Il y a cent ans naissait Sembène Ousmane, pionnier du cinéma africain
Homme à l’esprit foisonnant et aux opinions tranchées, Sembène Ousmane fut tour à tour militaire, docker, maçon, écrivain et cinéaste. Autant d’activités à travers lesquelles il n’a jamais cessé de lutter pour la justice sociale en dénonçant les esprits étroits et les travers humains. Ses pellicules et ses écrits sont à la fois le reflet des travers de son époque et de combats intemporels.
Né le 1er janvier 1923 à Ziguinchor, en Casamance, Sembène Ousmane est décédé le 9 juin 2007 à Dakar. A travers son oeuvre littéraire naturaliste et son cinéma réaliste, le jeune homme révolté, engagé politiquement, a décrypté les rapports entre le Sénégal et l’Europe, entre l’Afrique et le reste du monde. Autodidacte et militant de la décolonisation, ses livres et ses films occupent une place unique dans la création mondiale.
Avec Le Docker noir (1956) il évoque sa situation de jeune Noir immigré, ouvrier précaire soumis aux préjugés racistes à Marseille. Dans Les Bouts de bois de Dieu (1960), il raconte la grève des cheminots africains, en 1947, de la ligne de chemin de fer Dakar-Niger afin d’obtenir les mêmes droits que leurs collègues français. Dans Ô pays, mon beau peuple (1957), il fustige les préjugés et les esprits rétrogrades qu’ils soient le fait de villageois méfiants ou de colons blancs méprisants.
Il passe du livre au film
Au lendemain de l’indépendance du Sénégal, il rentre au pays et choisit de se consacrer au cinéma, seul art à même de « s’adresser au plus grand nombre » et de marquer les esprits, même si son coeur reste à jamais attaché à la Littérature. Il décroche une bourse et, comme beaucoup de jeunes cinéastes africains de l’époque, part se former à Moscou.
Son premier film, La Noire de (1966) dépeint les désillusions d’une jeune domestique sénégalaise qui suit ses patrons lors de leur retour en France. Ce premier long métrage d’Afrique noire fait mouche et est couronné du prix Jean Vigo.
Parmi ses films les plus marquants on note Borom Sarret sur le quotidien d’un vendeur ambulant ; Le Mandat qui se moque de la nouvelle classe bourgeoise de Dakar. Le film reçoit le Prix de la critique internationale au Festival de Venise. Mais aussi Ceddo qui aborde la révolte, à la fin du XVIIe siècle, de guerriers traditionnels (les Ceddos) et animistes refusant de se convertir aux religions monothéistes.
Son expérience en tant que jeune tirailleur sénégalais, durant la Seconde guerre mondiale, le pousse à dénoncer les mensonges et les violences de l’État français vis-à-vis de ses anciens « appelés ». Son long métrage Camp de Thiaroye, Grand Prix du Jury à Venise en 1988, relate ainsi le massacre, en 1944, par des gradés français des tirailleurs sénégalais qui réclamaient simplement les indemnités promises. Un film longtemps banni des écrans en France.
Filmer l’Afrique loin des clichés
Dans ses films, Sembène Ousmane donne à voir une Afrique éloignée des clichés, tiraillée entre traditions et modernité. Un continent plein de paradoxes, en proie aux luttes de pouvoir comme ce sera encore le cas dans son long métrage Guelwaar (1992), portrait d’un militant syndical et ardent défenseur d’une Afrique non assistée.
En 2000, le cinéaste entreprend un triptyque sur l’héroïsme au quotidien dont les deux premiers opus sont une ode à la femme africaine. Dans Faat Kine, Sembène propose le portrait croisé de trois générations de femmes qui luttent pour leur autonomie et leur liberté. Dans Moolaadé (2004), le cinéaste évoque le conflit de valeurs entre le droit à la protection et la pratique traditionnelle de l’excision. Agé de 81 ans, le réalisateur aborde le sujet douloureux de l’excision « avec une force symbolique et un souffle narratif étonnants » écrivions-nous alors…
Parvenant à traduire avec pudeur et force la douleur des fillettes et la démission de leurs parents, il lançait un vibrant hommage à la lutte des femmes, au Sénégal et ailleurs, pour se libérer de l’emprise de la tradition perpétuée sur leur corps et leur esprit. Un film couronné du Prix Un certain regard à Cannes et du prix spécial du jury au festival de Marrakech. Frappé par la maladie, Sembène Ousmane ne parviendra pas à boucler le dernier opus, baptisé La Confrérie des rats qui devait aborder la question de la corruption.
Il nous laisse une oeuvre cinématographique et littéraire humaniste et généreuse qui célèbre la lutte pour l’émancipation et contre l’autorité des puissants. Et l’image d’un homme qui, durant toute sa vie, s’est efforcé de promouvoir « l’art pour tous », notamment à travers le cinéma et le Fespaco, le célèbre Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou, dont il fut un inlassable ambassadeur.
Homme déterminé et généreux, souvent facétieux, Sembène Ousmane cultivait un sens certain de la formule et de la liberté d’expression, comme en atteste l’interview qu’il nous a accordée en 2003.
Karin Tshidimba
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Avec La Libre Afrique