L’ouverture de l’Assemblée Constituante gabonaise ce 12 septembre 2024, marque un tournant décisif dans l’histoire politique du pays. Cet organe, chargé d’examiner le projet de nouvelle Constitution, cristallise les espoirs d’un renouveau démocratique tout en suscitant de vifs débats sur l’avenir institutionnel du Gabon post-Bongo.
Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | 12 septembre 2024
Un processus constituant sous le feu des projecteurs
Le Gabon se trouve à la croisée des chemins. Le renversement du régime Bongo en août 2023 a ouvert une parenthèse transitoire, porteuse de promesses, mais aussi d’incertitudes. L’Assemblée Constituante, fruit de cette transition, se voit investie d’une mission capitale : façonner le cadre institutionnel de la Troisième République gabonaise.
Le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, a impulsé cette dynamique de refondation constitutionnelle. Néanmoins, le chemin vers un nouveau pacte social s’avère semé d’embûches. Les attentes citoyennes, nourries par des décennies de frustrations politiques, se heurtent à la complexité de l’exercice constituant.
Concrètement, l’Assemblée siégera pendant dix jours intenses, du 12 au 22 septembre 2024. Les 168 parlementaires qui la composent – 98 députés et 70 sénateurs de transition – auront la lourde tâche de disséquer, débattre et amender le projet constitutionnel. Un exercice d’autant plus délicat que leur légitimité même fait l’objet de controverses.
Subséquemment, la méthode de désignation de ces constituants soulève des interrogations. Nommés plutôt qu’élus, ces parlementaires voient leur représentativité questionnée. Ce mode de sélection, justifié par l’urgence de la situation, alimente néanmoins les débats sur la nature véritablement démocratique du processus en cours.
Une Constitution en gestation : entre promesses et polémiques
Le contenu du projet constitutionnel cristallise toutes les attentions. Les promesses de changement se heurtent à des débats passionnés sur la nature du futur régime politique gabonais. Bien que le texte intégral demeure confidentiel, certaines dispositions phares ont d’ores et déjà fuité, esquissant les contours d’un système politique profondément remanié.
Premièrement, l’instauration d’un régime présidentiel fort, avec la suppression du poste de Premier ministre, s’érige en pierre angulaire du projet. Cette réforme, présentée comme un gage d’efficacité gouvernementale, suscite néanmoins des débats houleux. D’aucuns y voient la promesse d’une action publique plus cohérente, quand d’autres redoutent les dérives d’un pouvoir exécutif hypertrophié.
Deuxièmement, la limitation du mandat présidentiel à sept ans, renouvelable une seule fois, apparaît comme une avancée significative. Cette disposition, couplée à des garde-fous contre toute velléité de modification constitutionnelle opportuniste, promet de tourner la page des présidences à vie. Toutefois, la durée septennale du mandat alimente les controverses, certains plaidant pour un quinquennat plus en phase avec les dynamiques contemporaines.
Troisièmement, le durcissement des critères d’éligibilité présidentielle soulève des débats passionnés. L’exigence d’un âge compris entre 35 et 70 ans, d’un mariage avec un(e) Gabonais(e), et de parents nés gabonais, vise à garantir l’ancrage national des futurs dirigeants. Cependant, ces dispositions suscitent des interrogations quant à leur caractère potentiellement discriminatoire et leur impact sur le renouvellement de la classe politique.
Quatrièmement, la constitutionnalisation du statut de « héros » pour les militaires ayant renversé le régime Bongo constitue un point d’achoppement majeur. Si cette disposition vise à légitimer a posteriori le coup d’État, elle soulève des questions épineuses sur la neutralité politique de l’armée et le précédent qu’elle pourrait créer.
Subséquemment, ces propositions dessinent les contours d’un système politique en mutation profonde. Elles promettent un nouveau départ pour le Gabon, tout en alimentant des débats cruciaux sur l’équilibre des pouvoirs et la nature même de la démocratie gabonaise en devenir.
L’épineuse question de l’impartialité des constituants
La crédibilité du processus constituant repose sur l’impartialité de ses acteurs. Or, des inquiétudes légitimes émergent au sein de l’opinion publique, notamment concernant la probité de certains parlementaires. Le cas de figure le plus emblématique, et non des moindres, concerne ceux qui, récemment encore, battaient campagne pour le « OUI » au futur référendum constitutionnel, et ce, avant même d’avoir pris connaissance du contenu du projet.
L’affaire Marc Ona Essangui, 3ᵉ Vice-président du Sénat de Transition, illustre ce paradoxe avec une acuité particulière. Son récent périple dans sa province natale, aux côtés d’autres parlementaires, pour promouvoir le « OUI« , alors même que le projet de Constitution n’avait pas été officiellement présenté, soulève des questions troublantes sur l’intégrité du processus.
Cette situation alimente un débat fondamental : comment garantir l’objectivité et la sincérité de l’examen constitutionnel quand certains de ses artisans ont déjà pris position publiquement ? La crédibilité et l’impartialité de ces parlementaires se trouvent mises en doute, jetant une ombre sur la légitimité même de l’Assemblée Constituante.
Pour dissiper ces soupçons et restaurer la confiance, les constituants devront faire preuve d’une transparence sans faille et d’une ouverture au dialogue inédite. Ils sont appelés à démontrer leur capacité à transcender leurs positions initiales, à examiner le texte avec un œil critique et impartial, quitte à remettre en question certains aspects du projet si l’intérêt supérieur de la nation l’exige.
Subséquemment, l’enjeu pour ces parlementaires sera de prouver qu’ils peuvent s’élever au-dessus des clivages partisans et des intérêts particuliers pour se mettre véritablement au service de l’édification d’un nouveau pacte social gabonais. Leur capacité à relever ce défi conditionnera largement la légitimité et l’acceptation de la future Constitution par l’ensemble du peuple gabonais.
Les défis titanesques d’une refondation institutionnelle
Inéluctablement, l’Assemblée Constituante gabonaise se trouve confrontée à des défis colossaux dans sa mission d’élaboration de la nouvelle loi fondamentale. Au-delà des questions d’impartialité, elle doit relever plusieurs gageurs majeurs pour garantir le succès de cette entreprise de refondation institutionnelle.
Premièrement, la quête d’un équilibre des pouvoirs s’impose comme un enjeu central. Face aux craintes d’un « hyperprésidentialisme » latent, l’Assemblée devra œuvrer à l’instauration de mécanismes de contre-pouvoirs efficaces et robustes. La suppression annoncée du poste de Premier ministre, si elle est entérinée, devra être contrebalancée par un renforcement substantiel des prérogatives du Parlement et une garantie inébranlable de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Deuxièmement, la question épineuse de la représentativité et du consensus national se pose avec une acuité particulière. L’Assemblée est investie de la mission herculéenne d’élaborer une Constitution dans laquelle « la quasi-totalité des Gabonais et Gabonaises ou presque se reconnaîtront ». Cette tâche titanesque implique de concilier les différentes sensibilités politiques, ethniques et sociales du pays, tout en préservant la cohérence et l’efficacité du texte fondamental.
Troisièmement, l’affirmation de l’indépendance vis-à-vis du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) constitue un enjeu crucial. L’Assemblée devra démontrer son autonomie face à cet organe qui conserve un droit de regard final sur le texte. Sa marge de manœuvre réelle pour proposer et faire adopter des amendements substantiels sera un baromètre clé de la sincérité et de la profondeur du processus de refondation institutionnelle.
Quatrièmement, le délai extrêmement contraint de dix jours pour examiner le projet et proposer des amendements pose un défi de taille. Cette contrainte temporelle draconienne pourrait limiter la profondeur des débats et la portée des modifications envisageables, au risque de produire un texte insuffisamment mûri ou consensuel.
Cinquièmement, la pression de l’opinion publique pèsera comme une épée de Damoclès sur les travaux de l’Assemblée. Les constituants, sommés de « reconquérir le cœur de l’opinion publique nationale » après des critiques acerbes lors de précédents travaux, devront démontrer leur capacité à transcender les clivages pour défendre l’intérêt supérieur de la Nation.
Subséquemment, pour relever ces défis titanesques, les membres de l’Assemblée constituante sont exhortés à faire preuve d’un patriotisme et d’une sagesse à la hauteur de l’enjeu historique. Leur capacité à formuler des amendements pertinents, à mener des débats constructifs et à produire un texte équilibré et consensuel sera déterminante pour l’avenir politique et institutionnel du Gabon.
Vers un nouvel horizon démocratique ?
Le lancement de l‘Assemblée Constituante marque un tournant dans l’histoire politique du Gabon. Ce processus, malgré ses imperfections et les controverses qu’il suscite, porte en lui les germes d’un renouveau démocratique tant attendu par la population.
Les attentes des citoyens gabonais sont aussi diverses que pressantes. D’un côté, une aspiration profonde à tourner la page de décennies de pouvoir personnalisé et à jeter les bases d’une démocratie plus inclusive et dynamique. De l’autre, la crainte de l’instabilité et le désir de préserver certains acquis créent une tension palpable entre volonté de changement et besoin de continuité.
La nouvelle Constitution, si elle voit le jour, promet plusieurs avancées significatives. La limitation des mandats présidentiels, la séparation affirmée des pouvoirs, la promesse d’une décentralisation accrue sont autant d’éléments qui pourraient contribuer à renforcer l’État de droit et à insuffler un nouveau dynamisme à la vie politique gabonaise.
Cependant, le chemin vers une démocratie mature et stable reste semé d’embûches. La mise en œuvre effective des nouvelles dispositions constitutionnelles, le respect de l’esprit des institutions par les futurs dirigeants, et la capacité de la société civile à jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir seront déterminants pour transformer les promesses en réalités tangibles.
L’Assemblée Constituante qui s’ouvre aujourd’hui porte une responsabilité historique. Elle a l’opportunité de poser les fondations d’un Gabon nouveau, plus démocratique, plus inclusif et plus prospère. Mais pour cela, elle devra transcender les clivages, faire preuve d’une sagesse et d’une vision à la hauteur des enjeux, et placer résolument l’intérêt supérieur de la nation au cœur de ses travaux.
En conséquence, le Gabon se trouve à un carrefour décisif de son histoire. L’Assemblée Constituante qui débute ses travaux aujourd’hui a le pouvoir de redessiner l’avenir politique et institutionnel du pays. Si elle parvient à surmonter les défis qui se dressent devant elle et à produire un texte à la hauteur des aspirations du peuple gabonais, elle pourrait ouvrir la voie à une nouvelle ère démocratique. Toutefois, seul l’avenir dira si cette promesse de renouveau se concrétisera réellement, transformant durablement le paysage politique gabonais et répondant aux attentes d’un peuple en quête de changement et de dignité retrouvée.