Depuis décembre 2023, la « flotte fantôme » russe utilise le pavillon gabonais pour échapper aux sanctions occidentales imposées suite à l’invasion de l’Ukraine. Selon RFI, plusieurs navires enregistrés sous ce drapeau sont impliqués dans le contournement des restrictions sur les exportations de pétrole.
Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | 4 novembre 2024
Plongée inquiétante dans la transformation du Gabon en pavillon de complaisance pour les navires russes sous sanctions. La « flotte fantôme » russe a trouvé son nouveau paradis, et il se situe en plein cœur de l’Afrique. Le Gabon, ce petit pays d’à peine 2 457 385 millions d’habitants, s’est métamorphosé en véritable plaque tournante du contournement des sanctions occidentales. Une transformation aussi spectaculaire qu’embarrassante qui pose la question : comment un pays africain est-il devenu le nouveau complice de Moscou dans sa guerre économique contre l’Occident ?
Du paradis équatorial au refuge des parias maritimes
L’histoire serait risible si elle n’était pas aussi scandaleuse. En à peine un an, le Gabon est passé de 20 navires immatriculés à plus de 390, une inflation maritime qui ferait pâlir d’envie n’importe quel paradis fiscal. Mais derrière ces chiffres vertigineux se cache une réalité bien plus sombre : celle d’un pays transformé en véritable lessiveuse maritime pour les pétroliers russes cherchant désespérément à échapper aux sanctions occidentales
La métamorphose d’un pays : du bois précieux au pétrole trouble
Le plus ironique dans cette affaire ? C’est peut-être la signature, le 15 septembre 2018, d’un contrat qui allait transformer le Gabon en véritable paradis des navires parias. Ce jour-là, Justin Ndoundangoye, alors Ministre des Transports et de la Logistique du Gabon, et Hysham Shaikh, Directeur d’Intershipping Services LLC, scellaient un pacte de 20 ans qui ne manquait pas d’ambition. Intershipping Services LLC, cette société émiratie créée en 1994, n’est pas n’importe qui dans le petit monde du transport maritime. Auto-proclamée comme l’une des organisations maritimes « à la croissance la plus rapide au monde », elle s’est arrogée le titre envié de seul représentant autorisé de l’administration maritime gabonaise. Un monopole bien pratique pour cette entreprise qui jongle avec les immatriculations de navires, les certifications de navigation et les audits comme d’autres manipulent des cartes de visite.
Le timing était-il vraiment fortuit ? Alors que cette société émiratie devenait le gardien tout-puissant du registre maritime gabonais, personne ne pouvait imaginer qu’elle allait devenir, quelques années plus tard, le point d’entrée privilégié de la « flotte fantôme« » russe. Ces vieux navires en quête désespérée d’un pavillon complaisant allaient enfin trouver leur terre promise, sous les palmiers équatoriaux du Gabon.
Risques maritimes : Dans l’ombre des sanctions, une flotte qui défie tous les dangers
La « flotte fantôme« , cette armada de l’ombre dont personne ne connaît l’exacte ampleur, illustre parfaitement le cynisme du commerce maritime international. Les estimations les plus sérieuses évoquent entre 600 et 1400 navires opérant dans cette zone grise, principalement au service de la Russie, de l’Iran et du Venezuela – un véritable triangle des Bermudes de la légalité maritime.
Ces navires fantômes, véritables épaves flottantes, sillonnent les océans dans un état qui ferait frémir n’importe quel inspecteur maritime. Mal entretenus, vieillissants, ils laissent derrière eux des traînées brunâtres, signatures toxiques de leur passage sur les mers du globe. Un désastre écologique ambulant que personne ne semble pouvoir – ou vouloir – arrêter.
Dans cette partie d’échecs maritime, la dissimulation est reine. Les capitaines de ces navires désactivent systématiquement leur système de suivi AIS, comme des criminels éteignant leurs téléphones portables pour échapper à la surveillance. Cette pratique, parmi d’autres manœuvres douteuses, vise un seul objectif : créer l’illusion de la légalité pour des navires qui bafouent ouvertement les sanctions internationales. Ces manipulations soulèvent une question cruciale : à qui profite réellement ce jeu dangereux qui met en péril non seulement la sécurité maritime, mais aussi l’environnement global ?
L’opacité, nouvelle spécialité gabonaise
Dans ce théâtre de l’absurde, l’opacité règne en maître. Comment un pays qui peine à gérer ses propres infrastructures peut-il soudainement superviser une flotte de près de 390 navires ? La réponse est simple : il ne le peut pas. Cette incapacité fait le bonheur des armateurs russes, qui trouvent dans le pavillon gabonais le parfait alibi pour poursuivre leur commerce pétrolier en toute impunité.
Flotte fantôme : Le Gabon rejoint le Libéria
Le Libéria est l’un des pavillons de complaisance les plus notables au monde. Son registre, ouvert en janvier 1949, comptait 2 726 navires immatriculés en 2010, le plaçant au huitième rang mondial. Les armateurs choisissent le pavillon libérien pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, il permet une réduction des coûts d’exploitation, notamment grâce à des salaires inférieurs pour les équipages et à d’autres économies liées à la gestion des navires. Ensuite, le Libéria offre des avantages fiscaux significatifs, attirant ainsi de nombreux propriétaires de navires. De plus, les normes de sécurité et environnementales sont moins strictes, ce qui permet aux armateurs de naviguer avec plus de flexibilité.
Ce choix favorise également l’emploi d’équipages internationaux à moindre coût, souvent en contournant les protections légales de leur pays d’origine, ce qui soulève des inquiétudes sur les conditions de travail.
L’impact de ces pavillons de complaisance sur le transport maritime mondial est considérable. En 2015, pas moins de 71 % du tonnage total de la marine marchande naviguait sous un pavillon de complaisance. Parmi ceux-ci, trois pavillons se détachent nettement : Panama, Libéria et Îles Marshall, qui ensemble représentaient 42,8 % de la capacité totale de la flotte mondiale.
La sécurité maritime : grande perdante de ce jeu dangereux
Pendant que les autorités gabonaises se félicitent pour cette « diversification économique », la sécurité maritime, elle, est la grande oubliée. Ces vieux navires, souvent sans assurance fiable, sillonnent les océans comme des bombes à retardement flottantes. Un désastre écologique en puissance que personne ne semble vouloir prévenir.
Le contournement des sanctions a un prix, et il n’est pas uniquement économique. En devenant le complice de fait de la stratégie russe, le Gabon joue un jeu dangereux qui pourrait lui coûter cher. Les pressions internationales s’intensifient, et la question n’est plus de savoir si, mais quand les conséquences de cette complaisance se feront sentir.
Une danse macabre sur les eaux internationales
L’immatriculation massive de navires russes sous pavillon gabonais ressemble à une danse macabre où chaque partenaire feint d’ignorer les risques qu’il prend. D’un côté, une Russie désespérée de maintenir ses exportations de pétrole, de l’autre, un Gabon trop heureux de monnayer sa souveraineté maritime.
Les autorités gabonaises défendent leur « droit à l’autonomie maritime », un euphémisme à peine voilé pour justifier leur rôle de facilitateur dans le contournement des sanctions internationales. Mais à quel prix ? La réputation internationale du pays est en jeu, sans parler des risques environnementaux et sécuritaires liés à cette flotte vieillissante.
Un pari risqué sur l’avenir
Le Gabon a choisi son camp dans cette guerre économique, celui de la complaisance lucrative. Mais alors que 95 pétroliers battent désormais pavillon gabonais, une question demeure : combien de temps ce petit pays africain pourra-t-il continuer à jouer les équilibristes entre appât du gain et pressions internationales ?
La réponse à cette question pourrait bien déterminer non seulement l’avenir du transport maritime dans la région, mais aussi la crédibilité du Gabon sur la scène internationale. En attendant, la « flotte fantôme » continue de naviguer sous les couleurs vert-jaune-bleu du Gabon, transformant ce pays d’Afrique centrale en complice involontaire – ou peut-être pas si involontaire que cela – d’une des plus grandes opérations de contournement de sanctions de l’histoire maritime récente.