Pascal Ogowe Siffon, Ministre du tourisme - La caravane touristique, miroir aux alouettes coûteux
Pascal Ogowe Siffon, Ministre du tourisme - La caravane touristique, miroir aux alouettes coûteux

Dans un Gabon en pleine transition politique, la récente Caravane Touristique s’apparente davantage à un dispendieux spectacle qu’à une véritable stratégie de développement touristique. Cette opération soulève de sérieuses questions sur l’utilisation des fonds publics et la pertinence des priorités gouvernementales.

Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | Date : 21 septembre 2024

Pascal Ogowe Siffon, Ministre du tourisme - La caravane touristique, miroir aux alouettes coûteux
Pascal Ogowe Siffon, Ministre du tourisme – La caravane touristique, miroir aux alouettes coûteux

Un faste déplacé dans un pays en quête de renouveau

Le 18 septembre 2024, Pascal Ogowe Siffon, ministre du Tourisme et de l’Artisanat, présentait un bilan dithyrambique de la première édition de la Caravane Touristique du Gabon. Cette opération, qui s’est déroulée du 15 juillet au 30 août 2024, avait pour objectif affiché de « mettre en valeur le potentiel touristique du pays » et d’encourager le tourisme intérieur. Cependant, l’examen attentif des faits révèle un décalage saisissant entre les ambitions affichées et la réalité socio-économique du pays.

Le coût pharaonique de cette caravane — estimé à plus de 4 milliards de Francs CFA — interpelle dans un pays où le taux de chômage atteint 36,4 %, culminant même à 40 % chez les jeunes. Ces chiffres alarmants placent le Gabon dans le triste top 10 mondial des pays au chômage le plus élevé, selon la Banque Mondiale. Dans ce contexte, l’organisation d’un tel événement semble relever davantage de l’hubris ministérielle que d’une politique touristique réfléchie.

Mettre la charrue avant les bœufs

Le ministre Pascal Ogowe Siffon au Sud du Gabon, dans le village Matsamatsengui, province de la Ngounié.
Le ministre Pascal Ogowe Siffon au sud du Gabon, dans le village Matsamatsengui, province de la Ngounié.

Des infrastructures défaillantes, un développement en trompe-l’œil

Alors que le ministre s’évertue à vanter les mérites de sa caravane, l’état des infrastructures du pays raconte une tout autre histoire. Le réseau routier gabonais, élément crucial pour le développement touristique, est dans un état déplorable. Malgré les annonces du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) sur la reprise des travaux routiers, de nombreux axes restent impraticables, rendant l’accès aux sites touristiques difficile, voire dangereux.

Cette réalité contraste fortement avec les déclarations du ministre Siffon, qui évoque une « réussite économique et sociale » de la caravane. Comment parler de succès quand les fondamentaux du développement touristique — accessibilité, infrastructures d’accueil, formation du personnel — font cruellement défaut ?

Un tourisme pour qui ?

Le ministre se targue d’avoir attiré 1156 caravaniers et 2592 visiteurs lors de cet événement. Mais ces chiffres, aussi flatteurs soient-ils, soulèvent une question impérative : qui peut réellement se permettre de participer à ces circuits touristiques ?

Avec un salaire minimum officiel de 150 000 FCFA — souvent non respecté dans la réalité, où de nombreux travailleurs perçoivent entre 50 000 et 100 000 FCFA — comment le Gabonais moyen pourrait-il envisager de débourser entre 66 500 et 255 000 FCFA pour participer à la caravane ? Cette initiative semble donc destinée à une élite déconnectée des réalités socio-économiques du pays, creusant davantage le fossé entre une minorité privilégiée et la majorité de la population laissée pour compte.

Le rôle crucial des ministres dans la transition : entre ambitions et réalités

Dans le contexte de la transition politique au Gabon, le rôle des ministres revêt une importance capitale. Leur mission première devrait être de préparer le terrain pour le futur gouvernement élu, en mettant en place des fondations solides dans leurs domaines respectifs. Pour le ministre du Tourisme, cela impliquait un travail de fond : valorisation du potentiel touristique, élaboration d’une stratégie cohérente, développement d’infrastructures pérennes, et implication des populations locales dans une vision de tourisme durable.

Or, l’action de Pascal Ogowe Siffon semble s’écarter de ces objectifs primordiaux. Au lieu de se concentrer sur les défis structurels du secteur touristique gabonais — tels que l’amélioration des infrastructures d’accueil, la formation professionnelle, ou la mise en place d’un cadre réglementaire adapté — le ministre a opté pour une opération de communication grandiose et coûteuse. Cette approche soulève des questions sur la compréhension du mandat confié aux ministres de la Transition.

Le Plan national de développement de la Transition (PNDT 2024-2026) fixait des objectifs ambitieux, notamment celui d’attirer 600 000 touristes annuels d’ici à 2029. Cependant, la réalisation de tels objectifs nécessite bien plus qu’une caravane médiatique. Elle exige une refonte en profondeur du secteur, une coordination interministérielle efficace, et une gestion rigoureuse des ressources publiques. La déconnexion entre ces ambitions affichées et les actions concrètes mises en œuvre témoigne d’un échec dans l’interprétation du rôle ministériel durant cette période cruciale.

En choisissant le spectacle plutôt que l’action de fond, le ministre du Tourisme semble avoir perdu de vue l’essence même de sa mission transitoire : poser les jalons d’un développement touristique durable et inclusif, capable de contribuer significativement à l’économie gabonaise sur le long terme. Cette attitude questionne non seulement la pertinence des actions menées, mais aussi la capacité du gouvernement de transition à répondre aux véritables enjeux du pays.

Janvier 2024, le ministre gabonais du Tourisme et de l’Artisanat, à la Foire internationale du tourisme de Madrid (Espagne)
Janvier 2024, le ministre gabonais du Tourisme et de l’Artisanat, à la Foire internationale du tourisme de Madrid (Espagne)

Une transition en quête de sens

La mise en place du CTRI suite au changement de régime intervenu le 30 août 2023, avait suscité l’espoir d’une gouvernance plus transparente et axée sur les besoins réels de la population. Le général-président Brice Clotaire Oligui Nguema avait promis de « rétablir un régime civil par le biais d’élections libres, transparentes et crédibles« . Dans ce contexte, l’organisation d’une caravane touristique dispendieuse semble en contradiction flagrante avec les principes de sobriété et de bonne gestion des deniers publics attendus durant cette période de transition.

La Caravane Touristique du Gabon 2024, apparaît comme un symptôme d’une gouvernance encore trop axée sur l’apparence plutôt que sur le fond. Alors que le pays fait face à des défis majeurs en termes d’emploi, d’infrastructures et de développement économique, ce type d’initiative soulève de sérieuses questions sur la capacité du gouvernement de transition à répondre aux véritables attentes du peuple gabonais. Il est d’autant plus préoccupant de constater qu’en 2024, la contribution du tourisme au PIB du Gabon reste relativement modeste, représentant environ 4 % du PIB national. Ce chiffre souligne l’ampleur du travail qui reste à accomplir pour faire du tourisme un véritable levier de développement économique.

Pour que le tourisme devienne réellement un moteur de croissance au Gabon, il faudra bien plus qu’une caravane médiatique. C’est une refonte en profondeur de la politique touristique, alignée sur les besoins réels du pays et de sa population, qui s’impose. Cette transformation nécessite des investissements ciblés dans les infrastructures, une formation adéquate des professionnels du secteur, et une stratégie de développement durable qui profite véritablement aux communautés locales. En attendant, la Caravane Touristique reste un coûteux miroir aux alouettes, symbole d’une gouvernance qui peine encore à se réinventer et à s’attaquer aux défis structurels du pays.

 

DBnews

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