Par Anne-Marie Dworaczek-Bendome | Publié le 24 août 2024
Alors que le pays s’apprête à se prononcer sur une nouvelle constitution, une coalition de l’opposition monte au créneau et se mobilise contre le projet de référendum au Gabon. La plateforme dénommée « Référendum, je vote « NON » cristallise les critiques contre un projet jugé, dit-elle, antidémocratique.
Gabon : L’opposition se mobilise contre le projet de référendum et s’organise activement.
C’est dans une ambiance bon enfant que s’est tenue à Libreville, au Gabon, le 23 aout, la cérémonie de lancement de la plateforme « Référendum, je vote « NON ». Réunissant diverses personnalités et organisations politiques, ce mouvement entend faire barrage au projet de référendum constitutionnel proposé par le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI).
« Ce projet de constitution est un recul démocratique majeur », tonne le professeur Daniel Mengara, figure de proue de cette coalition. « Nous ne pouvons accepter un texte qui concentre tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme. »
Les points de discorde
L’opposition au référendum Gabon se cristallise autour de plusieurs points jugés problématiques :
- Le retour de l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur, perçu comme une menace à la transparence du processus électoral.
- Un mandat présidentiel de 7 ans, considéré comme excessivement long.
- L’instauration d’un régime présidentialiste fort, au détriment des contre-pouvoirs.
« C’est un véritable retour en arrière », s’insurge Jean Victor Mouang Mbading, autre figure de l’opposition. « Nous avions espéré que cette transition serait l’occasion de renforcer nos institutions, pas de les affaiblir. »
Chute des « Bongo »
Le 30 août 2023, le général de brigade Oligui Nguema a orchestré un coup d’État au Gabon, mettant fin à l’ère de la famille Bongo. L’armée, autrefois le gardien du régime déchu et du pouvoir de la famille Bongo, a désormais pris le contrôle du pays. Le régime militaire, incarné par Oligui Nguema, a annoncé des élections présidentielles pour août 2025, afin de rétablir l’ordre constitutionnel.
Cette prise de pouvoir, décrite comme une « révolution de palais » par le Pr. Albert Ondo Ossa, montre comment les anciens protecteurs du régime sont devenus les nouveaux maîtres du Gabon, continuant ainsi une dynamique de pouvoir sous une nouvelle forme, avec de nombreux éléments clés du régime déchu occupant dorénavant les premiers postes (Sénat, Assemblée nationale, Conseil économique, social et environnemental, directeur de cabinet du président, etc.).
Une transition sous le feu des critiques
Au-delà du contenu du projet constitutionnel, c’est la gestion même de la transition par le CTRI qui est remise en cause. Les opposants dénoncent une volonté de se maintenir au pouvoir et une exclusion de certaines franges de la population, notamment la diaspora.
« Le CTRI semble plus préoccupé par son maintien au pouvoir que par l’intérêt du peuple gabonais », fustige un analyste politique sous couvert d’anonymat. « Cette attitude ne peut que nourrir les tensions et les divisions. »
La Constitution ne doit pas être abordée comme un document temporaire que l’on peut réécrire et ajuster au fil du temps. Elle doit être élaborée avec soin et de manière définitive pour refléter les aspirations et les besoins durables du pays. Les Gabonais attendent une Constitution stable et bien pensée, qui évite les modifications fréquentes et les ajouts inappropriés.
En particulier, un mandat présidentiel de sept ans est jugé excessif dans le contexte mondial actuel, où les mandats présidentiels oscillent généralement entre 4 et 5 ans pour garantir une gouvernance dynamique et réactive. L’introduction d’un tel mandat pourrait ne pas répondre aux attentes des citoyens et pourrait créer un déséquilibre dans la gestion politique.
De plus, il y a une inquiétude croissante quant à la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul individu. La perspective de voir le président accumuler des rôles tels que Chef du gouvernement, chef suprême des armées, président du Conseil supérieur de la magistrature, et bien d’autres fonctions encore, évoque une structure quasi-monarchique. Une telle concentration de pouvoirs risque de compromettre les principes fondamentaux de séparation des pouvoirs et de checks and balances, qui sont essentiels pour une gouvernance démocratique et équilibrée.
Il est primordial que la Constitution assure une séparation nette des pouvoirs et mette en place des mécanismes de contrôle pour prévenir toute concentration excessive d’influence, tout en favorisant une gouvernance transparente et responsable.
La vraie signification de la libération
Face à cette mobilisation, le CTRI se trouve dans une position délicate. D’un côté, il doit maintenir le cap de ses réformes, de l’autre, il ne peut ignorer les voix qui s’élèvent contre son projet. Certains parlent de libération, mais de quelle libération s’agit-il réellement ? – Dans une tentative de recevoir les bonnes grâces du président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, ses partisans l’appellent tantôt Moïse, tantôt Josué. Pourtant, Moïse n’a fait que conduire son peuple hors de l’esclavage, une libération qui n’était qu’une première étape.
C’est Josué qui a conduit le peuple jusqu’à Canaan. Ceux qui se réfèrent à ces figures bibliques ignorent souvent leur véritable signification spirituelle. Josué n’a pas initié la libération, il a simplement poursuivi l’œuvre entamée par Moïse. Quant au Code électoral, considéré comme antidémocratique, le retour à une gestion par le ministère de l’Intérieur, sans neutralité, compromet l’accès à une réelle alternance, a souligné un intervenant. Puisque le chef de la junte militaire se revendique de Josué, qu’il veille à ce que la future Constitution guide le peuple gabonais vers la « terre promise », symbolisée par un véritable État de droit et un respect strict des institutions.
L’appel à la vraie restauration des institutions
La construction de routes et d’infrastructures est importante, mais elle ne remplace pas la nécessité cruciale de restaurer les institutions du pays. La véritable restauration passe par un inventaire rigoureux des institutions à réhabiliter et la mise en place de mécanismes solides pour les renforcer. Le pays semble encore fonctionner sur la base d’hommes forts plutôt que d’institutions robustes. De plus, la réintégration d’anciens membres avec des antécédents douteux dans des postes influents, tels que l’Assemblée nationale et le Sénat, soulève des inquiétudes. Ces individus, malgré leur changement de rôle ou d’allégeance, continuent de nuire à la crédibilité et à l’intégrité des institutions, entravant ainsi le véritable progrès du pays.
Dans ce contexte, la plateforme « Référendum, je vote NON » appelle à un retour aux raisons profondes qui ont mené au coup d’État du 30 août 2023. « Nous ne sommes pas dans une logique de confrontation stérile », affirme Daniel Mengara. « Nous souhaitons un véritable débat de fond sur l’avenir de notre pays, et non une simple consultation de façade. »
Quel avenir pour la transition ?
Le Gabon se trouve à un carrefour critique où l’issue de ce bras de fer politique demeure incertaine. D’un côté, une opposition farouche qui cherche à s’affirmer face à un régime qu’elle juge illégitime ; de l’autre, un CTRI résolu à tracer sa propre voie pour l’avenir du pays. Ce comité militaire semble déterminé à renforcer son emprise en dictant les termes de la transition, tout en prétendant offrir une sortie de crise durable.
Les semaines à venir seront cruciales pour l’avenir politique du Gabon. Entre un référendum constitutionnel sous haute surveillance et la nécessité de maintenir une façade démocratique et apaisée, le régime devra jongler entre pression interne et attentes internationales. Cette période charnière décidera si le Gabon pourra tourner la page du régime précédent ou s’enfoncer dans une continuité sous un autre visage.