Référendum constitutionnel. Suite au coup d’État historique du 30 août 2023, qui a mis fin à 56 années de dynastie Bongo au Gabon, les citoyens seront convoqués aux urnes le 16 novembre 2024. Cette consultation populaire majeure, sous forme de référendum, devra se prononcer sur l’adoption d’une nouvelle loi fondamentale censée redessiner l’architecture institutionnelle du pays. Ce rendez-vous avec l’histoire marque ainsi la première étape d’une transition politique dont l’issue déterminera l’avenir démocratique de la nation gabonaise.
[DÉCRYPTAGE – Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | 2 novembre 2024
Référendum constitutionnel : Pléthore de sommités !
Dans le théâtre politique gabonais, un nouveau spectacle se joue avec une indécence qui confine à l’obscène. Les architectes du pouvoir, ces présumés experts en alchimie constitutionnelle, déploient un arsenal rhétorique d’une sophistication machiavélique pour justifier l’injustifiable : l’adoption précipitée d’une « Constitution » manifestement taillée sur mesure. Avec une condescendance frisant l’insolence, ils persistent à maintenir le peuple dans une position subalterne, prétextant une complexité juridique prétendument inaccessible au citoyen lambda. Cette posture intellectuellement méprisante révèle une stratégie délibérée visant à perpétuer un système où l’oligarchie s’arroge le monopole de l’interprétation constitutionnelle. La mystification atteint son paroxysme lorsque ces « experts » autoproclamés osent affirmer que seuls quelques initiés seraient capables de décrypter les arcanes de ce texte fondamental.
Les appels au vote : Le mépris décomplexé des élites
Une oligarchie décomplexée, perchée dans ses tours d’ivoire climatisées de Libreville, s’arroge le droit divin d’éclairer les masses « ignorantes ». Ces élites autoproclamées, gavées aux prébendes de l’État, distillent leur mépris social à peine voilé derrière un paternalisme grotesque. Quelle ironie mordante de voir ces « sachants« , dont la fortune personnelle s’est mystérieusement bâtie sur les ruines du service public, décréter l’incapacité intellectuelle des citoyens ordinaires à comprendre leur propre Constitution !
Dans leur condescendance abyssale, ces experts en prédation économique ont tranché : le « petit peuple », ces Gabonais qui survivent avec moins de 1000 francs CFA (2 dollars) par jour, n’auraient pas les capacités cognitives suffisantes pour décrypter les arcanes d’un texte constitutionnel. Une rhétorique particulièrement nauséabonde quand on sait que ces mêmes « éclaireurs » sont souvent les premiers à contourner les lois qu’ils prétendent être les seuls à comprendre.
Cette bourgeoisie compradore, dont les enfants étudient dans les prestigieuses universités occidentales pendant que les écoles publiques croulent sous le délabrement, s’érige en gardienne exclusive du temple constitutionnel. Un comble de l’absurdité quand on constate que ces prétendus experts constitutionnels sont souvent les premiers architectes des détournements de fonds publics et des arrangements institutionnels opaques.
D’un côté, les enclaves dorées d’Akanda et de la Sablière, véritables forteresses climatisées où se prélasse l’aristocratie gabonaise du 1% les plus riches, propriétaire de 4×4 rutilants et de villas pharaoniques. Ces quartiers « select » de Batterie IV et du Centre-ville, sanctuaires d’une oligarchie repue qui gravite autour du Palais présidentiel, narguent de leur opulence indécente le reste de la capitale.
À l’autre extrémité de ce grand écart social, s’étendent les tristement célèbres « mapanes » – ces zones urbaines abandonnées aux oubliés de la République. Derrière la Prison, Nkembo, Kinguélé, ou les fameux « PK » : autant de toponymes qui résonnent comme les stigmates d’une pauvreté systémique. Dans ces quartiers populaires, pudiquement qualifiés de « défavorisés », s’entasse la majorité silencieuse des Librevillois, ces citoyens de seconde zone aux yeux d’une élite qui ne traverse ces parties de la capitale qu’assis dans des voitures climatisées aux vitres teintées et portes fermées. Cette géographie urbaine impitoyable dessine ainsi une capitale à deux vitesses, métaphore criante d’un Gabon où la richesse nationale reste confisquée par une infime minorité de privilégiés.
L’argument de la complexité technique n’est qu’un paravent grossier masquant une réalité plus brutale : la peur viscérale d’une véritable démocratie participative où chaque citoyen, indépendamment de son compte en banque, pourrait avoir voix au chapitre dans l’élaboration des règles qui gouvernent la cité. Car après tout, qu’y a-t-il de plus terrifiant pour ces « élites » que l’émergence d’un peuple éclairé, capable de déconstruire leurs privilèges indus et leurs monopoles de fait ?
Le chantage : L’arme des opportunistes
L’argument phare des promoteurs de ce texte — le « retour à la normale » — résonne comme une menace à peine déguisée, un ultimatum lancé à une population déjà meurtrie par des décennies d’autoritarisme. Cette rhétorique manipulatrice s’apparente à un véritable chantage émotionnel, brandissant le spectre du chaos pour extorquer un consentement populaire. Les nouveaux occupants du pouvoir, confortablement installés depuis le coup d’État du 30 août 2023, instrumentalisent cyniquement les aspirations légitimes du peuple à la stabilité. Cette tactique d’intimidation politique, aussi grossière qu’efficace, révèle l’absence totale de scrupules de ces apprentis démocrates qui n’hésitent pas à agiter l’épouvantail de la déstabilisation pour faire adopter leur texte dans la précipitation. Le 30 août 2023 ! Jour de « libération nationale » qui devait délivrer la majorité de leurs chaînes. Le peuple, naïf et romantique, y avait vu l’aube d’une renaissance. Quelle douce illusion !
En 14 mois, le mirage s’est dissipé plus vite qu’une flaque d’eau sous le soleil de Libreville. Et pour cause ! Ceux qui sermonnent aujourd’hui les gens simples sur les vertus du « oui » au référendum, sont-ce pas ces mêmes caméléons politiques qui, hier encore, se prosternaient devant Ali Bongo ? Ces mêmes courtisans qui, avant lui, faisaient la courbette à son père ? – Extraordinaire spectacle que ces girouettes professionnelles, passées maîtres dans l’art du retournement de veste ! À croire que le « changement » n’était qu’un simple changement de décor, avec les mêmes acteurs qui ont juste troqué leurs costumes et de quels nouveaux parvenus.
La farce serait presque risible si elle n’était pas tragique. Les voilà maintenant, ces « reconvertis de la dernière heure », qui font la leçon sur la constitution. Cherchez l’erreur ? Non, cherchez plutôt les intérêts personnels soigneusement dissimulés derrière des subites tirades sur la qualité du document qui sera soumis au vote populaire.
L’urgence fabriquée : un stratagème éculé
L’opacité délibérée entourant le processus d’élaboration constitutionnelle trahit une volonté manifeste d’éviter tout débat substantiel. Les initiés du régime, autoproclamés décodeurs exclusifs du texte fondamental, monopolisent l’espace médiatique avec une arrogance déconcertante. Cette confiscation du débat démocratique révèle l’ampleur du mépris envers l’intelligence collective des Gabonais. Les rares espaces de discussion sont systématiquement verrouillés par une armée de technocrates zélés qui excellent dans l’art de noyer le poisson dans un océan de jargon juridique incompréhensible. Cette stratégie d’obscurcissement délibéré vise manifestement à décourager toute tentative d’appropriation citoyenne du texte constitutionnel.
Après 56 ans de tripatouillages constitutionnels sous les « Bongo », voilà que les « sauveurs » de la transition servent aux populations le même plat réchauffé. Quelle délicieuse ironie ! En dix petits jours, du 7 au 15 novembre, le peuple gabonais devrait miraculeusement digérer, comprendre et voter un texte qui engagera son avenir pour des décennies. Mais quelle mouche les pique donc pour imposer cette course effrénée vers les urnes ? La réponse est d’une simplicité confondante : l’urgence, cette vieille recette des apprentis autocrates, permet si commodément d’éviter les questions gênantes ! – À les écouter, le Gabon s’effondrerait si les citoyens prenaient le temps de la réflexion. Dix jours pour décider de l’architecture institutionnelle d’une nation ! Même les soldes en supermarché durent plus longtemps ! Voilà donc la nouvelle définition de la démocratie version 2024 : un référendum express, servi à la va-vite, comme un fast-food constitutionnel.
Les voilà qui agitent le spectre de l’instabilité, ces experts en enfumage démocratique. « Votez vite, ne réfléchissez pas trop ! » Tel est leur nouveau credo. Une constitution au pas de charge, sans débat approfondi, sans consultation réelle. La démocratie façon « drive-in » : vous passez, vous votez, vous repartez… et surtout, pas de questions ! – Ainsi se perpétue la grande tradition gabonaise : transformer les moments historiques en simples formalités administratives. Une Constitution n’est-elle pas censée être le fruit d’une réflexion collective mûrie ? Visiblement, nos nouveaux maîtres préfèrent la méthode du passage en force, déguisée en « urgence nationale ». Le changement dans la continuité, comme ils disent !
Les non-dits d’une Constitution sur mesure
Les dispositions controversées du projet constitutionnel, soigneusement dissimulées derrière un jargon juridique abscons, révèlent des ambitions inavouées d’une inquiétante amplitude. Les modifications substantielles proposées semblent davantage servir les intérêts d’une nouvelle oligarchie politique que l’intérêt général. La perpétuation des pratiques autoritaires se dessine en filigrane, sous le vernis d’une prétendue modernisation institutionnelle. Un examen minutieux révèle une architecture constitutionnelle pernicieuse, conçue pour consolider l’emprise d’une nouvelle classe politique sur les institutions, tout en maintenant l’illusion d’une démocratisation en trompe-l’œil.
Les garde-fous illusoires
Les mécanismes de contrôle et d’équilibre des pouvoirs, présentés pompeusement comme des innovations majeures, s’avèrent être des leurres sophistiqués d’une rare perversité. L’architecture institutionnelle proposée consolide subrepticement les prérogatives présidentielles, tout en affaiblissant les contre-pouvoirs effectifs avec une subtilité machiavélique. Cette manipulation constitutionnelle témoigne d’une inquiétante continuité dans la culture politique gabonaise, où l’art de la dissimulation institutionnelle atteint des sommets de raffinement. Les quelques garde-fous apparents se révèlent être de simples artifices cosmétiques, destinés à masquer la concentration effective du pouvoir entre les mains d’une nouvelle élite politique.
Projet de constitution :
ARTICLES POSITIFS :
Article 2 : Reconnaissance du 30 août comme fête de libération – Important pour la mémoire historique
Article 6 : Garantie du pluralisme politique. Promotion de l’égal accès des femmes, jeunes et personnes handicapées aux mandats. Financement des partis politiques. Garantie du droit d’opposition.
Article 15 : Garantie de l’égal accès des femmes et hommes aux mandats électoraux et responsabilités
Article 36 : Égal accès aux emplois publics sans discrimination. Garantie d’accès pour les personnes handicapées. Principes d’éthique et de transparence
Article 42 : Limitation des mandats présidentiels à deux mandats de 7 ans
Article 77 : Protection solide de l’immunité parlementaire
Article 111 : Indépendance du pouvoir judiciaire. Inamovibilité des magistrats. Obligation de motivation des décisions de justice
ARTICLES NÉGATIFS :
Article 25 : Définition restrictive du mariage comme « union entre deux personnes de sexe opposé »
Article 43 : Conditions d’éligibilité présidentielle trop restrictives : Limite d’âge maximum (70 ans) Pour rappel : Après quatre tentatives infructueuses, Abdoulaye Wade, né le 29 mai 1926, était élu pour la première fois président du Sénégal le 19 mars 2000. Il avait largement dépassé les 70 ans. Obligation d’être marié à un(e) Gabonais(e).
Article 46 : Procédure de remplacement du Président en cas d’empêchement complexe et potentiellement source de conflits
Article 63 : Pouvoirs exceptionnels du Président trop étendus avec peu de contre-pouvoirs
ARTICLES À REVOIR :
Article 55 : Préciser davantage les critères de nomination aux emplois civils et militaires
Article 99 : Renforcer l’encadrement des ordonnances présidentielles et le contrôle parlementaire
Article 123 : Revoir la composition de la Cour Constitutionnelle pour plus d’indépendance. Clarifier les critères de sélection des juges
Article 128 : Revoir la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature par le Président de la République (risque pour l’indépendance)
Les gabonais de l’étranger
Cette nouvelle Constitution manque d’ambition concernant l’intégration et la participation de la diaspora gabonaise à la vie nationale. Une révision constitutionnelle pourrait être envisagée pour :
- Mieux reconnaître le rôle de la diaspora
- Garantir leurs droits fondamentaux
- Faciliter leur participation à la vie politique et économique du pays
- Créer des mécanismes institutionnels de représentation plus efficaces
La diaspora représente un potentiel important en termes de compétences, d’investissements et de développement pour le Gabon, et mériterait une meilleure reconnaissance constitutionnelle.
Constitution 2024 : La diaspora gabonaise, paria de la République
La purge constitutionnelle frappe encore ! Voilà les 16 093 compatriotes de l’étranger relégués au rang de citoyens de seconde zone. Ces « enfants illégitimes » de la République se voient magistralement écartés de participer à la vie politique nationale. Il faut trois (3)ans de résidence continue au Gabon pour oser briguer la magistrature suprême. Brillante stratégie pour décourager ces trouble-fêtes de la diaspora, ces entrepreneurs et intellectuels qui ont eu l’outrecuidance de réussir ailleurs. Qu’ils viennent donc goûter au chômage local – 40% des actifs ! – avant de prétendre servir leur pays.
Pendant que nos « experts » constitutionnels, drapés dans leur suffisance, verrouillent l’accès au pouvoir, la Gambie, elle, ose l’impensable : Adama Barrow, un ancien vigile de supermarché devenu agent immobilier à Londres, accédait à la présidence de son pays en 2016. Quel affront ! Imaginez le scandale : un ex-vigile aux commandes ! De quoi faire frémir nos aristocrates locaux, allergiques à toute idée de renouveau.
Notre nouvelle Constitution perpétue ainsi brillamment la tradition : un texte sur mesure pour recycler les mêmes visages, les mêmes pratiques, les mêmes échecs. Qu’importe si la diaspora dispose de compétences ! – Après 56 ans de « stabilité » dynastique, pourquoi changer une formule si « réussie » ? Il faut laisser les élites locales préserver leur entre-soi douillet. La diaspora ? Qu’elle continue de brailler dans les réseau sociaux, mais qu’elle ne s’avise surtout pas de rêver à la gouvernance du pays. C’est tellement plus confortable de maintenir le statu quo, n’est-ce pas ?
Le devoir de vigilance citoyenne
Face à cette tentative flagrante de confiscation du débat démocratique, la mobilisation citoyenne s’impose comme un impératif catégorique d’une urgence absolue. L’infantilisation systématique du peuple gabonais ne saurait masquer les enjeux fondamentaux de cette réforme constitutionnelle précipitée qui menace les fondements mêmes de notre aspiration démocratique. L’heure est venue pour les citoyens de rejeter cette forme pernicieuse de paternalisme politique et d’exiger un véritable débat national sur l’avenir institutionnel du pays, un débat qui ne soit pas confisqué par une élite autoproclamée.
L’adoption d’une nouvelle Constitution ne peut se réduire à un simple exercice de validation populaire sous contrainte, comme le voudraient les apprentis sorciers de la transition. Elle doit incarner l’expression authentique des aspirations démocratiques d’un peuple enfin reconnu dans sa maturité politique et sa capacité à déterminer son propre destin. Le référendum constitutionnel de 2024 représente ainsi un moment crucial où les Gabonais devront choisir entre la complaisance passive face à une nouvelle forme de despotisme éclairé et l’affirmation courageuse de leur souveraineté inaliénable.