Le Gabon s’apprête à tourner définitivement la page de l’ère Bongo dans quelques jours. Le référendum constitutionnel prévu ce 16 novembre 2024 marque une étape décisive dans la transition politique du pays, un peu plus d’un an après le coup d’État qui a mis fin à plus de cinq décennies de règne familial.
[Politique] Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | 07 novembre 2024
Une transparence renforcée par la présence d’observateurs internationaux
Dans une démarche inédite visant à garantir la crédibilité du scrutin, le ministre gabonais de l’Intérieur et de la Sécurité, Hermann Immongault, a officiellement annoncé l’autorisation d‘observateurs internationaux pour superviser le référendum. Cette décision marque une rupture significative avec les pratiques du régime précédent, qui avait notamment refusé leur présence lors des élections d’août 2023.
« Conformément aux engagements pris par le Président de la Transition, cette consultation cruciale pour notre pays sera ouverte aux observateurs internationaux pour renforcer la crédibilité de notre processus électoral », a déclaré le ministre lors d’un point presse. Il a cependant précisé que cette ouverture s’accompagnait d’un cadre réglementaire strict, régi par le décret n° 1004/PR/MI du 27/08/1998, dont la violation pourrait entraîner le retrait des accréditations.
Un tournant historique dans la transition politique
Le Gabon vit une période charnière depuis le 30 août 2023, date du renversement du président Ali Bongo Ondimba par le général Brice Clotaire Oligui Nguema. Cette consultation populaire représente le premier test électoral majeur pour le régime de transition, qui cherche à établir de nouvelles bases institutionnelles pour le pays.
La mouture définitive du projet de nouvelle Constitution, rendue publique le 21 octobre, comprend 173 articles qui redessinent profondément l’architecture institutionnelle gabonaise. Cette réforme constitutionnelle s’inscrit dans une volonté affichée de rupture avec le système précédent.
Des innovations constitutionnelles majeures
Le texte soumis au vote populaire introduit plusieurs modifications substantielles dans l’organisation des pouvoirs :
Réforme du pouvoir exécutif
- Institution d’un régime présidentiel avec un mandat de sept ans renouvelable une seule fois
- Suppression du poste de Premier ministre, marquant une évolution vers un exécutif monocéphale
- Création d’une Haute Cour de Justice spécifiquement dédiée au jugement du président
Nouvelles conditions d’éligibilité
- Obligation pour les candidats à la présidence d’avoir au moins un parent gabonais
- Institution d’une clause inédite interdisant aux enfants ou au conjoint d’un ancien président de se porter candidats
Une campagne référendaire encadrée
La campagne officielle, qui se déroule du 7 au 15 novembre, révèle des positions contrastées au sein de la société gabonaise. Dans une lettre accompagnant le projet constitutionnel, le Premier ministre a appelé les Gabonais à s’approprier le texte et à en débattre activement.
Les partisans du « oui »
Des acteurs politiques influents soutiennent le projet, y voyant une opportunité de modernisation institutionnelle et de rupture avec les pratiques du passé.
Les opposants au texte
Le syndicat Dynamique unitaire, parmi d’autres organisations, exprime des réserves concernant :
- Le risque de concentration excessive du pouvoir présidentiel
- La précipitation dans l’organisation du scrutin
- L’insuffisance du débat public
- La brièveté de la campagne officielle
Une société divisée face au scrutin
L’ambiance sur le terrain révèle une société gabonaise profondément divisée. D’un côté, les partisans du général Oligui Nguema, qu’ils considèrent comme un « sauveur », soutiennent fermement le projet constitutionnel. De l’autre, une frange plus critique de la population exprime des réserves sur la méthodologie et le contenu de la réforme.
Le pouvoir de transition a déployé une importante campagne de sensibilisation, mobilisant des équipes dans les écoles, les supermarchés et les mairies. Cette présence massive sur le terrain est perçue différemment selon les sensibilités : action citoyenne nécessaire pour certains, propagande pour d’autres. Le président Oligui Nguema lui-même s’est personnellement impliqué en appelant à une participation massive, un appel relayé par le médiateur de la République qui souligne le caractère historique de la consultation.
L’abstention, un défi majeur pour la légitimité du scrutin
Dans le contexte politique particulièrement sensible au Gabon, l’abstention se dessine comme le principal écueil redouté par les autorités de transition. Le général Brice Oligui Nguema, conscient de cet enjeu crucial, n’a pas hésité à la qualifier publiquement de « notre seul ennemi » dans ce processus référendaire. Une déclaration forte qui souligne l’importance capitale d’une participation massive pour asseoir la légitimité de la nouvelle constitution et, par extension, celle du régime de transition lui-même.
Cette inquiétude des autorités n’est pas sans fondement, d’autant que le pays sort à peine d’une longue période marquée par une défiance chronique envers les processus électoraux. Plusieurs facteurs structurels et conjoncturels pourraient en effet favoriser une abstention significative : la fatigue électorale d’une population encore marquée par les événements d’août 2023, la complexité technique du texte constitutionnel proposé, et un certain scepticisme quant à l’impact réel des changements proposés sur la vie quotidienne des Gabonais.
La précipitation relative du calendrier référendaire, avec une campagne officielle limitée à dix jours, pourrait également alimenter les réticences d’une partie de l’électorat. Cette contrainte temporelle, bien que justifiée par les autorités comme nécessaire pour maintenir le momentum de la transition, risque de limiter la compréhension approfondie des enjeux par les citoyens. D’autant plus que certaines voix de l’opposition, plutôt que d’appeler à voter « non », évoquent désormais ouvertement la possibilité d’un boycott actif du scrutin, une stratégie qui pourrait significativement impacter la participation.
Perspectives et enjeux
Ce référendum constitutionnel s’inscrit dans un processus de transition plus large, devant culminer avec l’organisation d’élections présidentielles en août 2025. La participation populaire constituera un indicateur crucial de la légitimité du nouveau cadre institutionnel.
La présence d’observateurs internationaux, selon les mots du ministre Immongault, vise non seulement à « apporter de la transparence et de la crédibilité au processus », mais également à « bénéficier d’une expertise extérieure à partir d’une somme d’expériences des pays dans lesquels la tradition démocratique est bien implantée ».
L’avenir proche dira si ce référendum constitutionnel, enrichi par cette supervision internationale, marque véritablement le début d’une nouvelle ère démocratique pour le Gabon, ou s’il ne fait que perpétuer, sous des formes nouvelles, les travers du système qu’il prétend réformer.