Immersion au cœur des mines de cobalt en RDC



Immersion au cœur des mines de cobalt en RDC

Immersion au cœur des mines de cobalt en RDC

Selon l’AFP, l’Europe achète actuellement à la Chine 98% de leurs métaux rares, indispensables pour de nombreuses technologies vertes. Pékin détiendrait en outre 60% de la capacité de production mondiale de batteries, d’éoliennes et de panneaux solaires. En pleine révision du contrat minier conclu par Kabila avec la Chine en 2008 sous forme de troc de cobalt et de cuivre contre la construction d’infrastructures en RDC, l’inspection générale des finances de la RDC pointe du doigt la distorsion entre les gains chinois qui s’élèveraient à 76 milliards de dollars et les 3 milliards investis dans les infrastructures par la Chine.

Au cœur de ces problématiques figurent les mines. Et c’est dans ce secteur controversé que s’est immiscé Brieuc Debontridder, envoyé comme consultant en RDC pour mettre en œuvre les processus de relocalisation des populations déplacées par le secteur minier. Absorbé par son travail, il restera 4 ans sur le projet minier de TFM (Tenke Fungurume Mining SA) opéré à l’époque par l’entreprise américaine Freeport McMoran. Il sera également mandaté par l’Université de Berkeley pour une analyse sur les conditions de travail des enfants dans les mines artisanales de cobalt et de cuivre avec le soutien de Samsung, Apple et consorts, suite à un rapport d’Amnesty International les condamnant pour le manque de traçabilité de leurs produits. Témoin des activités de ce secteur complexe et intense, il transmet son expérience et le savoir acquis à travers un récit documentaire intitulé « République Démocratique du Cobalt », agrémenté de photographies.

Entretien avec l’auteur

Comment s’est déroulée la genèse de ce livre ?

Quand je suis allé au Congo j’étais un peu frustré de voir dans les médias, les documentaires ou les reportages que le narratif dominant était très négatif et très stigmatisant vis-à-vis des Congolais, voire de l’Afrique de manière générale. Or, les personnes que je côtoyais étaient des acteurs de changement, qui avaient envie de vivre leur vie normalement et qui étaient loin des représentations de personnes corrompues, violentes ou victimes. Je me suis dit que j’avais envie de partager leurs histoires. Je voulais aussi rendre le sujet complexe de l’exploitation minière en Afrique plus accessible à un large public.  Il existe énormément de documentation sur le sujet, c’est très riche, mais peu accessible à un large public. Ce qui parle aux gens, ce sont les histoires et c’est ce que j’ai essayé de faire dans ce livre.

Quand on entend le mot mines, encore plus mine de cobalt, on pense généralement à exploitation, pollution, danger, pauvreté, violence. Vous semblez être plus nuancé sur le sujet. C’était important pour vous de mettre ça en exergue ?

Le système extractif reste extrêmement destructeur. Dans mon livre, il est clair que je marche sur un fil en équilibriste. Mon intention n’est absolument pas de dire qu’on peut faire l’extraction de manière durable et qu’il faut continuer. Je veux remettre totalement en question notre mode de fonctionnement mais je voudrais qu’on en parle honnêtement. Nous avons développé des sociétés qui sont dépendantes de l’extraction et comme pour toute forme de dépendance, il faut pouvoir en parler ouvertement. Il faut arrêter de dire que c’est une honte parce que quand on rentre chez nous on se rend très vite compte qu’il y a plein de métaux dans tous nos objets du quotidien. Et d’où viennent-ils ? Des mines. J’ai envie de relier ce sujet à notre quotidien et de dire, « On a un problème, on est accros et on s’autodétruit ». Comment fait-on pour changer ? On ne va pas changer du jour au lendemain, on ne va pas arrêter de consommer et d’extraire comme des fous. Donc pour moi, il y a deux choses à faire : réduire drastiquement notre consommation et tendre vers l’économie circulaire, la réutilisation, etc. Mais il faut aussi reconnaître qu’on doit travailler avec le secteur minier et qu’on doit réglementer et faire le suivi sur le terrain pour s’assurer que les impacts soient le moins négatifs possible. Il y a des mesures d’atténuation que l’on peut mettre en place et j’ai le sentiment que sur l’aspect social il y avait moyen de faire en sorte que la population locale soit bien traitée.

Immersion au cœur des mines de cobalt en RDC
©Brieuc DEBONTRIDDER

Vous donnez beaucoup de vous-même dans ce livre. Vous exposez votre histoire personnelle, vos questionnements, vos contradictions et vos préjugés. Pourquoi ce choix d’écriture très introspectif ?

Dans mon livre, j’écris : “Nous sommes le système que nous condamnons”. En travaillant dans le secteur minier, je me suis rendu compte que tout le monde se pointe du doigt et que personne ne se sent vraiment responsable. Or, moi ce qu’on m’a appris c’est que l’autre est un miroir et que c’est important de voir quelle est notre contribution dans cette relation. J’ai remarqué qu’il y avait cette même dynamique au niveau international. On n’arrive plus à prendre notre part de responsabilité. On est dans un système tellement complexe qu’on se pointe du doigt sans chercher à comprendre sa perspective. J’avais envie de sortir de cette logique en prenant mes responsabilités. J’avais également envie de partager mon processus de décolonisation, de déconstruction de mes idées reçues sur l’Afrique. Si moi je ne suis pas capable de me déconstruire, je ne peux pas reprocher aux gens, ni au système, de ne pas changer.

Ce qui est marquant dans ce livre c’est l’absence de structures et d’encadrement étatique en RDC. L’appréciation de TFM par les populations locales est d’ailleurs notamment due à son rôle protecteur, aux jobs qu’elle garantit, à la prise en charge des populations qu’elle offre. Entre bourreau et bienfaiteur, c’est un rôle bien particulier qu’elle endosse…

Oui, en effet. L’absence de l’État se fait vraiment ressentir parce que, il n’y a rien à faire, les caisses ne sont pas très remplies, puis il y a de la corruption et un système administratif défaillant. Dans ce vide, l’entreprise construit des routes, des écoles, organise des activités, etc. et donc ça crée des attentes de la part de la population locale. Sauf que l’entreprise ne peut pas remplacer un État, ni une ONG, et c’est difficile de trouver la limite. Après, je ne dis pas que l’État était 100% absent. On consultait les autorités locales en fonction du domaine dans lequel on travaillait, notamment l’éducation. L’État était évidemment content que l’entreprise prenne en charge des coûts relatifs à l’éducation par exemple sauf qu’à un certain moment, l’entreprise s’en va et c’est lui qui devrait prendre le relais…

Selon vous, une réglementation accrue du secteur, l’investissement de l’État dans l’éducation, la santé, et des modèles de consommation et de production durables, grâce notamment à l’argent généré par les exploitations minières, sont la clé pour s’affranchir des pressions internationales et préserver la culture, l’environnement et les richesses de ce pays. Est-ce une perspective à laquelle vous croyez réellement aux vues des politiques et des dynamiques actuelles ?

Je n’y crois pas vraiment, mais je veux rester connecté à la réalité. C’est comme le fait de travailler dans le secteur minier, ce n’est pas parce que je le condamne sur certains aspects que je refuse de travailler au sein du secteur pour améliorer les pratiques. Le secteur a besoin de personnes qui sont formées et qui vont appliquer les normes. Maintenant, c’est très complexe parce que je pense que c’est la volonté de nombreux gouvernements africains d’exploiter leurs ressources. Cela touche aux questions de développement et de modernité dont ils subissent l’injonction. Je souscris à ce que dit l’auteur sénégalais Felwine Sarr qui explique que l’Afrique est coincée entre ses traditions et une modernité imposée de l’extérieure et qu’elle doit se réapproprier sa culture, ses richesses et ses traditions pour construire une modernité africaine. Sarr parle notamment d’économie relationnelle car là où l’Occident a développé une économie financière quantitative, l’Afrique, elle, a développé une économie relationnelle. Je pense qu’elle doit promouvoir ça et résister le plus possible à l’exploitation de ses ressources. Le rôle que je vois, notamment pour l’EU, c’est de travailler avec ces pays et de mettre à disposition son expertise en matière de gestion pour gérer les impacts de ces mines et faire en sorte qu’elles soient les moins destructrices possible pour l’environnement et les populations actuelles et futures. Il y a également des mouvements et des personnes très engagées en RDC. La société civile est de plus en plus présente sur ces questions. Il faut à tout prix les soutenir et exiger de la transparence.

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©Brieuc DEBONTRIDDER

Dans le dernier volet de votre livre, vous parlez de la présence grandissante de la Chine, qui a notamment racheté TFM, ce qui, selon vous, laisse présager des pratiques moins respectueuses des populations et de l’environnement. Après toute cette expérience mitigée chez TFM, comment percevez-vous aujourd’hui l’avenir du secteur minier en RDC ?

Les entreprises chinoises détiennent aujourd’hui une grande majorité des concessions minières. Je n’ai plus les chiffres précis en tête mais je dirais que ⅔ des sites sont gérés par les entreprises minières industrielles chinoises. Je base également mon avis sur ce que je lis et ce que j’entends de mes collègues à TFM, qui a évolué depuis que les Chinois sont arrivés. Je pense qu’il y a une volonté de leur part d’essayer d’améliorer leurs pratiques mais ça ne semble pas aussi ambitieux que ça l’était sous les Américains. Après, j’y retourne prochainement et je suis très curieux de voir comment les choses se passent.

Mille cinq-cents kilomètres carrés de terrains et de forages, des bassins géants de déchets toxiques, des nappes phréatiques vidées, une consommation d’énergie folle… Cependant, vous dites : « Ces précieuses ressources sont aussi requises pour couvrir les besoins de la transition énergétique afin de lutter contre le changement climatique auquel, paradoxalement, le secteur contribue grandement ». Pour vous, la transition écologique en cours n’aura pas lieu sans l’aide des secteurs miniers de la RDC ? 

Il existe un narratif dominant pour la transition écologique qui suppose qu’on a besoin de ces métaux et qu’il n’y a pas le choix, etc. C’est ce genre de discours qui justifie la tendance à l’ouverture de mines dans les eaux profondes, qui est une boite de pandore qu’il faut à tout prix éviter. Selon moi, la logique actuelle, c’est de remplacer un système destructeur par un autre, voire de l’empirer au nom de la transition écologique. Je condamne ce discours mais la construction d’éoliennes, de panneaux solaires ou de batteries requiert, c’est vrai, des métaux. Je trouve que c’est très difficile pour les personnes qui travaillent, notamment au niveau de l’Union Européenne, de savoir quelle stratégie à long terme mettre en œuvre puisque l’Europe est extrêmement dépendante de la Chine et que celle-ci va continuer à accroitre son emprise sur l’exploitation des métaux. Nous aussi, nous avons besoin de transiter vers des éoliennes et des modes de fonctionnement plus renouvelables. Il y a la dimension idéologie et puis il y a la dimension action.

Mais l’apport des nouvelles technologies écologiques est-il comparable à la pollution générée pour leur fabrication ?

Cela reste du techno-solutionnisme qui n’apporte pas la solution. On ne se rend pas du tout compte de l’impact de la production de tous ces métaux et de notre empreinte métallique. C’est dramatique. Pour faire un téléphone, il faut jusqu’à une cinquantaine de métaux qui nécessitent d’extraire plusieurs tonnes de matériaux. Selon moi, il faut d’abord remettre en question la dynamique actuelle et investir massivement dans le recyclage, la réutilisation, la réparation, etc. Mais si on veut sortir rapidement du pétrole et du nucléaire, on a besoin de plus de métaux…

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©Brieuc DEBONTRIDDER

Vous mentionnez une collègue dont le travail est en partie d’identifier et de protéger la faune et la flore endémiques, de préserver et rétablir la couche végétale, d’éviter la contamination des sols et des nappes phréatiques, de gérer les déchets miniers, etc.. Cette compensation vous semble-t-elle suffisante et surtout réaliste pour contrer les effets polluants des mines ?

De toute façon, pour la plupart des sites miniers dans le monde, la réhabilitation c’est presque le néant. C’est aussi parce que ça demande énormément de ressources. Il faut réutiliser les machines qui ont servi pour extraire les matériaux pour aller ramener les roches dans la carrière, restituer la couche végétale, replanter et entretenir les plantations. Et, malgré les engagements du secteur à mieux intégrer ces dimensions, il y a des entreprises qui déclarent faillite à la fin ou qui donnent de l’argent au gouvernement pour qu’ils gèrent cet aspect-là sauf que les gouvernements n’ont pas les capacités de le faire. Et puis il reste la question de ces grands bassins de déchets toxiques… Il y a eu des promesses d’amélioration, mais en fait on ne gère rien du tout.

Quels sont vos objectifs en écrivant ce livre et quel impact pensez-vous qu’il aura ?

Mon intention c’est que cela amène chaque personne à questionner son propre rôle. On est tous confrontés à des contradictions et nous sommes là pour apprendre et évoluer. Arrêtons de nous juger les uns et les autres, mettons nos contradictions sur le tapis et voyons comment évoluer dans notre société. Je pense que personne n’a fondamentalement envie de contribuer à la destruction de l’environnement et aux violations des droits humains mais, d’une certaine manière, on y contribue tous sans y faire face. Si on veut arriver à une société réellement démocratique cela demande un engagement et une prise de responsabilité et cela, ça passe par la déconstruction de ce système de croyances qui induit qu’on doit toujours avoir plus, une plus grande maison, une voiture personnelle, etc. Ensuite, je voulais questionner les représentations qu’on a sur l’Afrique et en particulier le Congo qui sont souvent très victimisantes et très stigmatisantes. Je pense qu’on devrait plutôt valoriser l’énorme richesse culturelle et spirituelle qu’il y a en Afrique, dont on devrait davantage s’inspirer. Enfin, je voulais aider à comprendre les enjeux de terrains pour améliorer la gestion des impacts sociaux et environnementaux des mines. Je voudrais que mon livre soit aussi lu par des personnes du monde minier pour qu’elles comprennent ce qu’est une équipe qui travaille sur le social et pourquoi c’est important.

Travaillez-vous encore actuellement dans ce secteur ? Avez-vous d’autres projets en perspective ?

La dernière fois que j’ai travaillé dans le secteur, j’étais en Guinée dans le cadre d’extraction de bauxite qui est utilisé pour l’aluminium, et ça m’a absolument dégoûté. C’était un désastre écologique. Il est possible que je reprenne des consultances sur des projets miniers qui me permettraient de continuer à voir comment le secteur évolue et d’avoir de la matière pour continuer à informer et sensibiliser sur le sujet. Sauf que c’est accepter de faire face à énormément de contradictions et c’est très dur moralement parce qu’on est face à la destruction. Après, si des personnes comme moi, qui travaillent dans ce secteur en donnant le meilleur d’elles-mêmes pour que cela bénéficie un minimum aux populations locales, arrêtent, qui va le faire ? Ce qui est sûr, c’est que j’ai envie que ce livre mais aussi l’exposition photo qui l’accompagne (actuellement au musée Charlier, à Saint-Josse jusqu’au 7 juillet), les conférences et animations que je donne, ainsi que d’autres projets à venir, permettent de parler du sujet et contribuent à la réflexion sur notre dépendance vis-à-vis de l’extraction. J’espère également pouvoir retourner prochainement visiter les communautés dont je parle dans le livre. Cela supposera peut-être l’ajout d’un Xème chapitre à mon livre, qui sait !

« République Démocratique du Cobalt », Brieuc Debontridder, Editions Academia, 258 pp, 2022.

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Avec La Libre Afrique

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