Le rôle de Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée « 3M » dans la transition au Gabon

L’apparition de Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée « 3M », à la Cour internationale de Justice de La Haye le 30 septembre 2024, a provoqué une forte réaction au sein de la société gabonaise. Après avoir présidé la Cour constitutionnelle pendant 32 ans, marquée par un manque total d’impartialité et divers abus, elle se positionne désormais comme défenseure des intérêts du Gabon, et non plus exclusivement de ceux de la famille Bongo. Cette situation ne représente pas seulement une contradiction saisissante, mais elle soulève également de graves questions quant à l’authenticité et l’intégrité de la transition politique en cours au Gabon.

 

Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | 3 octobre 2024

Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée
Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée « 3M », à la Cour internationale de Justice de La Haye.

Une nomination controversée : Le passé qui ne passe pas !

La réactivation du titre « honoraire » de présidente de la Cour constitutionnelle pour Mme Mborantsuo n’est pas qu’un simple acte administratif. C’est un véritable séisme politique qui ébranle les fondements mêmes de la transition. La confirmation de cette nomination est perçue comme un affront direct aux aspirations de renouveau du peuple gabonais, qui a longtemps souffert sous le joug d’un système judiciaire partial et soumis au pouvoir exécutif.

La décision de confier la défense des intérêts nationaux à une personnalité si étroitement associée aux dérives du régime précédent soulève des interrogations légitimes sur la volonté réelle de changement. Elle ravive les souvenirs douloureux des décisions de justice controversées, des élections contestées, et des modifications constitutionnelles opportunistes qui ont jalonné les trois dernières décennies de l’histoire gabonaise.

Le choix du Président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, est interprété par beaucoup comme un signal alarmant. Il suggère une continuité troublante avec les pratiques du passé, plutôt qu’une rupture nette tant espérée par la population. Cette décision a le potentiel de saper la confiance fragile accordée au nouveau régime et de compromettre sérieusement le processus de transition démocratique.

Les contradictions flagrantes de la transition

La présence de Mme Mborantsuo à la CIJ ne se limite pas à une simple question de représentation. Elle met en lumière les contradictions profondes et les ambiguïtés qui caractérisent la transition politique gabonaise. Cette mission, cruciale pour l’avenir de la nation, soulève des questions fondamentales sur le processus décisionnel au sommet de l’État et sur l’influence persistante et potentiellement néfaste des acteurs de l’ancien régime.

Comment expliquer qu’une figure si emblématique de l’ancien système, dont la légitimité est contestée par une grande partie de la population, puisse être choisie pour représenter les intérêts du Gabon sur la scène internationale ? Cette situation met en évidence la difficulté de la transition à se défaire des anciennes pratiques, des réseaux d’influence établis, et des loyautés personnelles qui ont longtemps primé sur l’intérêt national.

Cette présence inappropriée jette une ombre sur les promesses de changement et de transparence. Elle laisse entrevoir la possibilité inquiétante que les structures de l’ancien régime, loin d’avoir été démantelées, conservent une influence significative dans les coulisses du pouvoir. Ce constat alarmant soulève des doutes sérieux sur la capacité du nouveau gouvernement à mener à bien les réformes profondes nécessaires pour établir une véritable démocratie au Gabon.

Marie-Madeleine Mborantsuo, dite « 3M », connue sous le surnom populaire de « Tour de Pise »
Marie-Madeleine Mborantsuo, dite « 3M », connue sous le surnom populaire de « Tour de Pise »

Les bourreaux toujours aux commandes du Gabon

La participation de Mme Mborantsuo n’est pas un incident isolé. Jean François Ndoungou, ancien ministre de l’intérieur qui a conduit la répression aveugle, violente, sanglante et meurtrière de Port-Gentil en 2009, lors de la première élection de l’ancien président Ali Bongo Ondimba, est aujourd’hui le président de l’assemblée nationale de Transition. Un cas parmi tant d’autres tout aussi emblématique. L’affaire Marie-Madeleine Mborantsuo s’inscrit dans un schéma plus large qui suggère une continuité préoccupante avec un passé que de nombreux Gabonais espéraient voir relégué aux oubliettes de l’histoire. Cette décision remet fondamentalement en question la sincérité des promesses de changement et de renouveau formulées lors du coup d’État du 30 août 2023.

La mémoire collective gabonaise reste profondément marquée par les décisions judiciaires contestées, les élections entachées d’irrégularités, et les modifications constitutionnelles opportunistes qui ont permis la perpétuation d’un système de pouvoir familial et clanique. La présence de Mme Mborantsuo à La Haye est perçue non seulement comme une offense aux victimes des régimes précédents, mais aussi comme un déni de justice pour tous ceux qui ont lutté, souvent au péril de leur vie, pour un Gabon plus juste et plus démocratique.

Cette situation soulève des questions cruciales sur la nature même de la transition en cours. S’agit-il d’un véritable processus de transformation démocratique ou simplement d’un réarrangement cosmétique des anciennes structures de pouvoir ? La persistance de figures emblématiques de l’ancien régime dans des positions d’influence suggère que les racines de l’autoritarisme et de la corruption sont plus profondes et plus résistantes qu’on ne le pensait initialement.

30 aout 2023 : un leurre ou un affranchissement véritable ?

Le Gabon, malgré ses défis, dispose d’un vivier impressionnant de juristes qualifiés et intègres, formés dans certaines des institutions les plus prestigieuses du monde. Ces professionnels, libres des compromissions du passé et animés par un véritable désir de changement, semblent parfaitement capables de défendre les intérêts nationaux avec compétence et dignité sur la scène internationale.

Pourtant, le choix s’est porté sur une figure controversée de l’ancien système, ce qui soulève des interrogations légitimes sur les motivations réelles derrière cette décision. Cette situation met en lumière la persistance possible de pratiques de favoritisme et de népotisme qui ont longtemps caractérisé la gouvernance gabonaise. Elle soulève également des questions sur la volonté réelle du nouveau régime de valoriser les compétences nationales et de promouvoir une nouvelle génération de leaders.

Ce choix est d’autant plus problématique qu’il envoie un message décourageant à la jeunesse gabonaise. Il suggère que, malgré les discours sur le changement et le renouveau, les anciennes pratiques de cooptation et de recyclage des élites restent la norme. Cela risque de perpétuer un système où la loyauté personnelle et les connexions politiques priment sur le mérite et la compétence, au détriment du développement du pays et de l’émergence d’une véritable méritocratie.

Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée
Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée « 3M », à la Cour internationale de Justice de La Haye.

Le renouveau ou rien !

Face à ces constats alarmants, il apparaît plus que jamais nécessaire d’opérer une rupture claire et définitive avec les pratiques du passé. Un simple changement de façade ou des réformes superficielles ne suffiront pas à répondre aux aspirations profondes du peuple gabonais. Ce qui est requis, c’est une transformation radicale et profonde des institutions et des pratiques politiques du pays.

Cette rupture doit s’accompagner d’un véritable processus de justice transitionnelle, permettant de faire la lumière sur les abus du passé et d’établir les responsabilités. Sans ce travail de mémoire et de justice, il sera difficile de construire une société véritablement réconciliée et tournée vers l’avenir.

La présence continue de figures emblématiques de l’ancien régime dans des positions d’influence est perçue comme un obstacle majeur à ce processus de changement. Elle alimente la méfiance de la population et compromet la légitimité des nouvelles institutions. Cette situation représente un test crucial pour la transition politique en cours : soit le Gabon trouve le courage de rompre définitivement avec son passé autoritaire, soit il risque de reproduire les erreurs qui l’ont maintenu pendant si longtemps dans un état de stagnation politique et économique.

Vigilance Citoyenne

Dans ce contexte complexe et incertain, la vigilance et l’engagement des citoyens gabonais apparaissent comme des éléments clés pour la réussite de la transition. La société civile, les médias indépendants, et les mouvements citoyens ont un rôle capital à jouer pour exiger la transparence, dénoncer les dérives, et maintenir la pression sur les autorités de transition.

Il est essentiel d’exiger une transparence totale sur le processus qui a conduit à la présence de Mme Mborantsuo à La Haye. Qui sont les véritables décideurs derrière cette désignation contestée ? Quels intérêts servent-ils ? Pourquoi avoir ignoré les nombreux talents nationaux au profit d’une figure si étroitement associée à l’ancien régime ?

L‘affaire Mborantsuo doit être considérée comme un test décisif pour la transition démocratique au Gabon. Elle met en lumière les défis immenses auxquels le pays est confronté dans sa quête d’un véritable renouveau politique. Le Gabon a urgemment besoin d’une nouvelle génération de dirigeants, caractérisés par leur intégrité, leur compétence, et leur vision progressiste pour l’avenir du pays.

Conflit frontalier Guinée Équatoriale – Gabon : 30 septembre 2024, Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée
Conflit frontalier Guinée Équatoriale – Gabon : 30 septembre 2024, Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée « 3M », à la Cour internationale de Justice de La Haye.

 L’Avenir du Gabon

Le Gabon se trouve à un carrefour critique de son histoire. La présence de « 3M » à La Haye est un révélateur puissant des défis profonds auxquels le pays est confronté dans sa quête de démocratie et de bonne gouvernance. Cette situation appelle à une prise de conscience nationale et à un engagement citoyen sans précédent. Le peuple gabonais ne peut se permettre de rester spectateur passif de sa propre histoire. Il doit s’approprier le processus de transition, exiger des comptes de ses dirigeants, et participer activement à la construction d’un nouvel ordre politique plus juste et plus démocratique.

L’avenir du Gabon dépend de sa capacité à se libérer véritablement des chaînes de son passé autoritaire et à embrasser un futur où l’intégrité, la compétence, et l’intérêt national prévalent sur les anciennes loyautés et les intérêts personnels. Le chemin vers une véritable démocratie sera sans doute long et semé d’embûches, mais c’est un voyage que le peuple gabonais ne peut se permettre de retarder. La vigilance citoyenne, la mobilisation de la société civile, et l’émergence d’une nouvelle classe politique intègre et compétente seront les clés d’un véritable renouveau démocratique. C’est à ce prix que le Gabon pourra enfin tourner la page de décennies d’autoritarisme et s’engager sur la voie d’un développement durable et équitable pour tous ses citoyens.

Mensonge et trahison

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