Du 9 au 13 juin 2025, Nice accueille le 3e Sommet mondial sur les océans. Protection marine, économie bleue, pollution plastique, défis africains… un rendez-vous crucial sans accords contraignants.
Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME
Un sommet diplomatique mondial
Le 3e Sommet sur les océans à Nice, ou Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC 3), s’impose comme un événement diplomatique planétaire d’ampleur. Co-organisé par la France et le Costa Rica, il rassemble 187 délégations, 51 chefs d’État ou de gouvernement, et des centaines d’acteurs scientifiques, économiques et associatifs. Une mobilisation inédite, marquée par des absences notables : les États-Unis, puissants néanmoins frileux, brillent par leur retrait des segments officiels, et leur autorisation récente d’exploitation minière des abysses jette une ombre sur la coopération internationale.
Le sommet vise avant tout à renforcer la conservation et l’utilisation durable des océans d’ici à 2030, dans le cadre de l’Objectif de développement durable n°14 (ODD 14). En théorie, les nations s’accordent sur des thèmes fondamentaux : la lutte contre la pollution plastique, la protection de la haute mer, la réduction de la surpêche, ou encore le soutien à l’économie bleue. En pratique, Nice n’est pas une enceinte de négociation formelle. Aucun traité contraignant n’y sera signé. Le résultat attendu reste une déclaration politique volontariste – le « Plan d’action de Nice pour l’océan ».
C’est là que le bât blesse. Dans une ambiance de crise climatique et de cataclysme écologique annoncé, peut-on encore se satisfaire d’engagements non contraignants ? Une partie de la communauté scientifique et des ONG en doute. Pourtant, l’affluence à Nice, et le poids symbolique du sommet, laissent espérer des avancées. Mais à l’heure de la diplomatie molle, les océans ont-ils encore le luxe d’attendre ?
Grands fonds marins
Le dossier des grands fonds marins cristallise les tensions. Alors que la moitié de la surface terrestre se trouve au-delà des juridictions nationales, leur exploitation industrielle reste à peine réglementée. En 2023, l’adoption du traité BBNJ (Biodiversité au-delà des juridictions nationales) devait changer la donne. Mais ce dernier attend toujours les 60 ratifications nécessaires pour entrer en vigueur. La France milite activement pour un moratoire international sur l’exploitation minière des abysses. Elle tente d’élargir une coalition encore minoritaire.
Les opposants ? Ils ne sont pas anodins. Les États-Unis, la Chine, ou encore la Russie, favorables à une exploitation encadrée, rêvent d’accès prioritaires aux métaux rares tapissant les fonds marins. Le sommet de Nice devient le théâtre d’un affrontement géopolitique feutré. Entre posture environnementale et intérêts économiques, la fracture est nette.
C’est aussi une bataille narrative. Le discours dominant d’une « économie bleue durable » s’oppose à celui d’une « croissance bleue » libéralisée. Les ONG alertent : l’exploitation des abysses menace une biodiversité encore méconnue, indispensable au bon fonctionnement du climat mondial. La diplomatie française, appuyée par le Costa Rica, tente de convaincre. Cependant, sans engagement contraignant, le moratoire risque de rester lettre morte.
Face à la pression des industries minières et à l’attentisme des grandes puissances, le sommet de Nice s’apparente à un champ de bataille à peine déguisé. L’avenir des grands fonds marins s’y joue sans armes juridiques, mais avec des lignes rouges bien tracées.
Pollution plastique
8 à 14 millions de tonnes de plastiques finissent chaque année dans les océans. Cette pollution, surtout issue des activités terrestres, menace pêche, santé publique, biodiversité et tourisme. L’Afrique, en particulier, paie un tribut disproportionné. L’accès à des systèmes de collecte et de traitement des déchets y est souvent limité.
Le sommet de Nice entend relancer les négociations en vue d’un traité international contre la pollution plastique. Les ONG demandent un texte ambitieux, juridiquement contraignant, qui réduise à la source la production de plastique, et non pas uniquement ses effets. Mais les divergences persistent. Certains pays producteurs ou exportateurs de plastique défendent une approche plus souple.
L’enjeu est politique. La communauté internationale peine à s’accorder sur le partage des responsabilités. Qui doit payer ? Qui doit réduire ? Et comment imposer un véritable changement de modèle industriel sans heurter les intérêts économiques ? La France pousse pour une feuille de route préparant la prochaine session à Genève, en août 2025.
Nice se veut donc un carrefour d’initiatives. Appels à projets, coopérations Sud-Sud, financement de solutions locales, programmes d’éducation environnementale… L’espoir est dans l’action territoriale. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas à faire reculer un tsunami plastique alimenté par la mondialisation. Le combat ne fait que commencer.
L’Afrique et l’océan
L’Afrique occupe une place centrale au 3e Sommet mondial sur les océans. Avec le sommet parallèle « Afrique pour l’Océan », co-présidé par le Maroc et la France, les enjeux sont clairs : valoriser les ressources marines pour le développement, tout en garantissant leur protection. Le continent fait face à une triple menace : montée du niveau de la mer, pêche illégale, pollution.
Mais aussi une triple opportunité : coopération régionale, innovation locale, attractivité des financements. L’Union européenne y voit un terrain stratégique d’investissements, notamment via l’initiative BlueInvest Africa 2025. Objectif : connecter entrepreneurs africains de l’économie bleue et investisseurs internationaux.
Pourtant, le développement d’une économie bleue équitable ne va pas de soi. Les pays enclavés veulent aussi leur part. Les pays côtiers, eux, demandent des infrastructures résilientes, une gouvernance renforcée et des filets sociaux pour les pêcheurs locaux. L’Initiative Royale Atlantique, portée par le Maroc, met en avant la coopération Sud-Sud pour un modèle de développement endogène.
La parole africaine se fait entendre à Nice, par contre sera-t-elle vraiment prise en compte ? Entre grands discours et petits moyens, la fracture Nord-Sud demeure une réalité brutale. L’Afrique, pourtant gardienne d’immenses richesses marines, risque de voir son rôle cantonné à celui de partenaire marginal, au lieu d’acteur central.
Pêche durable et gouvernance
La gestion des ressources halieutiques est un sujet clé du sommet. La pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) ruine les efforts de conservation. Elle représente jusqu’à 20 % des captures mondiales. En Afrique de l’Ouest, des flottes étrangères opèrent impunément, parfois avec la complicité d’États corrompus.
La haute mer, hors juridictions nationales, reste difficile à contrôler. Le traité BBNJ, une fois ratifié, pourrait changer la donne. En attendant, d’ici là, la surpêche continue. Les AMP (aires marines protégées) se multiplient avec l’objectif de couvrir 30 % des océans d’ici à 2030. La France annonce des mesures contre le chalutage de fond dans ses zones protégées.
Mais protéger quoi, comment, et pour qui ? Une AMP sans contrôle ni moyens est un mirage. Les ONG exigent des garanties sur l’effectivité des mesures. Des scientifiques soulignent que certaines AMP ne sont que des « parcs papier ». La gouvernance océanique reste trop fragmentée.
Enfin, la pêche durable ne pourra se faire sans la mobilisation du secteur privé. Labels, traçabilité, certifications : les outils existent. Sans vérification indépendante ni contrôle rigoureux, ces dispositifs perdent toutefois toute crédibilité. Le sommet de Nice ambitionne de réconcilier écologie et économie. La tâche s’annonce ardue, tant la fracture est profonde et les lignes de faille nombreuses. La mer, elle, n’attend pas.
Le 3e Sommet mondial sur les océans à Nice incarne les paradoxes de la gouvernance mondiale : une mobilisation massive face à des textes non contraignants ; des ambitions proclamées en l’absence de véritables volontés politiques. Il met en lumière autant de défis que d’impasses, et soulève une question brutale : peut-on encore sauver les océans sans contraindre ceux qui les détruisent ?
DBnews, 09 juin 2025