Bagarres, harcèlement, agressions… Les établissements scolaires gabonais sont plus que jamais confrontés à une inquiétante recrudescence des actes violents.
Par [Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME]
Une école sous tension : violences ordinaires, drames quotidiens
Il suffit de pousser les portes de certains établissements scolaires de Libreville pour percevoir l’atmosphère délétère qui y règne. Là où le savoir devrait s’enseigner, la peur prend parfois le dessus. Ces derniers mois, les violences physiques, les bagarres à l’école et les actes d’intimidation entre élèves se sont multipliés. Le 3 mai dernier, une vidéo virale montrant une élève du lycée Immaculée Conception rouée de coups par une camarade en plein cours a bouleversé l’opinion publique. Le visage tuméfié de la jeune fille, diffusé sur les réseaux sociaux, a une nouvelle fois mis en lumière l’insécurité grandissante dans les établissements scolaires gabonais.
« Nous sommes dépassés », confiait sous couvert d’anonymat un enseignant du lycée Diba Diba, théâtre en 2019 d’une agression violente contre un professeur. Il évoque le climat scolaire devenu anxiogène pour le personnel comme pour les élèves. Certains enseignants parlent de véritables zones de non-droit, où le racket, le bizutage, voire les violences sexuelles s’invitent dans le quotidien. Les châtiments corporels, bien que formellement interdits, subsistent dans certains cas, aggravant une atmosphère déjà fragile.
Les causes de la violence scolaire sont multiples : désœuvrement des jeunes, exposition aux contenus violents en ligne, banalisation de l’agression via TikTok, Instagram ou WhatsApp. « Les réseaux sociaux sont devenus le théâtre de la violence scolaire. On y filme, on y partage, on y glorifie », regrette une psychologue scolaire. Cette culture du spectacle amplifie les effets de la violence scolaire et transforme chaque témoin en potentiel spectateur silencieux, voire complice.
Témoignages d’élèves, parents et enseignants : la peur au quotidien
Au sein du lycée public Jean-Hilaire Aubame, Lucie, 15 ans, raconte avoir été victime de cyberharcèlement après avoir refusé les avances d’un camarade. « il’a créé un faux compte pour m’insulter tous les jours, il a même menacé de publier des photos truquées de moi. J’ai pensé à arrêter l’école. » L’adolescente n’est pas un cas isolé. D’après une enquête de 2019, 80 % des élèves interrogés déclarent avoir subi des violences verbales ou psychologiques, tandis que 59 % évoquent des violences physiques, et 18 % des violences sexuelles.
Pour les enseignants victimes de violence scolaire, le silence est souvent la seule réponse. « Un élève m’a menacé avec un compas. J’ai eu peur de porter plainte. La direction m’a demandé de garder ça pour moi, pour ne pas faire de vagues », confie un professeur du lycée de Nzeng-Ayong. Quant aux témoins de la violence scolaire, beaucoup hésitent à intervenir, de peur de représailles. Le sentiment d’impunité règne, renforcé par le manque de mesures de prévention des violences.
La présence de bars et de débits de boissons autour des établissements est régulièrement dénoncée. Elle favorise la consommation de drogues et d’alcool, et alimente la spirale de violence. « On voit des élèves en uniforme ivres à 11 heures du matin », raconte un surveillant du lycée technique de Libreville. L’absence de structures de sécurité à l’école et d’encadrement psychologique laisse le champ libre à toutes les dérives.
Face à cette situation, certains parents plaident pour l’instauration d’une unité spéciale de police scolaire, présente en permanence dans les établissements sensibles. Une solution qui fait débat, mais qui semble désormais indispensable pour beaucoup.
Des mesures sévères, mais insuffisantes : l’appel à l’action collective
Les autorités n’ont pas totalement fermé les yeux. Le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) a prôné une politique de tolérance zéro : exclusion temporaire ou définitive des élèves violents, interdiction de passer les examens nationaux pendant cinq ans et accompagnement psychologique des victimes. Mais ces mesures, bien que fermes, peinent à inverser la tendance.
Dans les écoles, des caravanes de sensibilisation sont organisées, associant éducateurs, parents et élèves pour lutter contre la dépravation des mœurs et promouvoir le vivre-ensemble. La création d’un corps de sécurité scolaire sous l’autorité du ministère de l’Intérieur est également en discussion. Mais sur le terrain, les résultats tardent à se faire sentir.
La société civile tente aussi de réagir. Des ateliers communautaires sont mis en place dans certains quartiers, afin de restaurer les valeurs traditionnelles et renforcer l’autorité parentale. Des campagnes contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement sont relayées sur les réseaux sociaux, notamment lors de journées internationales dédiées.
« Nous avons besoin de solutions durables. Pas seulement de répression, mais aussi de prévention, de dialogue, d’écoute », souligne un représentant d’une association de parents d’élèves. La prévention des violences scolaires passe par une éducation à la citoyenneté, des programmes scolaires adaptés et l’implication de toute la communauté éducative.
Police scolaire, infrastructures et thérapie : des clés pour apaiser l’école
La violence en milieu scolaire n’est pas une fatalité. Plusieurs pays africains ont déjà expérimenté la création de brigades scolaires, rattachées à la police nationale. Ces unités spéciales, formées à la médiation et à la protection des mineurs, interviennent en amont, désamorcent les conflits et assurent une présence dissuasive. Pourquoi pas le Gabon ?
Dans les quartiers sensibles de Libreville ou d’Owendo, une unité spéciale de police scolaire pourrait non seulement renforcer la sécurité, mais aussi rétablir un lien de confiance entre élèves, personnel et autorités. Elle permettrait de mieux gérer les situations de crise, de signaler plus efficacement les cas de violences sexuelles, d’insultes, de discrimination ou d’exclusion, et de mieux accompagner les victimes de violence scolaire.
L’autre urgence concerne les centres de suivi psychologique. Trop rares, souvent sous-équipés, ils peinent à répondre à l’ampleur du problème. Un élève violenté est un élève fragilisé. S’il n’est pas soutenu, il devient à son tour un potentiel agresseur. Il est donc essentiel de soigner, d’écouter, et de réinsérer.
Enfin, des activités sportives et culturelles doivent être promues. Construire des infrastructures adaptées, organiser des compétitions interscolaires, c’est canaliser l’énergie des jeunes vers des formes d’expression positives. C’est aussi leur redonner une place dans la société, un rôle, une reconnaissance.
Il est temps que la société gabonaise regarde la violence scolaire pour ce qu’elle est : un symptôme profond, révélateur d’un mal-être collectif. Et qu’elle y réponde non par la peur, mais par l’intelligence, la fermeté, et surtout, l’engagement.