avortées de lancer une nouvelle monnaie en Afrique de l’Ouest (l’Eco), le franc CFA est au cœur d’houleux débats. Sous l’impulsion d’une nouvelle génération de penseurs, des critiques sont émises, les questions se multiplient… Pourquoi tant de pays n’ont-ils pas encore coupé le cordon ombilical avec la France, alors qu’on peut clairement parler de domination ? Une situation qui fait songer, dans d’autres pays, à la dépendance vis-à-vis du dollar… Et qui soulève de nombreuses réflexions politiques aussi.

A l’issue de la projection à Bozar, l’émotion d’une partie de la salle était palpable, les plus anciens se souvenant de l’impuissance et de la colère que la brutale dévaluation de 1994 avait engendrées. Cette perte de revenus entraînant non seulement des difficultés d’approvisionnement, mais aussi un accès restreint à l’éducation et aux soins de santé dans tous les anciens territoires francophones.

Présenté en compétition dans de nombreux festivals, à Amsterdam et New York, mais aussi lors de la 28e édition du Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou (le Fespaco)*, le film utilise la fable pour mettre en évidence ce qui est sous nos yeux, mais qui nous avait sans doute échappé. Ainsi (re)découvre-t-on les enjeux et les pactes secrets dans cette histoire où il est question d’héritage à gérer, mais aussi de stagnation et de blocages. Le film pose la question de la souveraineté de toute une partie du continent africain qui s’apprête à égrener les soixante et quelques années de ses indépendances. Des indépendances dont de nombreuses promesses restent encore à réaliser.

Karin Tshidimba

nb: Production conjointe d’Indigomood Films et de Néon Rouge, le film a été présenté à Amsterdam (IDFA), Ouagadougou (Fespaco), Paris (Cinéma du Réel), New York, Sheffield et Toronto (Hot docs), entre autres. Présenté le 1er juin à Bozar, le film sera proposé à Flagey le 18 juin.

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Avec La Libre Afrique

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