Le Mali connaît un bouleversement inattendu au sommet de sa hiérarchie militaire. Une promotion massive et controversée propulse les principaux acteurs du coup d’État de 2020 aux plus hauts grades de l’armée.
Publié par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | 17 octobre 2024
Une ascension fulgurante qui fait débat
Le Conseil des ministres du mercredi 16 octobre 2024 a marqué un tournant significatif dans l’histoire militaire et politique du Mali. Dans une décision qui ne manquera pas de faire couler beaucoup d’encre, les principaux artisans du coup d’État d’août 2020 ont été élevés aux grades les plus élevés de la hiérarchie militaire. Le Colonel Assimi Goïta, figure de proue de la junte et actuel Président de la Transition, a été promu Général de Corps d’Armée à titre exceptionnel. Il est accompagné dans cette ascension par ses compagnons d’armes : Sadio Camara, Modibo Koné, Malick Diaw et Ismaël Wagué, tous élevés au même grade. Abdoulaye Maïga, quant à lui, accède au grade de Général de Division à titre exceptionnel.
Cette promotion collective, intervenant quatre ans et demi après leur prise de pouvoir, soulève de nombreuses questions sur son timing et ses motivations. Elle survient dans un contexte militaire particulièrement délicat pour le Mali, notamment après les revers subis à Tinzawaten en juillet 2024. L’armée malienne et les mercenaires du groupe Wagner y ont essuyé de lourdes pertes, sans parvenir à reprendre le contrôle de cette ville stratégique aux portes de l’Algérie. Face à ces échecs militaires, cette élévation express apparaît pour beaucoup comme une tentative de diversion, visant à détourner l’attention des récentes défaites sur le terrain.
Les autorités maliennes justifient ces ascensions comme s’inscrivant dans le cadre d’une « réorganisation de l’appareil sécuritaire malien ». Cependant, le fait que les cinq nouveaux généraux conservent leurs postes actuels jette un doute sur la réalité de cette réorganisation. Plus cyniquement, certains observateurs y voient une manœuvre destinée à consolider le pouvoir de la junte avant l’organisation tant promise des élections présidentielles. Dans cette optique, ces galons supplémentaires pourraient être interprétés comme une tentative de sécurisation des positions acquises par les acteurs du coup d’État.
Un remaniement militaire aux multiples facettes
Au-delà des promotions exceptionnelles accordées aux figures de la junte, le Conseil des ministres a également procédé à une série d’autres nominations au sein de la hiérarchie militaire. Cinq Généraux de Brigade ont été élevés au grade de Général de Division : Daoud Aly Mohammedine, Abdrahamane Baby, Abdoulaye Cissé, Moussa Moriba Traoré et Keba Sangaré. Ces promotions, bien que moins médiatisées, témoignent d’un remaniement plus large au sein des forces armées maliennes.
Les autorités maliennes ont tenu à souligner que ces élévations en grade s’inscrivent dans le cadre des recommandations du Dialogue inter-Maliens. Elles seraient ainsi une reconnaissance des « acquis enregistrés ensemble et la conquête de l’intégrité du territoire ». Cette justification officielle vise à ancrer ces promotions dans une dynamique nationale de réconciliation et de reconquête territoriale. Cependant, elle peine à convaincre face aux réalités du terrain et aux défis sécuritaires persistants auxquels le Mali est confronté.
Cette vague de promotions soulève également des questions sur l’équilibre des pouvoirs au sein de l’État malien. Avec Assimi Goïta comme Président de la Transition, Sadio Camara à la Défense, Ismaël Wagué à la Réconciliation, Modibo Koné à la tête du renseignement et Malick Diaw présidant le Conseil National de transition. C’est l’ensemble des leviers du pouvoir qui se trouve désormais entre les mains de généraux issus du coup d’État de 2020. Cette concentration du pouvoir militaire et politique interroge sur les perspectives de retour à un ordre constitutionnel normal et sur la tenue effective des élections promises.
Un avenir incertain pour le Mali
Ces avancements interviennent à un moment crucial pour le Mali. Le pays fait face à des défis sécuritaires majeurs, avec une partie de son territoire échappant toujours au contrôle de l’État. La récente défaite à Tinzawaten et l’échec de sa reconquête ont mis en lumière les limites de la stratégie militaire actuelle. Dans ce contexte, l’élévation en grade des principaux dirigeants militaires et politiques peut être perçue comme un geste d’auto-congratulation inopportun.
La transition politique, initialement prévue pour durer 18 mois, s’étire dorénavant sur plus de quatre ans, sans perspective claire de son terme. La promesse d’un retour à l’ordre constitutionnel et l’organisation d’élections libres et transparentes semblent s’éloigner à mesure que la junte consolide son emprise sur les institutions.
Cette distinction collective au plus haut grade de l’armée pourrait être interprétée comme un signe de la volonté de la junte de s’inscrire dans la durée. Elle soulève des interrogations légitimes sur l’avenir démocratique du Mali et sur la capacité du pays à surmonter ses défis sécuritaires et politiques actuels.
Alors que le Mali continue de faire face à une situation sécuritaire précaire et à des défis politiques majeurs, ces nominations militaires apparaissent comme un pari risqué. Elles pourraient soit galvaniser les forces armées dans leur lutte contre l’insécurité, soit creuser davantage le fossé entre les dirigeants et une population en attente de changements concrets. L’avenir dira si cette décision aura été un tournant positif pour le Mali ou un pas de plus vers une militarisation durable du pouvoir.
DBnews