Et si la Commission parlementaire en charge du passé colonial de la Belgique contribuait à décoloniser l’économie congolaise ? 



Et si la Commission parlementaire en charge du passé colonial de la Belgique contribuait à décoloniser l’économie congolaise ? 

Et si la Commission parlementaire en charge du passé colonial de la Belgique contribuait à décoloniser l’économie congolaise ? 

Opinion Par Baudouin Michel,
Agroéconomiste. Recteur de l’IFA-YANGAMBI-RDC / Directeur de l’ERAIFT-RDC / Maître de conférences Université de Liège – Gembloux Agro-Bio Tec-Belgique

La Commission parlementaire en charge du passé colonial de la Belgique termine ses travaux et rédige ses recommandations.

L’impact futur des recommandations sur la vie quotidienne des Congolais dans les villes et dans les immenses zones rurales de la RDC reste à estimer, mais d’ores et déjà, peu de recommandations et d’analyses de la Commission parlementaire semblent avoir trait au domaine socio-économique stricto sensu.

Or les conséquences du passé et du modèle économique colonial sur l’économie congolaise actuelle restent tangibles.

Si l’internaute congolais paie sa connexion internet 60 fois plus cher que l’internaute belge pour une connexion 20 fois plus lente, c’est en partie une conséquence de la vision monopolistique de l’économie, prenant ses racines dans le modèle économique colonial défavorisant la libre concurrence et le libre accès au marché.

Les exemples des conséquences économiques et sociales des situations oligopolistiques des fournisseurs de biens et de services congolais foisonnent :

-A certaine période, le ticket d’avion Kinshasa-Goma (1 573 Km) coute plus cher que le ticket d’avion Kinshasa-Bruxelles (6 222 Km) ou Kinshasa-Paris (6 044 Km) ;

-En 2019, un exportateur de café congolais payait 220 USD/Tonne pour exporter son café de Goma à Mombasa (port d’exportation au Kenya) alors que son collègue rwandais à 2 Km de la frontière congolaise payait 90 USD/Tonne pour se rendre au même port de Mombasa.

Cette différence de coût à l’exportation est malheureusement entièrement répercutée sur le petit producteur congolais de café.

L’économie congolaise reste, malgré certains efforts de diversification, une économie de rente basée sur 4 rentes : la rente minière, la rente pétrolière, la rente foncière et la rente forestière.

Cette logique de rente conduit à une faible création de valeur ajoutée locale et à de faibles investissements en dehors des secteurs producteurs de rente.

Selon un rapport publié par la FAO, le CIRAD et l’UE (https://www.fao.org/3/cb8157fr/cb8157fr.pdf) en 2022, les investissements dans le secteur agricole et agroindustriel restent marginaux alors qu’une agriculture familiale durable congolaise développée sur les 80 millions d’hectares de terres arables disponibles (en dehors des forêts) pourrait nourrir 2,1 milliards d’individus et produire des dizaines de millions d’emplois décents.

La RDC éprouve ainsi des difficultés à nourrir ses 90 millions d’habitants, alors que sa terre fertile, sa pluviométrie régulière, ses dizaines de millions de jeunes en quête de travail décent (l’âge médian de la population congolaise est de 18 ans) pourrait contribuer à nourrir 25 % de l’humanité moyennant des investissements et une politique agricole adéquats.

L’économie de rente, les positions de monopoles et d’oligopoles des fournisseurs de biens et de services et les faiblesses de l’effectivité des fonctions régaliennes de l’État induisent un important niveau de pauvreté (l’incidence de la pauvreté relative a atteint 63,41% en 2021) particulièrement dans les zones rurales (l’incidence de la pauvreté relative atteint 90% dans les zones rurales les plus enclavées).

Ainsi, si l’agriculteur ivoirien peut espérer recevoir 55% de la valeur ajoutée de sa production agricole commercialisée, si l’agriculteur vietnamien en perçoit parfois 85%, l’agriculteur congolais perçoit rarement plus de 20% de la valeur ajoutée de sa production commercialisée et parfois même, seulement 1% de la valeur ajoutée de sa production commercialisée dans les zones les plus enclavées du pays.

Le paysan congolais est ainsi l’ homo economicus parmi les plus résilients de la planète, survivant aux nombreuses ponctions et prélèvements des acteurs privés, publics, formels et informels (on compte jusqu’à 149 taxes, prélèvements, redevances, etc.. formels et informels dans certaines filières et zones de productions agricoles). Le paysan congolais est par ailleurs confronté à une concurrence déloyale des marchés agricoles mondiaux et régionaux, la protection tarifaire existante de l’agriculture congolaise étant dans les faits, peu ou pas appliquée au niveau des postes frontières.

La politique agricole effective est, comme trop souvent dans de nombreux pays africains importateurs de denrées alimentaires, conçue par les urbains pour les urbains en défaveur des petits producteurs ruraux.

Les chaînes de valeurs dans l’agriculture mais également dans le secteur minier artisanal sont donc très inéquitables en défaveur des petits producteurs familiaux.

Des « success stories » existent cependant à des échelles représentatives dans plusieurs provinces et dans plus plusieurs filières agricoles.

Ainsi, le paysan du plateau des Batéké à Ntsio (180 Km de Kinshasa) voit son revenu passer durablement de 50 USD/mois à 500 USD/mois grâce à l’agroforesterie.

Ses collègues producteurs d’huile de palme durable (Province de Sud Ubangui), de café et de cacao équitable (Nord-Kivu) connaissent également des accroissements significatifs durables de leurs revenus.

Ces initiatives soutenues par l’Union européenne et par la Belgique, qui ont démontré leur impact et leur viabilité, mériteraient d’être étendues à l’ensemble du territoire congolais, après adaptation au contexte local.

Les problèmes ne sont donc pas techniques mais économiques et politiques.

Dans ce contexte, comment la Commission parlementaire pourrait-elle contribuer à produire, à terme, des résultats concrets pour les Congolaises et Congolais urbains et ruraux confrontés aux difficultés socio-économiques quotidiennes ?

L’économie congolaise a cruellement besoin de créer durablement de la valeur ajoutée inclusive au Congo.

La production et l’exportation de produits bruts non transformés dans l’agriculture, dans les mines et dans le secteur pétrolier induit une pauvreté à long terme des pays exportateurs dépendants de l’exportation de matières premières brutes non transformées.

Les économistes, dont le Professeur Philippe Lebailly de l’Université de Liège, appellent cette dépendance aux exportations de matières premières brutes non transformées dans les pays d’origine « La malédiction des matières premières ».

Cette dépendance, sous certaines conditions, peut induire ce que les économistes appellent le « mal hollandais » à savoir une croissance économique significative sans développement humain proportionnel. Certains symptômes de ce « mal hollandais » sont perceptibles en RDC, particulièrement dans les provinces minières, trop faiblement productrices de produits agricoles vivriers.

Au lieu de produire et d’exporter des grumes, du cuivre, du cobalt, du coltan, du caoutchouc, du cacao, le Congo pourrait exporter du parquet, des moteurs et transformateurs électriques, des batteries, des smartphones, des pneus et du chocolat. Grâce à une politique industrielle et fiscale incitative, détaxant les exportations de produits transformés et taxant l’exportation de produits bruts, les «tigres et dragons asiatiques» ont réussi cette création massive de valeur ajoutée locale et d’emplois.

Si des expériences existent (par exemple la chocolaterie récemment installée à Mutwanga, dans la Province du Nord-Kivu), il faut reconnaître que la plupart des investissements étrangers directs actuels, principalement d’origine chinoise et indienne, contribuent insuffisamment à la création de valeur ajoutée nationale et, au contraire, tendent à perpétuer une économie « léopoldienne », privilégiant les exportations rapides de produits bruts non transformés vers les pays industrialisés, historiquement européens et aujourd’hui essentiellement asiatiques.

Les infrastructures financées et réalisées ces 15 dernières années en matière routière, fluviale et maritimes privilégient ainsi la sortie rapide des exportations de produits bruts non transformés vers les ports maritimes d’exportation en RDC et en Afrique de l’Est.

Ces investissements directs étrangers sont par ailleurs souvent peu respectueux des normes environnementales et sociales internationales.

Si on veut atteindre l’objectif de sortir les deux tiers de la population congolaise de la pauvreté en diversifiant l’économie et en créant de la valeur ajoutée nationale, il est impérieux d’attirer des capitaux privés nationaux et internationaux issus de personnes morales et de personnes physiques respectueuses des normes internationales environnementales, foncières et sociales reconnues mondialement (normes auxquelles la RDC et la Belgique adhèrent).

Est-il possible de mobiliser des capitaux belges et européens pour cet objectif?

La Commission parlementaire pourrait-elle y contribuer ?

La Commission parlementaire tout en soulignant les conséquences malheureusement toujours tangibles du modèle économique colonial, pourrait inciter les capitaux belges et européens respectueux du travail décent et de l’environnement, à investir au Congo dans les secteurs générateurs d’emplois (Agriculture familiale durable, transformation agroindustrielle, gestion des déchets, production d’électricité verte, transformation des matières premières produites localement,..).

Mobiliser les capitaux belges et européens historiquement actifs en RDC pendant la colonisation et après, par une campagne de communication intelligente et ciblée, pourrait être également une recommandation forte de la Commission parlementaire , contribuant à essayer de réconcilier le passé et le futur du Congo et de la Belgique.

En 2020, la RDC était classée 183e sur 190 pays dans le classement « Doing Business » de la Banque Mondiale.

Le climat des affaires et les difficultés rencontrées pour recruter du personnel qualifié formé sont souvent cités par les investisseurs étrangers directs respectueux des normes internationales en matière d’environnement et de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, comme une contrainte majeure à leur investissement en RDC.
La Commission parlementaire pourrait dès lors aussi inciter à une amélioration du climat des affaires en RDC en suggérant au gouvernement belge de renforcer le dialogue politique entre la Belgique et tous les acteurs congolais de la RDC concernés par ce sujet, et d’utiliser au mieux les instruments de coopération dont dispose la Belgique au Congo pour améliorer le climat des affaires et renforcer le secteur de l’éducation.

D’autres mesures sont certainement à identifier et suggérer par d’éminents collègues économistes congolais et belges qui ont étudié l’économie coloniale et l’économie congolaise actuelle.

Vu de Yangambi, Province de la Tshopo, à 1 740 Km de Kinshasa, au cœur de la forêt congolaise et du nouveau « Pôle de sciences » que la RDC développe avec l’appui de ses partenaires européens et belges, il paraît important que les recommandations de la Commission parlementaire en charge du passé colonial de la Belgique puisse à terme bénéficier aux « oubliés du développement rural » qui sont en attente de nouvelles perspectives.

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Avec La Libre Afrique

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