France. Du 21 au 25 avril 2025, Emmanuel Macron a effectué une tournée dans l’océan Indien.
France. Du 21 au 25 avril 2025, Emmanuel Macron a effectué une tournée dans l’océan Indien.

Du 21 au 25 avril 2025, Emmanuel Macron a effectué une tournée dans l’océan Indien, visitant Mayotte, La Réunion, Madagascar et l’île Maurice (annulée). Dans une région stratégique marquée par des héritages coloniaux et des tensions géopolitiques, cette visite a révèle les contradictions d’une puissance cherchant à renforcer sa présence tout en gérant des contentieux postcoloniaux.

Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | 25 avril 2025

France. Du 21 au 25 avril 2025, Emmanuel Macron a effectué une tournée dans l’océan Indien.
France. Du 21 au 25 avril 2025, Emmanuel Macron a effectué une tournée dans l’océan Indien.

Une tournée stratégique dans un espace marqué par les tensions postcoloniales

Au cœur de l’océan Indien, région stratégique où convergent des intérêts économiques, écologiques et géopolitiques, la tournée d’Emmanuel Macronla tournée s’est inscrite dans une démarche à la fois réparatrice et affirmatrice. Entre reconstruction post-cyclonique, gestion des flux migratoires et revendications territoriales, cette visite a révélé les contradictions persistantes d’un système international dominé par les puissances occidentales. L’objectif affiché était de bâtir un « espace commun » régional, mais derrière ce discours se sont cachés des enjeux plus profonds liés à la souveraineté, à la mémoire coloniale et aux rivalités géopolitiques.

Emmanuel Macron à Mayotte. Reconstruction et lutte contre l’immigration clandestine.
Emmanuel Macron à Mayotte. Reconstruction et lutte contre l’immigration clandestine.

Mayotte (21 avril) : Reconstruction et lutte contre l’immigration clandestine

Dès son arrivée à Mayotte, Emmanuel Macron a promis une mobilisation nationale comparable à celle organisée pour Notre-Dame ou les Jeux olympiques. Cette rhétorique ambitionne de légitimer un effort massif de reconstruction après le passage dévastateur du cyclone Chido en décembre 2024. Cependant, au-delà des intentions affichées, cette étape reflète avant tout les contradictions structurelles qui affectent l’archipel.

En effet, Mayotte, 101e département français depuis le 31 mars 2011, reste marquée par un habitat précaire et une forte immigration clandestine issue des Comores. Les mesures proposées par le gouvernement français, notamment une loi d’urgence adoptée en février, visent certes à accélérer la reconstruction, mais elles s’accompagnent également d’une politique sécuritaire renforcée. Un second texte législatif, attendu prochainement, devrait intégrer des dispositions plus strictes contre l’immigration illégale. Cette approche dualiste illustre parfaitement la tension entre développement économique et contrôle des frontières, deux objectifs souvent antagonistes dans les espaces postcoloniaux.

Par ailleurs, la volonté de Macron d’intégrer Mayotte à la Commission de l’Océan Indien (COI) soulève des oppositions fermes des Comores, qui considèrent l’île comme faisant partie de leur territoire. Ce contentieux, ancré dans l’histoire coloniale, met en lumière les limites des tentatives françaises de normaliser leur présence dans la région.

Le président Emmanuel Macron à La Réunion
Le président Emmanuel Macron à La Réunion

La Réunion (22-23 avril) : Santé, innovation et projection stratégique

La deuxième étape de la tournée, à La Réunion, a permis à Emmanuel Macron de mettre en avant un autre aspect de la stratégie française : la valorisation des infrastructures locales comme levier de coopération régionale. Frappée, elle aussi, par un cyclone, Garance, en février 2025, l’île peine à contenir une épidémie de chikungunya qui a fait six morts depuis le début de l’année. Dans ce contexte, le président a réaffirmé le rôle central de La Réunion dans la région grâce à ses hôpitaux, ses laboratoires de recherche et ses initiatives technologiques.

Cependant, cette présentation idéalisée cache des réalités plus complexes. La Réunion, bien qu’étant un point d’appui stratégique pour la France – notamment via sa base navale –, reste confrontée à des inégalités sociales persistantes et à une dépendance économique vis-à-vis de la métropole. En outre, son inclusion dans des programmes régionaux comme ceux de la COI pourrait accentuer les tensions avec les pays voisins, qui y voient une forme de néocolonialisme.

Ainsi, si la France cherche à promouvoir une image de modernité et de solidarité, cette posture doit être analysée à l’aune des rapports de domination qui continuent de structurer l’espace régional.

Le président Emmanuel Macron à Madagascar., accompagné de son homologue Andry Rajoelina.
Le président Emmanuel Macron à Madagascar accompagné de son homologue Andry Rajoelina.

Madagascar : Mémoire coloniale et îles Éparses

L’étape malgache a constitué sans doute l’un des moments les plus symboliques de la tournée. À Antananarivo, Emmanuel Macron a annoncé la restitution prochaine du crâne du roi Toera, figure emblématique de la résistance contre la colonisation française. Ce geste, bien que tardif, s’inscrit dans une démarche plus large de réconciliation mémorielle. Toutefois, il ne suffit pas à effacer les contentieux territoriaux qui opposent Madagascar à la France, notamment autour des îles Éparses.

Ces îles, revendiquées par Madagascar, mais administrées par Paris, concentrent des ressources halieutiques et énergétiques cruciales. Leur statut ambigu reflète la persistance des logiques extractivistes héritées de l’époque coloniale. En appelant à relancer la commission mixte chargée d’examiner leur avenir, Macron tente de désamorcer les tensions tout en maintenant une présence stratégique dans la région.

Cette ambivalence illustre une fois de plus comment les puissances occidentales cherchent à concilier leurs intérêts économiques avec des impératifs diplomatiques, quitte à perpétuer des formes subtiles de domination.

Emmanuel Macron - 5e Sommet de la COI
Emmanuel Macron – 5e Sommet de la COI

5e Sommet de la COI 

Le 24 avril 2025, Madagascar a accueilli le cinquième sommet de la Commission de l’Océan Indien (COI), marquant la dernière étape de la tournée régionale d’Emmanuel Macron. Ce sommet a réuni les chefs d’État et de gouvernement des membres de la COI : Madagascar, les Comores, Maurice, les Seychelles, ainsi que la France (représentée pour La Réunion). L’événement a été marqué par des discussions sur la coopération régionale, mais surtout par la question sensible de l’intégration de Mayotte à la COI, sujet de vives tensions entre la France et les Comores.

Emmanuel Macron a publiquement plaidé pour l’intégration de Mayotte, département français, au sein de la COI. Il a insisté sur la nécessité de ne pas laisser ce territoire « à l’écart d’un certain nombre de nos programmes », évoquant l’importance d’impliquer toutes les îles de la région dans les efforts collectifs pour la prospérité et la sécurité, notamment dans les domaines maritimes, alimentaire et sanitaire. Macron a défendu une « approche pragmatique », sans demander l’intégration immédiate et pleine de Mayotte, mais en appelant à avancer progressivement vers cet objectif.

Il a également rappelé que la France est le principal bailleur de la COI, avec un portefeuille de projets géré par l’Agence française de développement (AFD) s’élevant à 125 millions d’euros. Pour Paris, l’intégration de Mayotte serait une reconnaissance internationale de la souveraineté française sur l’île, ce qui mettrait fin à la polémique sur la revendication comorienne selon certains responsables mahorais.

La proposition française a immédiatement suscité la réaction du président comorien Azali Assoumani et de son gouvernement. Les Comores s’opposent catégoriquement à l’intégration de Mayotte dans la COI, arguant que, selon le droit international, Mayotte fait partie de l’archipel comorien et doit donc revenir à leur souveraineté. Cette position s’appuie sur le fait que, lors de l’indépendance des Comores en 1975, Mayotte a choisi de rester française à l’issue de référendums, choix que Moroni ne reconnaît pas.

Azali Assoumani a réitéré ce point lors du sommet, affirmant que « l’ADN de la COI, c’est le respect du droit international. [Or], en vertu du droit international, l’île de Mayotte est une île comorienne ». Il a aussi appelé la France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, à

Le sommet a donc été le théâtre d’un échange tendu, mais courtois entre Emmanuel Macron et Azali Assoumani, chacun campant sur ses positions. Si aucun accord n’a été trouvé sur l’intégration de Mayotte à la COI, il a été évoqué la possibilité d’ouvrir un dialogue bilatéral entre la France et les Comores sur cette question. Le différend autour de Mayotte s’inscrit dans un contexte plus large de rivalités régionales, notamment autour de la souveraineté sur d’autres territoires stratégiques comme les îles Éparses, revendiquées par Madagascar.

Annulation de l’étape à l’île Maurice 

La visite prévue à l’île Maurice les 24 et 25 avril 2025 a été annulée en raison du décès du pape François, survenu le lundi 21 avril, et des funérailles organisées à Rome le samedi 26 avril, auxquelles Emmanuel Macron a décidé d’assister personnellement.

La visite mauricienne devait marquer la conclusion symbolique de cette tournée dans l’océan Indien. Au programme figuraient des rencontres avec le président mauricien Dharam Gokhool et le Premier ministre Navin Ramgoolam, ainsi que des discussions sur des thématiques cruciales comme la protection des océans, la gestion des ressources halieutiques et la lutte contre la pollution plastique. Une attention particulière était également accordée à la mémoire coloniale, avec l’inauguration de l’exposition « Visages d’ancêtres », dédiée à l’histoire de l’esclavage, et l’ouverture de la nouvelle ambassade de France à Maurice. Ces initiatives visaient à renforcer les liens bilatéraux tout en célébrant une coopération culturelle et historique.

Mais, bien que l’étape mauricienne ait été annulée, Emmanuel Macron a rencontré le Premier ministre Navin Ramgoolam en marge du sommet de la Commission de l’océan Indien (COI) à Madagascar. Cette rencontre a permis d’évoquer les grands axes de la relation bilatérale, notamment la signature d’une convention de fourniture de blé couvrant une grande partie des besoins alimentaires de l’île. Cependant, cette alternative ne compense pas entièrement l’absence d’une visite officielle, qui aurait pu offrir un cadre plus large pour approfondir les échanges.

De plus, cette annulation a suscité une certaine déception parmi les expatriés français et les autorités locales, qui attendaient cette visite avec impatience. Il s’agissait en effet de la première visite officielle d’un président français à Maurice depuis François Mitterrand en 1990, ce qui en faisait un événement symboliquement important. Face à ces attentes, le Premier ministre mauricien a évoqué la possibilité de reprogrammer cette visite pour la fin de l’année, probablement en novembre 2025.

Vers une recomposition des alliances ?

Cette tournée révèle les complexités d’un espace où les héritages coloniaux pèsent encore lourdement. La France cherche à renforcer son influence tout en gérant des tensions persistantes. Pour les peuples de la région, ces dynamiques rappellent la nécessité de construire des alternatives véritablement émancipatrices.


DBnews

 

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