Au Gabon, à l’approche des élections prévues dans 90 jours, le président Ali Bongo Ondimba, en place depuis 14 ans, a relancé un programme d’aide aux populations vulnérables dans leurs activités génératrices de revenus. Ce geste opportun intervient alors même que le même programme avait été dissous par le président en 2019.
Dissolution du FNAS
Le 19 juin 2012, le décret présidentiel N°252/PR/MFAS instituait la création d’un Fonds National d’Aide Sociale (FNAS). Le but du programme : aider les Gabonais économiquement faibles (GEF) à développer des activités Génératrices de Revenus (AGR). Cependant, en raison d’une gestion chaotique, le Ministre de l’Économie de l’époque, Jean-Marie Ogandaga, a été contraint de dissoudre le FNAS le 26 février 2019. Cette décision a eu pour conséquence de plonger une grande partie de la population dans la précarité.
Ali Bongo Ondimba et son scénario cousu de fil blanc
À seulement quelques mois des élections présidentielles, le monarque Ali Bongo Ondimba semble enfin porter une attention aux Gabonais économiquement faibles (GEF). Le 04 mai 2023, le Ministre de la Santé et des Affaires Sociales, le Dr. Guy Patrick Obiang Ndong, accompagné de sa Ministre Délégué, Madame Justine Libimbi Ep. Mihindou, a annoncé que « suite aux très hautes instructions du président Ali Bongo », ils ont été chargés de définir les modalités pour la mise en place d’un programme d’aide aux Activités Génératrices de Revenus (AGR) pour les GEF. Cette initiative est présentée comme une manifestation de bienveillance du Chef de l’État envers les plus démunis
Par la suite, le ministre de la Santé a cherché à prévenir les critiques qui pourraient découler de sa mission. En déclarant que « Le Président de la République souhaite répondre aux sollicitations des populations exprimées lors de différentes étapes de la Tournée Républicaine, en octroyant des aides directes aux Gabonais économiquement faibles. » Cette tentative de justification présentant l’initiative comme une réponse à une demande populaire parait dissimuler les motivations plus électoralistes que sociales.
Le président de la République, à la tête du pays depuis quatorze ans, serait-il mal informé des réalités du terrain par son entourage proche ? – Est-ce que les coûteuses études de McKinsey et d’autres cabinets de conseil privés ont été soumises à son examen ? Et qu’en est-il des doléances des Gabonais qui sont transmises à ses représentants ? sont-elles ignorées ou tout simplement jetées à la poubelle ?
De manière opportune, juste avant les élections présidentielles, Ali Bongo prend subitement conscience de la situation d’insécurité sociale dans laquelle vivent les Gabonais et entreprend une tournée à travers le pays pour aider les plus défavorisés. Cette initiative partisane, présentée comme « Républicaine« , est entièrement financée par les fonds publics. Cependant, la pauvreté qui affecte ce petit pays d’Afrique est le résultat d’une gouvernance prédatrice, notamment de la dynastie Bongo Ondimba, qui détient le pouvoir depuis plus de 55 ans.
« Juger les actes plutôt que les paroles des dirigeants »
Création et missions. Le Fonds national d’aide sociale (FNAS), créé en 2012 par le président gabonais Ali Bongo Ondimba, avait pour mission de venir en aide aux populations en difficulté à travers des activités génératrices de revenus. En 2019, le FNAS a été supprimé pour des raisons financières. La pauvreté continue d’être cependant un fléau persistant sur l’ensemble du territoire. Touchant plus de 40 % de la population. Ces personnes (enfants, jeunes et vieux) vivent avec moins de 2 dollars par jour.
Entre les richesses accumulées par le président et sa famille et les conditions de vie des Gabonais, les disparités sont criantes, rappelant l’époque de l’apartheid en Afrique. Plus préoccupant encore, le gouvernement fait preuve d’une hypocrisie flagrante en invoquant la Covid-19 pour expliquer la situation de marasme, de précarité et de désolation actuelle, alors que les problèmes existaient déjà avant la pandémie. On peut légitimement se demander, avec du recul, si le président Ali Bongo Ondimba était sincère lorsqu’il affirmait « qu’il ne pouvait être heureux que lorsque les Gabonais l’étaient aussi. »
Le mépris en guise de réponse
En 2017 au Gabon, lors d’une conférence de presse à l’hôtel Radisson Blu Okoume Palace de Libreville. J’avais interpellé le Ministre des Finances, de l’époque, Régis Immongault Tatagani, sur la question liée au souci financier du FNAS. Je n’avais obtenu aucune réponse de sa part.
Le pompier pyromane
En septembre 2017, Hermann Kamonamono est nommé directeur général du Fonds National d’Aide Sociale (FNAS), en remplacement d’Albert Ollo qui avait laissé cette structure d’État en léthargie. Le personnel du FNAS est soulagé et espère que H. Kamonamono relancera cette institution censée aider les plus démunis et les laissés pour compte du pays. Quatre mois plus tard, en février 2018, l’homme qui détenait le record des nominations en conseil en ministre, est nommé parallèlement directeur général de la Société Nationale Immobilière (SNI). Un juteux gâteau. Dès lors, le FNAS passera au second plan. Pour rappel, le FNAS était considéré comme un établissement public à caractère administratif devant répondre aux attentes des populations en état de précarité, grande pauvreté et faire de l’insertion sociale en favorisant la création des activités génératrices de revenus.
Copains et coquins
Marie-Rosine Mimie Itsana, alors membre du parti politique dénommé Union pour la démocratie et l’intégration sociale (UDIS), avait été nommée présidente du Conseil d’Administration du Fonds National d’Aide Sociale (FNAS). Lors de sa première intervention, elle avait présenté le budget 2018, une nouvelle grille salariale et une identité visuelle repensée. Cependant, malgré son parcours à l’ENA et son expérience en tant que haut fonctionnaire, elle n’a pas réussi à sauver le FNAS de son destin funeste. Les malversations et les détournements qui ont eu lieu entre 2012 et 2019 ont entraîné la disparition de cette institution sans que personne ait été inquiété. Aujourd’hui, Marie-Rosine Mimie Itsana et Hermann Kamonamono, proches d’Ali Bongo Ondimba, poursuivent tranquillement leur carrière.
Comment un groupe restreint s’approprie les richesses de la nation ?
Le discours du Docteur Patrick Obiang n’est qu’une nouvelle tentative de tromperie envers le peuple gabonais. Sa rhétorique est purement démagogique. Comment peut-on croire qu’Ali Bongo Ondimba, qui a laissé le Fonds National d’Aide Sociale (FNAS) sombrer sans scrupules, éprouve soudain de l’empathie envers les personnes modestes ? Les Gabonais ne sont pas des enfants que l’on peut duper impunément.
Depuis près de quatorze ans, des sommes colossales d’argent public sont détournées et envoyées à l’étranger ou utilisées pour le bénéfice d’une petite élite qui vit dans le luxe le plus ostentatoire. Pendant ce temps, les routes sont impraticables, les emplois décents sont introuvables, l’accès à l’eau courante et à l’électricité est rare, et même se nourrir deux fois par jour est devenu un luxe pour beaucoup. Dans les zones rurales, la situation est encore pire, avec une injustice sociale omniprésente. Sous le régime d’Omar Bongo Ondimba, les détournements étaient à petite échelle, avec quelques privilégiés qui s’enrichissaient à un rythme raisonnable. Mais sous le régime d’Ali Bongo Ondimba, les pillages sont à grande échelle. Cette situation inique a conduit le Gabon à occuper la 136ᵉ place sur 180 pays évalués dans le rapport de l’Indice de Perception de la Corruption dans le Secteur Public de 2022. Malheureusement, ces pratiques continuent de saper les fondements de la société gabonaise.
La minorité ultrariche qui voyage entre Paris, Londres, les États-Unis, Rabat, Dubaï et l’Afrique du Sud ne ressent pas les conséquences des inégalités qui frappent la majorité de la population. Cependant, parmi les 2,3 millions d’habitants du pays, 600 000 vivent dans une précarité absolue avec moins de 2 dollars par jour, dont 40 % de jeunes sans emploi. D’ici à 2024, plus de 60 % de la population gabonaise sera en âge de travailler, mais il n’y a pas suffisamment d’emplois pour les accueillir. Le pays est assis sur une bombe à retardement. Si rien n’est fait pour remédier à cette situation avant cette échéance cruciale, une explosion sociale pourrait ne pas être évitée.
D’après le classement établi en 2019 par « ilboursa.com » sur les Rois et Présidents les plus riches d’Afrique, Ali Bongo Ondimba possédait une fortune estimée à 1 milliard de dollars, juste après celle de son frère, le Roi du Maroc. Ces chiffres mettent en lumière les inégalités flagrantes dans le pays, et il est urgent que les dirigeants prennent des mesures pour le bien de la population, plutôt que pour leur propre intérêt.
Le candidat Ali Bongo soigne sa réélection pour un 3e mandat
Le gouvernement gabonais tente de redorer son image en proposant un programme d’aide aux Gabonais économiquement faibles (GEF) exerçant des activités génératrices de revenus, après avoir sabordé le Fonds National d’Aide Sociale 3 ans auparavant. Cette initiative est largement considérée comme une manoeuvre électorale pour renforcer le pouvoir en place, plutôt que de véritablement aider les plus vulnérables.
« Miroir aux alouettes ». Il est probable que seuls les membres du parti au pouvoir ou ceux ayant des liens avec celui-ci bénéficieront de ce programme, en échange de leur soutien électoral. Cette pratique rappelle celle du partage de colis alimentaires pendant la pandémie de Covid-19, où la plupart des bénéficiaires avaient des affinités avec le pouvoir en place. Un exemple illustratif : le 29 mars 2023, le président Ali Bongo a réceptionné 22 conteneurs de médicaments. Aujourd’hui, les partisans qui militent pour sa réélection distribuent ces mêmes médicaments comme si c’étaient des dons personnels. Dans ce contexte, comment peut-on faire confiance à ceux qui ont agi de manière inappropriée par le passé pour agir avec intégrité à l’avenir ?
Anne Marie DWORACZEK-BENDOME
10 mai 2023