La stabilité de l’Afrique de l’Ouest menacée par la guerre en Ukraine
« Les céréales sont importantes pour les exportations et les exportations sont importantes pour la stabilité d’un pays”, explique Philippe Dubief, le patron de Passion céréales, une association française mise sur pied par les professionnels de ce secteur au centre de bien des attentions depuis le 24 février et le début de la guerre en Ukraine et l’envolée des prix des céréales.
“Personne n’a oublié qu’en 2011, le printemps arabe est notamment né du mécontentement populaire suite à l’augmentation du prix du pain en 2010”, explique un autre expert français qui abonde ainsi dans le sens de Carmen Reinhart, l’économiste en chef de la Banque mondiale, qui disait la semaine dernière ses “préoccupations pour la sécurité alimentaire” et “les risques de troubles sociaux alors que les conséquences de la guerre en Ukraine sont encore à venir”, dans une interview accordée à l’agence Reuters.
À l’issue du sommet Versailles, vendredi 11 mars, le président français Emmanuel Macron ne cachait pas son “inquiétude” d’une déstabilisation “sur le plan alimentaire” et invitait les Européens à “réévaluer une stratégie à l’égard de l’Afrique”.
Depuis des mois, nombre de pays africains font face à une succession de soucis qui tendent les relations sociales, attisent les mécontentements et plongent des millions de personnes dans une situation d’urgence alimentaire. Vingt-six millions d’Africains seraient concernés par cette crise alimentaire rien qu’en Afrique de l’Ouest, dans une région qui va du Sénégal à la République centrafricaine. Un chiffre actuel qui ne tient pas encore compte de l‘impact de la crise actuelle, qui devrait faire bondir ce chiffre de 50 pour cent, pour flirter avec la barre de 40 millions de personnes qui nécessiteront une aide alimentaire dès cet été.
Météo, djihadisme et Covid-19
La crise ukrainienne n’est souvent “que” la dernière étape – la plus aiguë – de cette descente aux enfers marquée par des récoltes céréalières décevantes en 2021 suite aux mauvaises conditions climatiques mais aussi, dans cette région qui englobe 19 pays, aux différents conflits qui ont jeté des millions de personnes sur les chemins de l’exode, sans oublier évidemment le Covid-19 qui a empêché ou freiné les échanges commerciaux et avait déjà poussé à la hausse le bien de certains produits.
Le cocktail était déjà explosif et avait déjà contraint plusieurs gouvernements de la région à intervenir en augmentant les subventions ou en interdisant les exportations, ce qui a évidemment un coût pour ces pouvoirs qui n’ont souvent que très peu de marge budgétaire. Aujourd’hui, nombre de pays qui dépendent largement des exportations ukrainiennes ou russes tentent d’éviter un emballement des prix et de trouver des parades à l’arrêt de ces exportations. La Russie a en effet annoncé qu’elle suspendait les exportations de ses produits agricoles jusqu’à la fin de l’année et les routes ukrainiennes (les ports de la Mer noire) sont impraticables.
Mercredi 9 mars, le gouvernement ivoirien a pris la décision de plafonner les prix de certains produits de première nécessité comme le riz local, la farine, les viandes, le prix des transports, l’eau, l’électricité, les télécommunications et l’internet. “Un geste fort limité à trois mois”, explique un membre du ministère de l’Agriculture et du Développement rural envoyé sur les marchés pour vérifier le respect des mesures “généralement bien appliquées”.
Face à cette tension généralisée sur les prix, l’organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) préconise un “élargissement des filets sociaux pour assurer une protection aux personnes vulnérables”. Mais dans cette région d’Afrique structurellement pauvre les gouvernements n’auront pas la capacité de venir en aide à leur population. La grogne risque donc d’enfler dans des régions ou le mécontentement face aux absences de réponse de l’État a déjà fait de lit de différents mouvements djihadistes qui ne font pourtant qu’accentuer la crise…
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Avec La Libre Afrique