Gabon, suite du dossier « Scorpion », Brice Laccruche Alihanga, ainsi que plusieurs de ses anciens proches et collaborateurs, comparaissent ce 24 mai devant la justice. Certains sont en liberté provisoire.
La disgrâce et descente aux enfers
Brice Laccruche Alihanga avait été nommé directeur de cabinet du Président déchu Ali Bongo Ondimba du Gabon le 25 août 2017. Il a occupé ce poste pendant deux ans avant d’être démis de ses fonctions en novembre 2019. Certaines personnes occupant de hautes fonctions administratives, militaires, politiques et issues de la société civile politisée étaient surnommées les « BLA-Boys ». Car, elles devaient leur ascension à leur proximité supposée ou à la protection de Brice Laccruche Alihanga, alors tout-puissant.
Vers la fin octobre 2019, la situation a pris une tournure différente pour tous. Les soupçons de détournements par les « BLA-Boys » étaient de plus en plus évoqués sur la place publique. Les signes extérieurs de richesse et l’opulence soudaine de certains membres choquaient. De plus, les insinuations selon lesquelles, ils cherchaient à s’accaparer du pouvoir ajoutaient à la psychose qui régnait au sommet de l’État. Dans les jours qui ont suivi, les « BLA-Boys » ont été arrêtés par petits groupes. Le coup final est intervenu avant la fin de 2019, en plein mois des fêtes, le 13 décembre 2019, lorsque Brice Laccruche Alihanga lui-même a été arrêté et écroué. Ainsi prenait fin l’ascension la plus fulgurante qu’ait connue le pays avant le 30 août 2023, date du coup d’État qui a renversé Ali Bongo Ondimba.
Défense musclée !
En comparaissant libre ce matin, accompagné de son avocat Me Anges Kevin Nzigou, Brice Laccruche Alihanga joue son va-tout. Selon des échos provenant du Tribunal de Première Instance de Libreville, Brice Laccruche Alihanga aurait demandé au tribunal à entendre l’ancien Chef de l’État Ali Bongo Ondimba comme témoin. Chacun sait qu’Ali Bongo Ondimba est en résidence surveillée depuis le coup d’État, et que mis à part son appel au secours en anglais « make noise, make noise », tout ce qui est dit le concernant ne sont que des faits rapportés. Cependant, selon des sources bien informées sur les événements au sommet de l’État, Ali Bongo aurait reçu jeudi un avis pour comparaître à l’audience impliquant son ancien collaborateur, Brice Laccruche Alihanga.
Afin d’établir un rapport de force, Brice Laccruche Alihanga aurait également demandé à la justice d’entendre deux autres personnalités clés de l’ancien régime, aujourd’hui membres du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI). Il s’agit de messieurs Yann Koubdje, ancien gestionnaire à la BGFI, qui avait en charge le compte n°4000304100 21008951013-55, intitulé « REPUBLIQUE GABONAISE – TRESOR PUBLIC », avant d’être nommé Directeur Général de la Comptabilité Publique et du Trésor. Et Fabrice Andjoua Bongo Ondimba, ancien Directeur Général du Budget et des Comptes publics, mais surtout fils de l’ancienne présidente de la Cour constitutionnelle. Étonnamment, Brice Laccruche Alihanga n’a pas demandé à entendre l’ancien ministre de l’Économie, des Finances et des Solidarités nationales de l’époque, Roger Owono Mba. Si l’objectif est la recherche de la vérité, pourquoi exclure ce personnage clé ?
L’outrance
La chute de Brice Laccruche Alihanga, les arrestations et le procès de l’opération anti-corruption « Scorpion » n’auraient pas été possibles sans le travail minutieux d’informations fournies par les directions générales des contre ingérences et de la sécurité militaire, communément appelée (B2), et les services spéciaux, dirigés à l’époque par un certain Brice Clotaire Oligui Nguema, aujourd’hui à la tête de la transition.
Ouvert ce matin au Palais de Justice de Libreville, le procès promet d’être le lieu de révélations majeures. Les accusés, autrefois étroitement liés, sont soupçonnés d’avoir détourné des fonds publics. Ils auraient confondu les finances publiques avec la caverne d’Ali Baba. D’après les rumeurs, Brice Laccruche Alihanga semble déterminé à dévoiler la vérité et à démêler le vrai du faux dans cette affaire de corruption qui a entaché non seulement la gestion du pays, mais qui donne également une très piètre image des gouvernants, pitoyables les uns et les autres.
Au grand dam de ceux qui avaient cru qu’après la mise à l’écart des « égarés » de 2019, le pays repartirait de bons pieds, c’est la désillusion totale. Après le bref passage au pouvoir des « princes et princesses » autoproclamés de la république monarchique du Gabon, ils ont été rapidement remplacés par d’autres individus animés uniquement par les mêmes intentions néfastes. Sous Omar Bongo, les détournements se faisaient « à la pelle« , et il fallait quelques années avant de rouler carrosse. Sous Maixent Accrombessi, Brice Laccruche Alihanga, Mohamed Ali Saliou, Abdul Hosseini et Jessye Ella Ekogha, Noureddine Bongo Valentin et consorts, on est passé à un niveau supérieur, c’était la « tractopelle ». Le règne de ceux qui se sont enrichis aux dépens de l’État.
La prison
Libéré le 20 octobre 2023 par le nouveau dirigeant du Gabon, Brice Clotaire Oligui Nguema, après près de quatre ans de détention et de maltraitance, Brice Laccruche Alihanga se retrouve aujourd’hui devant les juges. Ce qui faisait autrefois son charme à l’apogée de sa réussite, le regard sûr et l’allure fringante, n’est plus qu’un lointain souvenir. Les quatre années d’une détention inhumaine ont eu raison de l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba. Affaibli physiquement et ayant perdu sa mère récemment, c’est un homme qui mène le combat de sa vie, défendant sa cause face aux accusations, renié par ses anciens alliés. Brice Laccruche Alihanga n’est sans doute pas en état de comparaître.
Au-delà de l’infortuné Brice Laccruche Alihanga et des autres individus qui sont avec lui sur les bancs des accusés, il est important de rappeler que les fortunés milliardaires et millionnaires, morts ou vivants au Gabon, n’ont pas hérité de fortunes familiales. Ils n’ont créé aucune entité pour s’enrichir par leur propre travail. Les fortunes du Gabon proviennent toutes du pillage du pays et de détournements des fonds publics. Les régimes successifs, depuis Omar Bongo jusqu’à Ali Bongo Ondimba, en passant par le président de la transition actuelle, des figures de l’opposition et de la société civile, ont tous profité de l’argent de l’État. Un pays riche, mais un peuple pauvre.
La comparution de personnalités clés
Selon les informations provenant du Tribunal, Brice Laccruche Alihanga aurait cité à comparaître Ali Bongo Ondimba, son demi-frère Fabrice Andjoua Bongo Ondimba et Yann Koubdje. Cependant, il est peu probable qu’Ali Bongo soit convoqué, car il serait étonnant que le régime actuel offre une tribune au président déchu, de peur qu’il ne divulgue d’autres secrets.
Il n’a échappé à personne que, depuis l’accident vasculaire cérébral (AVC) d’Ali Bongo, son entourage, y compris sa famille, a cherché par tous les moyens à conserver ses privilèges. Les vains espoirs des conseillers de Brice Laccruche Alihanga de faire comparaître Ali Bongo risquent bien de demeurer à l’état d’intention.
Même s’il serait naïf de croire que les détournements de fonds publics ont pu se faire sans l’approbation d’Ali Bongo, il est aussi important de rappeler à ceux qui semblent se couvrir aujourd’hui des manteaux de femmes et d’hommes d’un comportement irréprochable, qu’après le 24 octobre 2018, parmi eux se trouvent ceux qui ont profité des faux ordres de nomination, impliquant une falsification de la signature du président de la République, Ali Bongo Ondimba. Le Gabon est un petit pays, et parmi les heureux bénéficiaires, on trouve un certain Brice Clotaire Oligui Nguema, rentré au Gabon après près d’une décennie à l’étranger. Le cas de Fabrice Andjoua Bongo Ondimba interpelle, protégé par sa mère, Marie-Madeleine Mborantzuo, il a échappé à la prison dans l’affaire « Scorpion ». Le président de la transition, prendra-t-il le risque de croiser le fer avec la redoutable ex-miss du Haut-Ogooué et mère de deux enfants d’Omar Bongo ?
Justice : les Conséquences dévastatrices
Les détournements de fonds publics en Afrique, et particulièrement au Gabon, ont des conséquences désastreuses pour les populations. Ils affectent gravement les services publics essentiels, exacerbent la pauvreté endémique, le chômage dans toutes les catégories de la société, ainsi que l’instabilité politique et sociale. Brice Laccruche Alihanga et ses anciens collaborateurs font face à des accusations de détournement de fonds publics, de complicité, de concussion et de blanchiment de capitaux, bien que certains aient bénéficié de non-lieux.
Ces actes de corruption présumés privent les citoyens des ressources qui auraient dû être allouées au développement du pays et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Les détournements de fonds engendrent un appauvrissement supplémentaire des populations déjà vulnérables et un manque criant d’investissements dans des secteurs vitaux comme l’éducation, la santé et les infrastructures. Ils alimentent également la défiance envers les institutions étatiques et peuvent favoriser l’instabilité socio-politique. C’est pourquoi cette affaire soulève des enjeux majeurs de justice, de bonne gouvernance et de responsabilité pour les dirigeants.
Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME
24/05/2024