Le 30 août 2023, le général Brice Clotaire Oligui Nguema prenait le pouvoir au Gabon, promettant une transition axée sur le redressement des institutions, la restauration de la dignité des Gabonais et l’assainissement de l’économie. Près d’un an et demi plus tard, le constat est sans appel : les suspensions répétées des financements internationaux par le FMI et la Banque mondiale révèlent une gestion financière catastrophique. Ces décisions, prises en raison de l’accumulation d’impayés et d’une dette publique explosive, mettent en lumière les mensonges et l’incompétence d’une classe dirigeante déconnectée des réalités.
Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | Date : 13 janvier 2025
Gestion financière chaotique et contexte socio-économique alarmant
En moins d’un an, le Gabon a subi deux suspensions majeures de ses financements internationaux. La première, en juin 2024, avait été justifiée par une accumulation d’arriérés de paiement d’environ 10 milliards de FCFA. Le gouvernement avait alors invoqué un « aléa technique » et régularisé la situation en quelques jours. Mais cette résolution fut de courte durée.
Le 13 janvier 2025, la Banque mondiale a annoncé une nouvelle suspension, cette fois en raison d’une accumulation d’impayés persistante. Cette décision intervient dans un contexte économique déjà fragilisé, où la dette publique gabonaise a dépassé le plafond de 70 % du PIB fixé par la CEMAC. Et devra atteindre 78,9 % en cette année 2025.
Ces suspensions ne sont pas anodines. Elles compromettent des projets stratégiques comme le Projet Gabon Digital et le Projet d’Harmonisation des statistiques en Afrique de l’Ouest et du Centre (HISWACA), pour un montant total de 139,3 millions d’euros (91,2 milliards de FCFA).
Derrière ces suspensions se cache une gestion financière chaotique. Les ministres Mays Mouissi (Économie) et Charles Mba (Comptes publics), ainsi que Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, directeur général de la Dette, sont pointés du doigt pour leur incapacité à redresser la situation.
Le président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, exprime d’ailleurs son mécontentement croissant en privé, notamment envers Mays Mouissi, chargé de la gestion de la dette et des rentrées fiscales. Pourtant, en public, ces responsables continuent de faire des déclarations optimistes, masquant une réalité bien plus sombre.
En 2025, la croissance économique du Gabon est estimée à 2,5%, un niveau insuffisant pour améliorer significativement les revenus des Gabonais. Le secteur pétrolier, pilier de l’économie, connaît un déclin inquiétant avec l’épuisement progressif des réserves connues à ce jour.
La diversification économique, axée sur le bois, l’huile de palme et le secteur minier (spécialement l’exploitation des gisements de fer de Belinga), peine à compenser cette baisse. Le déficit budgétaire se creuse sans cesse en raison de dépenses publiques accrues, surtout les subventions carburants, la masse salariale et les coûts électoraux.
Ces tensions financières ont des répercussions directes sur la population. Le taux de chômage reste élevé, touchant 35 à 40 % de la population active, tandis qu’un tiers des Gabonais vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de deux euros par jour.
Des projets ambitieux mais menacés
Le gouvernement gabonais, sous la transition menée par le général Brice Clotaire Oligui Nguema, a lancé plusieurs projets phares censés relancer l’économie et créer des emplois. Ces initiatives, présentées comme des piliers du Plan National de Développement pour la Transition (PNDT) 2024-2026, représentent un investissement total de 4 536 milliards de FCFA. Parmi eux, trois projets majeurs symbolisent les ambitions de la transition : le port en eau profonde de Mayumba, la ligne ferroviaire Belinga-Boué-Mayumba et le barrage hydroélectrique de Boué.
Le port en eau profonde de Mayumba, situé dans le sud du Gabon, est conçu pour devenir un hub logistique régional, capable d’accueillir des navires de grande capacité et de stimuler les échanges commerciaux. Ce projet, estimé à plusieurs centaines de milliards de FCFA, vise à désenclaver la région et à créer des milliers d’emplois directs et indirects. Il est également perçu comme un levier pour diversifier l’économie, en réduisant la dépendance au pétrole.
La ligne ferroviaire Belinga-Boué-Mayumba, quant à elle, doit relier les gisements de fer de Belinga, dans le nord-est du pays, au port de Mayumba. Ce corridor minier et logistique est essentiel pour exploiter les ressources minières du Gabon, notamment le fer, dont les réserves sont parmi les plus importantes au monde. Ce projet, d’un coût estimé à plus de 1 000 milliards de FCFA, est censé dynamiser le secteur minier, attirer des investissements étrangers et créer des emplois dans des régions reculées.
Enfin, le barrage hydroélectrique de Boué, situé sur l’Ogooué, vise à augmenter la capacité énergétique du Gabon et à fournir une électricité stable et abordable à l’ensemble du pays. Ce projet, d’un montant estimé à 800 milliards de FCFA, est crucial pour soutenir l’industrialisation et améliorer les conditions de vie des populations rurales. Si ces projets ambitieux représentent une lueur d’espoir pour le Gabon, leur réalisation est aujourd’hui compromise par une gestion financière désastreuse et un manque de crédibilité internationale. Sans une rectification rapide du tir, ces initiatives risquent de rester lettre morte, plongeant le pays dans une crise économique et sociale encore plus profonde. Les Gabonais, qui avaient placé leurs espoirs dans la transition, se retrouvent une fois de plus confrontés à des promesses non tenues et à un avenir incertain.
Les mensonges d’une classe dirigeante déconnectée
La situation est alarmante, et il est temps de le dire sans détour. Les suspensions répétées des financements internationaux, les tensions de trésorerie insoutenables et une dette publique explosive ne menacent pas seulement l’économie gabonaise – elles sapent la crédibilité même de la transition. Chaque jour qui passe sans action concrète rapproche le pays du précipice, et les Gabonais, déjà éprouvés par des années de mauvaise gestion, paient le prix fort de cette incurie. Les déclarations grandiloquentes de Mays Mouissi, Charles Mba et Jean Gaspard Ntoutoume Ayi ne masquent plus la réalité.
Une transition à la croisée des chemins
Il est temps pour les responsables de la transition de prendre leurs responsabilités. Il est temps de mettre fin aux mensonges éhontés, aux promesses creuses et aux déclarations optimistes qui ne trompent plus personne. Il est temps d’agir avec transparence, rigueur et détermination pour redonner espoir aux Gabonais. Car chaque jour perdu dans l’inaction ou les faux-semblants est un jour de plus où le pays s’enfonce un peu plus dans la crise.
La transition est à la croisée des chemins. Soit, elle se ressaisit et honore ses promesses, soit elle sombre dans les mêmes travers que l’ancien régime, trahissant une fois de plus la confiance du peuple. Le choix est clair, et le temps presse.
Contrairement à l’adage : « Tout ne va pas bien, madame la marquise ! »