Le bras de fer entre Oligui Nguema et l'empire Bongo-Oyima.
Le bras de fer entre Oligui Nguema et l'empire Bongo-Oyima

Le Gabon traverse une refonte politique et économique depuis le coup d’État d’Oligui Nguema, confronté à des enjeux cruciaux : héritage Bongo, tensions régionales et réformes internes complexes. Le 29 novembre 2024, Africa Intelligence dévoilait les coulisses d’un affrontement stratégique entre le président de la transition gabonaise, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, et les « Bongo » pour le contrôle de la BGFIBank. « Qui tient la bourse tient le pouvoir » — Adage politique séculaire qui résonne particulièrement dans les couloirs feutrés au Gabon.

Par AM DWORACZEK-BENDOME | 05 décembre 2024

Le bras de fer entre Oligui Nguema et l'empire Bongo-Oyima.
Le bras de fer entre Oligui Nguema et l’empire Bongo-Oyima

Une lutte pour le contrôle de LA BGFI BANK 

Dans les arcanes du pouvoir gabonais, une bataille titanesque se joue entre le général Brice Clotaire Oligui Nguema, président de la transition et les vestiges de l’empire Bongo. Au cœur de cet affrontement tellurique : la BGFIBank, véritable léviathan financier d’Afrique centrale, dont le sort cristallise les antagonismes entre l’ancien régime et les nouvelles autorités. Cette lutte intestine, qui secoue les fondements mêmes de l’économie gabonaise, illustre la complexité des relations entre pouvoir politique et puissance financière dans un pays en pleine mutation.

L’empire Bongo 

 

L’empire Bongo, tel un colosse aux pieds d’argile, voit son hégémonie économique vaciller. Delta Synergie, holding familiale tentaculaire pilotée par Pascaline Bongo, fille ainée du défunt président Omar Bongo, se retrouve acculée face à un ultimatum présidentiel sans précédent : céder ses 9,91 % du capital de la BGFIBank avant le 6 décembre, sous peine d’une débâcle financière. Cette mise en demeure présidentielle augure d’une reconfiguration radicale du paysage économique gabonais, bouleversant des décennies d’arrangements tacites et de privilèges acquis. La résistance de Pascaline Bongo, héritière d’une dynastie qui a régné sans partage pendant plus d’un demi-siècle, symbolise le crépuscule d’une ère marquée par l’omnipotence d’une famille sur les ressources nationales.

La BGFIBank 

Depuis sa métamorphose de simple filiale de Paribas en mastodonte bancaire régional, la BGFIBank incarne la quintessence du capitalisme d’État gabonais. Créée en 1971 sous le nom de Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas), l’institution a connu une mutation  et changé de nom en devenant la Banque Gabonaise et Française Internationale (BGFI). Cette transformation, loin d’être anodine, reflète l’évolution des relations franco-gabonaises et l’émergence d’une élite financière locale sous la domination de la famille « Bongo ».

L’année 1983 marque un tournant décisif lorsque, sur l’insistance personnelle du défunt président Omar Bongo, Paribas recrute Henri-Claude Oyima, un jeune banquier issu de Citibank. Bien que non apparenté aux « Bongo », ses origines du Haut-Ogooué, fief historique de la famille présidentielle, ont indéniablement pesé dans ce choix stratégique. Nommé directeur général adjoint en 1985, puis propulsé à la tête de l’institution comme administrateur directeur général, Oyima incarne depuis lors la continuité et la stabilité du système financier gabonais.

 Une stratégie en plusieurs actes

Dans ce théâtre d’ombres politico-financier, le général-président déploie une stratégie machiavélienne savamment orchestrée. Le premier acte de cette offensive a été joué le 16 novembre 2024, avec l’organisation du référendum constitutionnel. Quelques jours plus tard, la Cour constitutionnelle en validait l’adoption définitive, scellant ainsi une série d’articles controversés. Parmi ces dispositions figurent des critères jugés arbitraires et discriminatoires : l’obligation d’avoir entre 35 et 70 ans pour se présenter à l’élection présidentielle, celle d’être marié(e) à un(e) Gabonais(e), perçue comme une intrusion dans la vie privée, et enfin la nécessité d’avoir résidé au Gabon durant les trois années précédant le scrutin. Ces mesures ont efficacement écarté la majorité des adversaires potentiels pour la prochaine élection, consolidant la position du président de transition.

L’acte suivant se déroule aujourd’hui autour de la BGFIBank, où Oligui Nguema orchestre une manœuvre prométhéenne contre Delta Synergie. Via son émissaire Pierre Duro, il propose un marché faustien aux contours savamment calculés : l’abandon des audits étatiques en échange d’une cession immédiate des parts dans la BGFIBank. Cette manœuvre ciblée vise à démanteler les fondements économiques de l’ancien régime tout en consolidant son autorité.

L’habileté tactique d’Oligui Nguema réside dans sa capacité à présenter cette offensive comme une nécessaire modernisation du système financier, tout en masquant ses ambitions personnelles de contrôle des leviers économiques. Cette stratégie à double détente s’inscrit dans une vision plus large du contrôle du pouvoir. En effet, après avoir neutralisé les opposants politiques par le référendum, il s’attaque maintenant aux derniers obstacles sérieux sur son chemin vers 2025 : les moyens financiers et les réseaux d’influence de messieurs Hervé-Patrick Opianga et Henri Claude Oyima, ne laissant comme seule variable que l’inconnu.

Les ramifications régionales 

Cette confrontation dépasse les frontières gabonaises pour irradier l’ensemble de la sous-région. À Brazzaville, le président Sassou-Nguesso observe avec circonspection cette reconfiguration tectonique du pouvoir. L’influence d’Omar Denis Junior Bongo au Congo amplifie la portée géopolitique de ce bras de fer, tandis que les réseaux d’influence transfrontaliers se trouvent menacés de dislocation. Les alliances historiques entre les élites financières d’Afrique centrale, forgées pendant des décennies de stabilité dynastique, sont désormais soumises à des tensions sans précédent.

L’empire Oyima 

L’actionnariat de la BGFIBank dévoile une concentration familiale qui défie l’entendement. Au cœur de cet empire financier, la holding Nahor Capital orchestre une mainmise familiale méticuleusement structurée. Henri-Claude Oyima, patriarche de cette dynastie bancaire, maintient une emprise personnelle de 2% des actions de BGFI Corporation. Cette participation directe n’est que la partie émergée de l’iceberg familial. Son fils aîné, Rohan Henri-Claude, détient à lui seul 1,85% du capital, tandis que ses filles se partagent des parts substantielles : Fabiola contrôle 1,12%, Sabrina gère 1,15%, Claudia possède 1,08% du capital. Les plus jeunes héritiers ne sont pas en reste : Ndzaba Glendora dispose de 0,95%, Ognaligui Brenda administre 0,89%, et Henriette complète le tableau avec 0,55% des parts. Cette constellation familiale cumule ainsi une participation stratégique de 9,59% dans le géant bancaire, représentant précisément 150 000 actions et une fortune estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros et de Dollars. Cette concentration de richesse au sein d’une seule lignée illustre la perpétuation d’un système dynastique où patrimoine financier et influence familiale s’entremêlent parfaitement.

Une fracture sociale persistante

Cette concentration de richesse contraste brutalement avec la situation économique du citoyen gabonais moyen. La saga de la BGFIBank sous Henri-Claude Oyima incarne les disparités criantes du Gabon. Alors que cette banque est devenue un pilier de l’économie nationale, sa gestion et sa répartition des richesses mettent en lumière les fractures sociales. Pour beaucoup, elle est le symbole d’un système où une élite minoritaire s’enrichit sur le dos des ressources nationales, tandis que la majorité demeure exclue des bénéfices.

Ainsi, plus de quinze mois après le coup d’État du 30 août 2023 qui a renversé le régime d’Ali Bongo, la fracture sociale au Gabon demeure béante, tel un gouffre insondable entre les élites financières et la population ordinaire. Des artères bondées de Libreville aux ruelles poussiéreuses de Port-Gentil, des quartiers populaires de Franceville aux recoins oubliés de Koula-Moutou, Ndendé et Minvoul, le quotidien des Gabonais raconte une tout autre histoire que celle des dividendes mirobolants de la BGFIBank.

Dans ce théâtre des inégalités, pendant que les héritiers Oyima et Bongo orchestrent une valse de millions en euros et en dollars en actifs bancaires, le peuple gabonais, lui, s’évertue simplement à survivre, pris dans l’étau d’une précarité devenue chronique. Cette réalité brutale n’est pas l’exception mais la norme dans un pays où le secteur informel engloutit plus de 60% de la population active. Ces travailleurs, jonglant entre petits métiers et débrouillardise quotidienne, voient leurs revenus fluctuer au gré d’une économie parallèle aussi instable que les promesses de changement. Les anonymes, ces éternels oubliés des régimes successifs, incarnent le paradoxe cruel d’un pays où l’abondance des ressources naturelles contraste violemment avec la pauvreté de leur redistribution, faisant de l’iniquité sociale non pas une anomalie, mais le fondement même d’un système de gouvernance sclérosé.

Le changement de régime, initialement salué comme l’aube d’une nouvelle ère, peine à transformer cette réalité économique implacable. Les rues de la capitale résonnent toujours des mêmes complaintes : un coût de la vie asphyxiant, des fins de mois impossibles, des rêves sans cesse reportés d’une génération à l’autre. Cette persistance des inégalités post-Bongo souligne l’ampleur titanesque du défi qui attend les nouvelles autorités dans leur promesse de transformation sociale. Pour l’heure, la transition semble davantage marquée par une conjonction des contraires, où les colmatages superficiels et l’agitation médiatique masquent mal l’absence d’actions concrètes pour le peuple.

Le parallèle Opianga-Oyima

L’affaire Hervé Patrick Opianga, homme d’affaires en fuite et ancien pilier du régime Bongo, préfigure-t-elle le sort d’Henri-Claude Oyima ? Ces deux figures emblématiques du capitalisme gabonais illustrent la fragilité des alliances dans un système en pleine mutation.

L’affaire Hervé Patrick Opianga cristallise la complexité des jeux de pouvoir dans le Gabon post-Bongo. Figure controversée du paysage économique national, cet ancien ministre et magnat des affaires a orchestré, dans l’ombre, plusieurs manœuvres qui ont contribué à la chute spectaculaire du régime d’Ali Bongo le 30 août 2023. Sa trajectoire fulgurante, bâtie non sur un héritage mais sur un réseau d’influences savamment tissé, illustre les mécanismes subtils de l’ascension sociale dans l’aristocratie gabonaise.

Au cœur de ce système d’alliances stratégiques, la connexion familiale avec Aubierge Mouvagha, première épouse d’Ali Bongo et mère de Malika, a joué un rôle catalyseur. Cette parenté avec la belle-famille présidentielle, couplée à ses liens étroits avec  fla famille IMMONGAULT (Régis et Hermann Immongault), piliers de l’establishment politique et économique, a transformé Opianga en un acteur incontournable du système Bongo. Cette toile d’influences, tissée à travers mariages et alliances familiales, illustre parfaitement l’adage selon lequel « la politique gabonaise se fait en famille ».

Le conglomérat « HPO & Associés« , véritable empire tentaculaire, témoigne de l’appétit vorace d’Opianga pour les secteurs stratégiques de l’économie nationale. De l’agro-industrie avec SOGADA aux travaux publics et mines via SGTP et SGTP-Mines, en passant par l’énergie (TRYAM), la santé (Medical Pro) et l’immobilier (SCI Moukouti), son empire commercial quadrillait méthodiquement les secteurs les plus lucratifs. Avec 337 employés directs, dans un pays où le chômage frappe entre 35 et 40% de la population active, HPO & Associés se présentait comme un acteur économique majeur, tout en illustrant paradoxalement les limites d’un modèle de développement élitiste incapable de résorber la pauvreté endémique.

Leurs trajectoires parallèles révèlent les mécanismes complexes d’un pouvoir économique bâti sur des relations personnelles plutôt que sur des institutions solides. La chute potentielle d’Oyima marquerait la fin d’une époque où le contrôle bancaire rimait avec l’impunité politique.

Horizon : Élection présidentielle 2025

Les bouleversements actuels qui secouent le Gabon s’inscrivent dans une perspective politique cruciale : l’échéance présidentielle de 2025, point d’orgue de la transition militaire. Le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, propulsé à la tête de l’État depuis le 30 août 2023, orchestre méthodiquement sa stratégie d’ancrage au pouvoir.

Fort d’une légitimité populaire consolidée par le récent référendum constitutionnel, le président de la transition dévoile progressivement ses ambitions présidentielles. Cependant, sa route vers 2025 est pavée d’obstacles complexes. L’affrontement titanesque autour de la BGFIBank, survenant dans le sillage de la spectaculaire déroute d’Hervé-Patrick Opianga, illustre l’ampleur des défis qui l’attendent. Oligui Nguema doit accomplir un exercice d’équilibriste périlleux : démanteler l’ancien système clanique tout en préservant la stabilité économique du pays.

Le contrôle de la BGFIBank, véritable coffre-fort de l’ancien régime, devient ainsi l’épicentre d’une bataille qui dépasse les simples enjeux financiers. Pour le général-président, s’assurer la mainmise sur cette institution représente bien plus qu’une victoire économique : c’est la clé de voûte de sa légitimité politique. Sa capacité à remodeler l’architecture financière du Gabon, tout en maintenant un équilibre précaire entre réforme et stabilité, conditionnera inexorablement ses aspirations présidentielles.

Un moment charnière pour le Gabon

Cette lutte acharnée pour le contrôle de la BGFIBank transcende la simple dimension financière pour incarner un moment décisif dans l’histoire du Gabon. Plus qu’une bataille pour le contrôle d’une institution bancaire, ce bras de fer symbolise la métamorphose douloureuse d’un pays tentant de s’extirper de décennies de gouvernance clanique. D’un côté, les vestiges d’un système oligarchique profondément enraciné, incarné par les familles Bongo et Oyima, s’accrochent à leurs privilèges historiques. De l’autre, émerge une volonté de transformation portée par le général Oligui Nguema, mais dont les contours et les intentions profondes restent à définir.

L’issue de cette confrontation titanesque déterminera non seulement l’architecture économique future du Gabon, mais aussi sa capacité à transcender un modèle de gouvernance qui a systématiquement privilégié l’enrichissement d’une élite au détriment du développement collectif. Dans cette transition tumultueuse, la BGFIBank apparaît comme le symbole d’un pays à la croisée des chemins, oscillant entre reproduction des schémas du passé et aspiration à un renouveau authentique de ses institutions.

DBnews

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