Le général Brice Clotaire Oligui Nguema, président de la transition gabonaise depuis le coup d’État du 30 août 2023, a officiellement annoncé sa candidature à la présidentielle du 12 avril 2025. Cette annonce, survenue le 3 mars lors d’un rassemblement soigneusement orchestré à Libreville, n’est que l’aboutissement logique d’une stratégie de conservation du pouvoir mise en œuvre depuis 18 mois.
Analyse et décryptage | Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME
Une candidature orchestrée
La déclaration de candidature d’Oligui Nguema à la présidentielle gabonaise était un secret de Polichinelle depuis plusieurs semaines. C’est symboliquement le jour de son 50ème anniversaire que le général a choisi pour officialiser ce qui était déjà évident : sa volonté de transformer un pouvoir de transition en règne durable. « Après mûre réflexion et en réponse à vos nombreux appels, j’ai décidé d’être candidat à l’élection présidentielle« , a-t-il déclaré devant plusieurs centaines de partisans réunis à Libreville, dans une mise en scène quasi-monarchique précédée d’un rassemblement militaire et d’une messe œcuménique.
Pour se conformer au cadre légal qu’il a lui-même façonné, Oligui Nguema devra se mettre en « disponibilité » temporaire de l’armée. Le nouveau code électoral, opportunément modifié fin janvier 2025, autorise désormais les militaires à briguer un mandat électif sous certaines conditions. Les candidats ont jusqu’au 8 mars pour déposer leur dossier de candidature, comprenant un test linguistique en langue vernaculaire, un contrôle médical et une déclaration de patrimoine. Cette échéance précipitée réduit consciemment le temps disponible pour l’opposition pour s’organiser efficacement, dans ce qui s’apparente à une course à obstacles savamment conçue.
Un pouvoir verrouillé
Depuis son coup d’État en août 2023, Oligui Nguema a méthodiquement œuvré à reconfigurer les institutions gabonaises pour consolider son emprise et préparer sa métamorphose de putschiste en président « démocratiquement élu« . Ces manœuvres institutionnelles jettent une ombre persistante sur la sincérité de la présidentielle gabonaise à venir.
Le Collectif Gabon 2025 a récemment dénoncé la modification subreptice du texte constitutionnel entre le référendum de novembre 2024 et sa publication officielle. Les changements sont considérables et sans ambiguïté dans leur intention : abolition du poste de Premier ministre, instauration d’un scrutin présidentiel à tour unique favorable au candidat disposant de l’appareil d’État, et prolongation du mandat présidentiel à sept ans renouvelables une fois. Un habit constitutionnel taillé sur mesure pour faciliter l’élection et le maintien au pouvoir d’Oligui Nguema.
Dans une stratégie tentaculaire de contrôle, le président de transition a méthodiquement placé ses affidés aux postes stratégiques : deux tiers du Sénat et de l’Assemblée nationale lui sont acquis, et l’intégralité des membres de la Cour constitutionnelle lui est redevable. Plus révélateur encore, le nouveau président de la Cour constitutionnelle de transition, Dieudonné Aba’a Owono, est un parent direct d’Oligui Nguema, balayant toute prétention d’indépendance judiciaire.
Ce fait rappelle malheureusement aux Gabonais le souvenir de Mme Marie-Madeleine Mborantsuo, présidente de l’ancienne Cour constitutionnelle pendant 32 ans, qui était également la mère de deux enfants de feu Omar Bongo Ondimba. L’histoire se répète, mais pas dans un sens positif. Le dialogue national d’avril 2024, présenté comme inclusif, a exclu quelque deux cents partis politiques, étouffant la pluralité des voix dans le débat public. Ce simulacre de consultation a été marqué par une sélection arbitraire des contributions citoyennes, créant une opacité dénoncée même par certains participants intègres préoccupés par l’avenir démocratique du pays.
Les défis économiques et une corruption
La situation économique du Gabon représente un défi colossal pour Oligui Nguema dans sa quête présidentielle. Le pays traverse une crise économique sans précédent, caractérisée par un déficit budgétaire abyssal et une dette publique vertigineuse. Malgré ce tableau sombre, le Fonds Monétaire International projette une croissance du PIB réel de 2,6% en 2024 et 2,5% en 2025, principalement portée par une hausse temporaire de la production pétrolière et la reprise des secteurs minier et forestier.
La dépendance quasi-maladive au secteur pétrolier demeure toutefois le talon d’Achille de l’économie gabonaise. Une véritable diversification économique – promise par tous les régimes successifs mais jamais réalisée – s’avère indispensable pour garantir une croissance pérenne. Dans ce contexte économique fragilisé, les promesses contradictoires du président – embauches massives dans un secteur public déjà hypertrophié tout en prétendant soutenir l’initiative privée – révèlent l’incohérence flagrante de sa politique économique et un populisme inquiétant.
La lutte contre la corruption, leitmotiv de la présidentielle gabonaise et antienne des discours d’Oligui Nguema, relève davantage de la façade que de l’action concrète. Deux ministres en exercice, Mays Mouissi et Charles Mba, sont cités dans des affaires de corruption liées à un contrat d’approvisionnement électrique douteux avec une entreprise turque. Ce contrat, d’un montant mensuel astronomique de 12 milliards de FCFA, a été suspendu uniquement après l’indignation publique orchestrée par la société civile.
Plus accablant encore, le propre frère d’Oligui Nguema, Aurélien Mintsa Mi Nguema, ancien directeur général du Budget et des finances publiques, a été démis de ses fonctions le 20 juin 2024, dans ce qui semble être une opération cosmétique, sans que les raisons de cette décision ne soient rendues publiques. Cependant, son nouveau train de vie ostentatoire, totalement différent de celui qu’il menait avant le 30 août 2023, interpelle.
D’autres figures, comme Brigitte Anguille Mba, Audrey Christine Chambrier Voua ou Landry Bongo Ondimba, sont également impliquées dans des dossiers de détournement de fonds publics. Ces scandales à répétition, touchant l’entourage immédiat du président, entachent irrémédiablement la crédibilité du régime, alors que le Gabon continue de chuter dans les classements internationaux sur la gouvernance et la lutte contre la corruption.
Droits humains et divisions ethniques
La face présentable du régime d’Oligui Nguema, celle des grands projets et des promesses économiques, dissimule une réalité bien plus sombre en matière de droits humains et de libertés fondamentales. Des cas inquiétants de torture et de mauvais traitements ont été signalés, incluant des décès suspects en détention. Plus troublant encore, Oligui Nguema lui-même a évoqué l’utilisation de méthodes de torture comme la « mise au pont » ou la « tête sous l’eau« , tandis que des pratiques humiliantes comme le rasage forcé des têtes de citoyens sont devenues courantes.
Malgré ses promesses initiales d’aider « la presse à faire son travail« , la liberté d’expression demeure sévèrement restreinte. L’organe de régulation des médias impose des sanctions zélées, tandis que les articles 157 et 158 du code pénal, criminalisant les critiques envers le président, restent en vigueur. Des arrestations de jeunes et d’activistes pour de simples opinions exprimées en ligne se multiplient, rappelant tristement les pratiques répressives du régime Bongo que la transition prétendait abolir.
Plus préoccupant encore pour l’unité nationale, des tensions ethniques et des divisions communautaires semblent s’exacerber sous la présidence d’Oligui Nguema. La domination croissante des Fang, l’ethnie du père biologique du Chef de l’Etat, dans les institutions publiques suscite des inquiétudes légitimes. Le sénateur Marc Ona Essangui a même tenu un discours provocateur en langue Ntoumou/Okak (Fang) sans traduction, perçu comme un acte délibéré de tribalisme politique.
Les populations non-Fang, appelées péjorativement « Bilopes » se sentent de plus en plus marginalisées. La phrase « Le pouvoir est à nous ! » prononcée par Marc Ona résonne comme une déclaration de domination ethnique qui menace de fracturer un pays historiquement marqué par une relative cohabitation pacifique entre communautés. Ces tensions tribales constituent un danger réel pour la stabilité du Gabon et révèlent les contradictions d’un régime qui prétend œuvrer pour « la paix et l’unité nationale » tout en attisant les divisions ethniques.
Un programme grandiose
Pour séduire l’électorat gabonais, Oligui Nguema s’appuie sur un programme pharaonique aux allures de mirage politique. Il se présente avec emphase comme un « bâtisseur » déterminé à faire « renaître le Gabon de ses cendres« . Ses promesses de campagne pour la présidentielle gabonaise s’articulent autour de projets d’infrastructure colossaux dont la faisabilité financière reste douteuse : port en eau profonde de Mayumba, ligne ferroviaire Belinga-Boué-Mayumba, et barrage hydroélectrique de Boué.
Sur le plan social, il s’engage à poursuivre le projet « 1 gabonais 1 taxi », à maintenir les bourses dans l’enseignement secondaire, et à développer des initiatives en faveur des personnes handicapées et des jeunes issus des quartiers défavorisés. Ces mesures sont présentées comme génératrices de milliers d’emplois, dans un pays où le chômage frappe durement la jeunesse, sans pour autant préciser les mécanismes de financement de ces promesses dispendieuses.
En matière de gouvernance, Oligui Nguema promet ce que tous les dirigeants gabonais ont promis avant lui : transparence et lutte contre la corruption. Il capitalise habilement sur quelques réalisations symboliques de la période transitionnelle, arguant que si certains projets ont été initiés en 18 mois, des merveilles pourraient être accomplies durant un septennat présidentiel. Cette rhétorique du « bâtisseur » masque difficilement l’absence de vision structurelle pour diversifier l’économie gabonaise et réduire sa dépendance aux hydrocarbures.
Un scrutin verrouillé
La caution pour être candidat à l’élection présidentielle gabonaise du 12 avril 2025 s’élève désormais à 30 millions de francs CFA, une augmentation significative par rapport aux 20 millions précédemment requis. Cette hausse représente un obstacle financier considérable qui limite de facto l’accessibilité à la fonction présidentielle, favorisant les candidats fortunés ou disposant du soutien de réseaux financiers puissants.
Les restrictions légales sur le financement des campagnes électorales apparaissent comme des garde-fous démocratiques : seules les personnes physiques de nationalité gabonaise peuvent contribuer aux campagnes, les dons d’entreprises ou d’États étrangers sont interdits, et les dépenses sont plafonnées à 10 milliards de francs CFA. Mais ces règles, en apparence équitables, avantagent considérablement Oligui Nguema qui, en tant que président de la transition, dispose de facto des ressources et de la logistique de l’État.
Face à une opposition fragmentée et économiquement étranglée, Oligui Nguema part largement favori. Albert Ondo Ossa, candidat de l’opposition lors de l’élection de 2023 qui s’était autoproclamé président élu, est disqualifié d’office par la nouvelle constitution en raison de son âge supérieur à 70 ans, tout comme Pierre Claver Maganga Moussavou. D’anciennes figures du landerneau national comme Bilie-By-Nze ou Jean Remy Yama, pourraient se présenter sans représenter une menace crédible.
Cette absence d’opposition structurée n’est pas le fruit du hasard mais le résultat d’une stratégie délibérée d’affaiblissement des contrepouvoirs. La candidature d’Oligui Nguema bénéficie par ailleurs du soutien explicite de son homologue équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, dans ce qui s’apparente à une solidarité entre dirigeants militaires, soulevant de sérieuses questions sur l’indépendance du processus électoral gabonais.
Circonspection !
L’annonce de la candidature de Brice Clotaire Oligui Nguema à la présidentielle gabonaise du 12 avril 2025 constitue l’aboutissement prévisible d’un processus de confiscation du pouvoir entamé dès le coup d’État d’août 2023. Contrairement à ses promesses initiales de rendre le pouvoir aux civils et d’être un simple « gardien de la transition« , le général a méthodiquement orchestré son maintien à la tête de l’État en manipulant la Constitution, le code électoral et en plaçant des loyalistes aux postes clés des institutions.
Face à une opposition désorganisée, vieillissante ou disqualifiée par des règles taillées sur mesure, et à une société civile servile à souhait, Oligui Nguema s’avance vers une victoire électorale qui semble acquise d’avance. Les défis économiques structurels, la persistance de la corruption jusque dans son entourage immédiat, la détérioration des droits humains et les tensions ethniques croissantes constitueront néanmoins des bombes à retardement pour un régime qui confond soutien populaire et absence d’opposition organisée.
Quant à la communauté internationale, plus préoccupée par la stabilité régionale que par la qualité démocratique des régimes africains, elle observe avec une inquiétude polie cette présidentielle gabonaise qui s’annonce comme la simple légitimation électorale d’un pouvoir militaire. L’issue du scrutin du 12 avril 2025, dont peu doutent qu’elle sera favorable à Oligui Nguema, risque de consacrer pour les sept prochaines années la continuité d’un système politique gabonais où les acteurs changent mais où les pratiques de gouvernance autoritaire perdurent, au détriment des aspirations démocratiques d’un peuple qui attendait davantage du renversement de la dynastie Bongo.