Dans une manœuvre qui interroge sur l’état de la démocratie gabonaise, le conseil national des associations du Gabon organise une célébration religieuse précipitée à l’église Saint-Pierre de Libreville. Cette initiative, survenant à peine deux semaines après un référendum controversé, soulève des questions fondamentales sur l’instrumentalisation du sacré dans le processus politique.
Par AM DWORACZEK-BENDOME | 02 décembre 2024
La précipitation liturgique masque les fissures
Le spectacle qui se joue actuellement au Gabon défie l’entendement. Alors que les controverses autour du référendum du 16 novembre continuent d’agiter le pays, les cierges s’apprêtent déjà à s’allumer à l’église Saint-Pierre de Libreville. Le conseil national des associations, dans une démonstration de précipitation manifeste, programme une messe d’action de grâce pour demain, le 3 décembre, soit à peine deux semaines après un scrutin dont la légitimité reste questionnée.
L’orchestration de cette célébration express, planifiée alors que l’encre des bulletins de vote n’a pas encore séché, traduit une volonté évidente d’étouffer les débats sous un voile de sacralité. Les cantiques destinés à glorifier le « bon déroulement » du vote résonneront telles une amère ironie dans les travées de Saint-Pierre, pendant que les voix dissidentes et les interrogations légitimes sur la validité du processus seront priées de demeurer à l’extérieur.
Cette transformation hâtive des bancs d’église en tribune politique révèle une stratégie aussi grossière qu’attendue : sacraliser dans l’urgence ce qui peine à convaincre dans les urnes. L’utilisation de l’espace religieux, orchestrée au pas de charge, ne fait que mettre en lumière les défaillances d’un processus démocratique qu’on tente désespérément de légitimer par les rituels plutôt que par la transparence.
Les nouveaux courtisans de la transition gabonaise
Dans la grande foire aux opportunistes qu’est devenue la transition gabonaise, l’un des nouveaux protagonistes fait son buzz : le Conseil National des Associations du Gabon (CNAG). Créé le 14 octobre 2023, comme bien d’autres, cette structure incarne à merveille l’art consommé du parasitage institutionnel à la gabonaise. Avec un timing qui frise l’indécence politique, le CNAG s’autoproclame désormais champion de « l’accompagnement de la transition », un euphémisme délicieux pour désigner la course aux prébendes.
La recette est éculée, mais elle fonctionne encore : créer une association dans le sillage d’un bouleversement politique, s’ériger en porte-parole autoproclamé du peuple, puis tendre la sébile pour recevoir sa part du gâteau (gibier) national. Le CNAG excelle dans cet exercice avec une maestria qui forcerait presque l’admiration, si elle n’était pas si tragiquement prévisible. Se targuant d’avoir « mobilisé les populations » pendant la campagne référendaire — comprendre avoir occupé l’espace médiatique — cette structure revendique maintenant la paternité du « succès » du référendum.
L’apothéose de cette mise en scène survient lorsque le coordonnateur du CNAG, le Dr Thyernaud Bouassa Mayombo, déclare avec un aplomb stupéfiant que cette nouvelle constitution est « la meilleure que le Gabon n’ait jamais eue« . Une affirmation qui illustre parfaitement le niveau de flagornerie atteint par certaines organisations de la société civile gabonaise. Les chiffres brandis – 91,8 % d’approbation avec 53,54 % de participation — ressemblent étrangement aux scores soviétiques d’antan, mais qu’importe : l’essentiel est de se positionner dans l’antichambre du pouvoir.
Pendant que l’on accuse commodément les étrangers d’être responsables des maux du Gabon, ces structures opportunistes prospèrent dans l’ombre des institutions, transformant chaque soubresaut politique en occasion de se servir au buffet national. Le CNAG représente ainsi le parfait exemple de ces organisations qui, sous couvert d’accompagnement de la transition, ne font que perpétuer un système de prédation qui gangrène le pays depuis des décennies.
Église Saint-Pierre de Libreville, 3 décembre 2024
La messe en préparation à Saint-Pierre illustre de manière frappante la dérive d’une démocratie où le sacré devient le dernier refuge des esprits troublés. Plus qu’une simple maladresse, c’est le cynisme qui domine à tous égards. Cette tentative d’imprégner de spiritualité un processus référendaire controversé révèle l’inquiétude de ses instigateurs face à la fragilité de leur construction démocratique.
Entre le tumulte du référendum du 16 novembre et la liturgie empressée du 3 décembre, se dessine le portrait d’une nation où le simulacre l’emporte sur l’authenticité. Plus préoccupant encore, cette chorégraphie spirituelle renie l’esprit unitaire du 30 août 2023 : les acteurs de cette mascarade, plus soucieux de leur place au banquet que de l’intérêt national, dévoilent sans pudeur les motivations qui les animent. Dans cette course effrénée aux privilèges, chaque coup d’encensoir masque mal l’appétit vorace de ceux qui confondent service public et self-service.
Les ennemis du Gabon qui s’ignorent
Qu’importe, si l’on drape l’opportunisme dans les habits du sacré. Qu’importe si l’on asperge d’eau bénite les consciences troublées — l’Histoire, cette impitoyable comptable des turpitudes nationales, gravera cette séquence dans le grand livre des mascarades gabonaises. À Saint-Pierre, ce 3 décembre, qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas tant la grâce divine qui sera célébrée que la capacité stupéfiante de certains à transformer les lieux saints en arrière-boutiques politiques.
Dans cette église transformée en théâtre des apparences, les « Te Deum » s’élèveront comme autant de rideaux de fumée liturgique, tentant désespérément d’étouffer les voix discordantes qui osent encore questionner la légitimité du processus. Ces empressés du bénitier, nouveaux champions de la démocratie expéditive, oublient qu’aucune quantité d’encens ne pourra masquer durablement les fissures d’un édifice politique bâti sur le sable des compromissions. En prétendant sanctifier l’insanctifiable, ils ne font que profaner l’essence même de la démocratie qu’ils prétendent servir.
Car voilà bien le paradoxe tragique : en croyant servir le Gabon par ces gesticulations spirituelles, ces nouveaux thuriféraires du pouvoir ne font que creuser un peu plus la tombe de la transparence démocratique. Ils sont, sans même en avoir conscience, les fossoyeurs zélés d’une nation qui aurait davantage besoin de vérité que de cantiques précipités.