Le Premier ministre François Bayrou est arrivé ce lundi 30 décembre à Mayotte, accompagné de cinq ministres, pour une visite cruciale dans l’archipel dévasté par le cyclone Chido. Cette visite intervient deux semaines après le passage du président Macron et la mise en place des premières mesures d’urgence.
Politique & catastrophe naturelle | AM DWORACZEK-BENDOME |30/12/2024
Mayotte : un territoire sinistré face à des défis multiples
Le 14 décembre, le cyclone Chido a ravagé Mayotte avec une intensité sans précédent depuis 90 ans. Avec des vents dépassant 220 km/h et des vagues atteignant 9,30 mètres, il a provoqué des dégâts colossaux dans le département le plus pauvre de France. Le bilan humain est tragique : on parle officiellement de 39 morts, plus de 5 600 blessés, et des infrastructures essentielles – réseaux d’eau, électricité, routes, bâtiments publics – gravement endommagées. Mais au-delà de l’urgence humanitaire, cette catastrophe naturelle a révélé les vulnérabilités structurelles profondes de l’île.
Une démographie sous pression. Avec une population de 320 000 habitants, dont plus d’un tiers en situation irrégulière, Mayotte fait face à une pression démographique exceptionnelle. Cette croissance, alimentée principalement par l’immigration comorienne, surcharge des infrastructures déjà insuffisantes. Les bidonvilles, localement appelés bangas (une petite case qui n’a qu’une seule pièce), abritent plus de 100 000 personnes, dont 65 % sont des étrangers. Ces habitations précaires, faites de matériaux légers, ont été balayées par les vents violents, laissant des milliers de familles sans abri.
Une crise aggravée par la migration. La gestion de l’urgence a été compliquée par des facteurs liés à la question migratoire. La barrière linguistique a empêché certains migrants de comprendre les alertes, tandis que la peur d’être arrêtés a dissuadé de nombreux sans-papiers de se rendre dans les centres d’hébergement d’urgence. Par ailleurs, les opérations de « décasages » menées par les autorités avant le cyclone ont contraint des populations à s’installer dans des zones encore plus vulnérables.
Des tensions sociales exacerbées. Le cyclone a également ravivé des tensions communautaires déjà vives. Les accusations de vols visant des Comoriens se sont multipliées, et la maternité de Mamoudzou rapporte que 75 % des nouveau-nés ont des mères en situation irrégulière. La dégradation de la sécurité, avec des pillages signalés après le passage de la tempête, a renforcé un climat de méfiance et d’instabilité sociale.
Une réponse politique sous le feu des critiques. Face à l’ampleur de la catastrophe, le gouvernement a annoncé des mesures d’urgence, dont une augmentation des expulsions de 25 000 à 35 000-40 000 par an, l’interdiction de reconstruire les bangas et la mise en place d’une loi spéciale pour « rebâtir Mayotte ». Si ces annonces visent à répondre aux défis structurels, elles suscitent par ailleurs des interrogations sur leur faisabilité et leur impact social.
La catastrophe du cyclone Chido a mis en lumière une vérité cruelle : Mayotte, en proie à des tensions migratoires, sociales et économiques, est un territoire profondément vulnérable, à la croisée des chemins entre reconstruction et marginalisation.
« L’État au chevet de Mayotte »
Cyclone Chido. Retour sur le passage du président Emmanuel Macron
La visite d’Emmanuel Macron à Mayotte, les 19 et 20 décembre 2024, s’est inscrite dans un contexte de crise majeure provoquée par le passage dévastateur du cyclone Chido. Ces deux journées ont été marquées par des gestes symboliques forts, des annonces d’urgence et des engagements ambitieux pour l’avenir d’un territoire déjà fragilisé par des disparités structurelles.
Un constat accablant sur le terrain. Dès son arrivée, Emmanuel Macron avait survolé en hélicoptère les zones les plus touchées pour mesurer l’ampleur des destructions. À Mamoudzou, il s’était rendu au centre hospitalier, gravement endommagé, puis dans les bangas, ces habitats précaires où vivent une grande partie des Mahorais et qui avaient subi d’importants dégâts. Ce déplacement avait révélé la vulnérabilité criante des infrastructures et la détresse profonde des habitants, pris entre les ravages du cyclone et les fragilités structurelles de l’île.
Des mesures d’urgence pour répondre à la détresse immédiate. Conscient de l’urgence, le président avait annoncé un ensemble de mesures immédiates. Un fonds d’indemnisation spécifique avait été créé pour les non-assurés, et 600 000 litres d’eau potable avaient commencé à être distribués quotidiennement, à raison de deux litres par habitant. Un système provisoire de rotation avait été mis en place pour rétablir progressivement l’accès à l’eau dans tous les foyers. Ces initiatives visaient à répondre aux besoins vitaux de la population, lourdement affectée par le passage du cyclone.
Vers une reconstruction durable et résiliente. Au-delà des mesures d’urgence, Emmanuel Macron avait dévoilé un plan ambitieux de reconstruction. Sous le mot d’ordre « rebâtir Mayotte différemment », ce programme comprenait des normes renforcées pour la reconstruction des écoles, des habitations et des infrastructures hospitalières. Le président avait également insisté sur la nécessité de lutter contre l’immigration clandestine, qu’il avait qualifiée de facteur aggravant des vulnérabilités locales, une position inscrite dans une stratégie plus large de maîtrise des flux migratoires dans l’archipel.
Une implication présidentielle marquée. Pour souligner l’importance de la crise, Emmanuel Macron avait prolongé sa visite d’une journée, se rendant dans les zones les plus reculées et dialoguant directement avec les habitants. Il avait aussi décrété une journée de deuil national le 23 décembre dernier, en hommage aux victimes du cyclone, un geste solennel destiné à unir la nation autour de Mayotte. Depuis l’archipel, il avait présidé une réunion de crise interministérielle pour coordonner les efforts de l’État.
Une attente d’actes à la hauteur des promesses. Si cette visite avait permis de mettre en lumière l’ampleur des défis et d’annoncer des mesures importantes, elle avait aussi souligné la nécessité d’un accompagnement durable. La reconstruction, avait rappelé le président, ne pouvait se limiter à des actions ponctuelles. Pour Mayotte, le cyclone Chido n’aura été que le révélateur d’une précarité ancienne, que seule une mobilisation à long terme permettra de surmonter.
Les défis structurels révélés par la crise et « Mayotte Debout »
Le passage du cyclone a mis en lumière les fragilités profondes de Mayotte, 101ᵉ département français. Avec un niveau de vie médian six fois inférieur à celui de la métropole, des inégalités quatre fois plus marquées, et 40 % des habitations en situation informelle ou illégale, l’île fait face à une crise sociale sans précédent. La situation est particulièrement alarmante pour les mineurs : 80 % des enfants vivent sous le seuil de pauvreté.
L’immigration ajoute à ces tensions, un tiers de la population se trouvant en situation irrégulière, souvent reléguée dans des bidonvilles aux conditions de vie précaires. Cette réalité complexe a été exacerbée par les destructions causées par le cyclone, soulignant l’urgence d’une réponse adaptée.
« Mayotte Debout » : un plan entre urgence et long terme. Articulé autour de mesures d’urgence et d’objectifs structurels, ce programme vise en priorité le rétablissement des services essentiels tels que l’accès à l’eau potable et à l’électricité. La reconstruction des infrastructures éducatives, avec une rentrée scolaire fixée au 20 janvier, figure également parmi les priorités. En matière de santé, des réservistes et un hôpital de campagne ont été mobilisés pour pallier les lacunes du système existant.
La visite de François Bayrou et de sa délégation ministérielle marque un tournant dans la réponse étatique. Toutefois, le succès du plan dépendra de sa capacité à s’attaquer aux défis structurels de l’île, au-delà de l’urgence immédiate. Mayotte attend désormais des solutions pérennes pour sortir d’un cycle de précarité chronique.
Une réponse gouvernementale sans précédent
Face à l’urgence humanitaire et aux destructions massives, le gouvernement a annoncé un plan d’action d’une ampleur inédite. Baptisé « Mayotte Debout », ce dispositif a été dévoilé par le Premier ministre François Bayrou ce 30 décembre. Il combine des mesures d’urgence à des projets de reconstruction à long terme. Une loi spéciale, calquée sur le modèle de celle adoptée pour la restauration de Notre-Dame, sera présentée en Conseil des ministres le 3 janvier. Celle-ci introduira des dérogations en matière d’urbanisme et de fiscalité, visant à accélérer la remise sur pied du territoire. La coordination des travaux sera confiée à un établissement public dédié, épaulé par des dispositifs exceptionnels pour renforcer les capacités d’action des collectivités locales.
Les défis d’une reconstruction durable. Cependant, la tâche ne se limite pas à la simple réparation des infrastructures détruites : il s’agit de répondre aux défis structurels qui plombent l’avenir de Mayotte. Le gouvernement affiche son ambition de « dessiner un avenir différent » pour l’île, mais la route est semée d’embûches. L’immigration clandestine, la pauvreté chronique et la vulnérabilité face aux catastrophes climatiques constituent autant de problématiques à résoudre simultanément.
Les collectifs citoyens, de leur côté, mettent la pression sur l’exécutif. Ils exigent un « plan de reconstruction rapide et structuré », ainsi que la mise en place d’un fonds solidaire exceptionnel pour faire face à l’ampleur des besoins. La réussite de ces efforts ne sera pas uniquement mesurée à l’aune de la reconstruction matérielle, mais également à travers la capacité de Mayotte à sortir de son statut de « territoire oublié » de la République.
DBnews