L’avocat français Me François Zimeray, représentant les époux Bongo et leur fils Noureddine, exprime des préoccupations pour ses clients.
Six mois après le coup d’État au Gabon, l’avocat représentant les époux Ali et Sylvia Bongo Ondimba ainsi que leur fils Noureddine Bongo Valentin, revient dans un entretien accordé à Jocksy Andrew Ondo-Louemba Ovono, journaliste et écrivain, sur les conditions de détention de ses clients, les dommages collatéraux et la confiscation de leurs biens.
Jocksy Andrew Ondo-Louemba Ovono : Avez-vous des nouvelles de vos clients, Ali, Sylvia et Noureddine Bongo, six mois après le coup d’État survenu au Gabon le 30 aout 2023 ?
Me François Zimeray : Aussi surprenant que cela puisse paraître, je n’ai que des nouvelles indirectes, n’ayant pas été autorisé à rencontrer mes clients, en violation des règles les plus élémentaires dans un État de droit. Dans ma vie d’avocat et de diplomate, j’ai vu beaucoup de choses, mais je dois dire que là, nous sommes face à une situation inédite, d’autant moins justifiable que le nouveau pouvoir promettait des progrès en matière de justice, de démocratie et de droits de l’homme.
Les nouvelles que j’ai sont alarmantes, y compris pour ce qui concerne Jalil et Bilal, à qui rien n’est reproché et qui sont privés de leur liberté. Mes clients vont mal, physiquement et moralement, ce sont des êtres humains qui ont droit à leur dignité et au respect de leur intégrité.
Jocksy Andrew Ondo-Louemba Ovono : En tant qu’avocat, avez-vous été en mesure d’exercer votre métier malgré les poursuites engagées contre deux de vos clients, Sylvia et Noureddine Bongo, selon les autorités gabonaises ?
Me François Zimeray : Je n’ai pas pu faire mon métier pour deux raisons, la première, c’est que les avocats n’ont pas accès à leurs clients, ce qui, encore une fois, et totalement illégal. La seconde, c’est qu’en réalité, ils ont été incarcérés sur ordre politique en dehors de tout cadre légal.
Jocksy Andrew Ondo-Louemba Ovono : Vous avez déjà par voie de presse dénoncée les mauvais traitements infligés à Sylvia Bongo et à Nouredinne Bongo, vous avez même parlé de tortures infligées à Noureddine Bongo, vous maintenez vos propos ?
Me François Zimeray : Oui, malheureusement, et le Comité de prévention de la torture des Nations-Unies n’a pu que constater l’exactitude de ces faits. Nous avons saisi le haut-commissariat aux droits de l’homme des nations unies à Genève d’une plainte. Je n’hésiterais pas à aller plus loin si cette situation injustifiable devait encore durer. Mes clients ne sont pas au-dessus des lois, mais ils ont droit au respect de la légalité, de leur dignité et de leur intégrité physique. La justice, ce n’est pas la vengeance. Je sais que beaucoup souffrent de la précarité et vivent leur condition comme une injustice, que certaines inégalités sont choquantes. Je le comprends parfaitement, mais il ne saurait être question de prétendre réparer une injustice par un crime.
Jocksy Andrew Ondo-Louemba Ovono : Selon plusieurs informations, vos clients se font dépouiller par les nouvelles autorités, confirmez-vous ces informations ?
Me François Zimeray : Mes clients sont prêts à tourner la page. Ils sont prêts à contribuer à l’avenir du Gabon en transférant une partie de leur patrimoine à l’État. Mais nous assistons à une dépossession généralisée de tous leurs biens, y compris ceux qui étaient la propriété familiale des époux Bongo avant leur mariage. Qu’il s’agisse de patrimoine immobilier, de comptes bancaires, c’est souvent sous la contrainte que des actes ont été signés. Au profit de qui ? Il y a la villa familiale sur la plage à la Pointe-Denis, ou encore la maison ou résidait la famille Bongo avant 2009, la villa Palmeraie, la propriété de Franceville, je passe sur les voitures et les affaires personnelles et je répète ma question : au profit de qui ? Est-ce cela la justice ?
Jocksy Andrew Ondo-Louemba Ovono : Que comptez-vous faire pour assurer la défense de vos clients ?
Me François Zimeray : Il faut bien que les autorités comprennent qu’elles sont observées et que nous n’avons pas encore donné à cette situation toutes les suites judiciaires qu’elle appelle. J’ai les noms de ceux qui ont pratiqué ces tortures, de ceux qui les ont ordonnées, beaucoup d’informations me sont parvenues sur le pillage des biens de la famille. Je le répète, la famille Bongo n’est pas au-dessus des lois, mais elle a le droit au respect de la légalité et de sa dignité. Je répète également que la famille Bongo ne s’accroche pas au pouvoir et que dans le cadre d’une séparation, cette page de l’histoire du pays qu’il faut tourner, qui me fait penser à un divorce, ils sont disposés à aider le pays en transférant une partie significative de leur patrimoine au trésor public. Mais ce n’est pas ce qui se passe actuellement.
Jocksy Andrew Ondo-Louemba Ovono : Qu’est-ce que la situation de vos clients révèle du nouveau régime ?
Me François Zimeray : L’histoire n’est pas définitivement écrite, il appartient au nouveau régime de choisir entre deux voies : celle d’une autorité visionnaire, éclairée, animée du souci de la justice, du bien public et soucieuse d’ancrer le pays dans la modernité ou bien au contraire, la voie de la régression sur fond de revanche personnelle. Seul l’avenir révèlera le vrai visage de ce pouvoir
Jocksy Andrew Ondo-Louemba Ovono : Quel est votre mot de la fin ?
Me François Zimeray : Je compte sur les autorités pour s’inspirer des grands exemples de l’histoire, qui enseignent que la transition ne peut réussir que dans la réconciliation et non dans la vengeance.
Propos recueillis par Jocksy Ondo-Louemba
Publié par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME
28/03/2024