Décryptage | Série sur le projet de nouvelle Constitution [1/6] - Anne Marie DWORACZEK-BENDOME-
Décryptage | Série sur le projet de nouvelle Constitution [1/6] - Anne Marie DWORACZEK-BENDOME-

Avec le projet de nouvelle Constitution, le Gabon se trouve à la croisée des chemins, un an après le coup d’État qui a mis fin à plus de cinq décennies de règne de la famille Bongo. Le projet de nouvelle Constitution, fruit d’un processus de dialogue national, cristallise les espoirs et les inquiétudes d’une nation en quête de renouveau démocratique. Ce texte, qui sera soumis à référendum avant la fin de l’année 2024, propose des changements significatifs dans l’architecture institutionnelle du pays, soulevant des questions cruciales sur l’avenir politique et social du Gabon.

Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | Date : 11 septembre 2024

Décryptage | Série sur le projet de nouvelle Constitution [1/6] - Anne Marie DWORACZEK-BENDOME-
Décryptage | Série sur le projet de nouvelle Constitution [1/6 – Anne Marie DWORACZEK-BENDOME

Nouvelle Constitution  | Un régime présidentiel fort : entre efficacité et risques de dérive

Le projet de Constitution instaure un régime présidentiel fort, marqué par la suppression du poste de Premier ministre. Cette modification substantielle vise ostensiblement à clarifier la chaîne de commandement au sommet de l’État, promettant une gouvernance plus efficace et moins sujette aux conflits internes au sein de l’exécutif. Néanmoins, cette concentration du pouvoir soulève des inquiétudes légitimes quant aux risques de dérive autoritaire.

L’absence d’un Premier ministre, traditionnellement considéré comme un contrepoids et un médiateur entre le président et le Parlement, pourrait potentiellement créer un vide dans le système de checks and balances si crucial pour une démocratie saine. Cette disposition suscite des interrogations sur la capacité du nouveau système à maintenir un équilibre des pouvoirs adéquat, élément fondamental pour prévenir les abus et garantir une gouvernance transparente et responsable.

Parallèlement, le texte introduit une limitation du mandat présidentiel à 7 ans, renouvelable une seule fois. Cette mesure, largement saluée comme un pas vers l’alternance démocratique, est renforcée par une clause interdisant à tout président en exercice de modifier ces termes, sous peine d’être accusé de haute trahison. Ce verrou constitutionnel, bien qu’apparemment robuste, soulève des questions quant à son application pratique et sa pérennité.

En effet, le projet prévoit que le Parlement puisse destituer le président en cas de haute trahison, mais octroie également au président le pouvoir de dissoudre l’Assemblée et le Sénat. Cette dualité crée une tension latente entre les pouvoirs exécutif et législatif, dont l’équilibre reste à éprouver dans la pratique. L’efficacité de ce mécanisme dépendra largement de la culture politique qui se développera autour de ces nouvelles institutions et de la volonté des acteurs politiques de respecter l’esprit de la Constitution.

1er septembre 2024 — Libreville, Gabon : l'image de la cérémonie de remise du projet de la future constitution au président Oligui Nguema.
1ᵉʳ septembre 2024 — Libreville, Gabon : l’image de la cérémonie de remise du projet de la future constitution au président Oligui Nguema.

Conditions d’éligibilité : entre ancrage national et risques de discrimination

Des critères plus stricts pour la présidence

Le projet de Constitution introduit des conditions d’éligibilité présidentielle plus strictes, exigeant que les candidats soient âgés de 35 à 70 ans, mariés à un(e) Gabonais(e), et nés de parents gabonais. Ces critères, présentés comme un moyen de garantir l’ancrage national des dirigeants, soulèvent néanmoins des débats sur leur caractère potentiellement discriminatoire et leur impact sur le vivier de candidats potentiels.

D’une part, ces conditions visent à assurer que le futur président ait une connaissance approfondie et un attachement fort au Gabon, éléments jugés essentiels pour gouverner efficacement et dans l’intérêt du pays. Cette exigence répond à une préoccupation souvent exprimée dans de nombreux pays africains concernant l’influence étrangère sur la politique nationale.

D’autre part, ces critères soulèvent des questions quant à leur conformité avec les principes d’égalité et de non-discrimination. En excluant potentiellement des candidats qualifiés mais ne répondant pas à ces critères spécifiques, le texte pourrait limiter le choix des électeurs et priver le pays de talents politiques. La condition de mariage, en particulier, pourrait être perçue comme une intrusion dans la vie privée des candidats et une discrimination envers les célibataires ou les divorcés.

Impact sur la diversité politique

Ces conditions d’éligibilité pourraient avoir un impact significatif sur la diversité du paysage politique gabonais. En restreignant le pool de candidats potentiels, le texte risque de favoriser une certaine homogénéité parmi les prétendants à la présidence, potentiellement au détriment de la représentation de différentes sensibilités et expériences au sein de la population.

De plus, ces critères pourraient indirectement renforcer les dynamiques de pouvoir existantes, favorisant les candidats issus de certaines élites ou réseaux politiques établis, au détriment de nouvelles voix ou de candidats issus de milieux moins traditionnels.

1er septembre 2024 — Libreville, Gabon : l'image de la cérémonie de remise du projet de la future constitution au président Oligui Nguema.
1ᵉʳ septembre 2024 — Libreville, Gabon : l’image de la cérémonie de remise du projet de la future constitution au président Oligui Nguema.

Amnistie et héroïsation : un passé qui pèse sur l’avenir

Une disposition controversée

L’une des dispositions les plus controversées du projet de Constitution est l’élévation au rang de « héros » des auteurs du coup d’État d’août 2023, assortie d’une amnistie. Cette mesure, si elle vise ostensiblement à tourner la page d’une période troublée et à reconnaître le caractère relativement pacifique de ce changement de régime, soulève néanmoins des questions éthiques et juridiques profondes sur la légitimation de l’usage de la force dans le processus politique.

D’un côté, cette disposition peut être vue comme un geste de réconciliation nationale, visant à apaiser les tensions et à créer un climat propice à la transition démocratique. Elle reconnaît implicitement que le coup d’État a mis fin à un régime largement considéré comme autoritaire et corrompu, ouvrant la voie à un renouveau politique.

De l’autre, cette héroïsation et cette amnistie posent un précédent problématique en termes de respect de l’État de droit et de la légitimité constitutionnelle. Elles pourraient être interprétées comme une justification a posteriori de l’intervention militaire dans le processus politique, ouvrant potentiellement la porte à de futures actions similaires.

Implications pour la culture politique

Cette disposition soulève des interrogations sur la culture politique que le Gabon cherche à construire pour l’avenir. En légitimant constitutionnellement un coup d’État, même considéré comme « salvateur » par certains, le texte risque d’affaiblir le respect des institutions démocratiques et de l’ordre constitutionnel.

De plus, cette amnistie pourrait être perçue comme une forme d’impunité, compromettant les efforts pour établir une culture de responsabilité et de redevabilité au sein de la classe politique gabonaise. Elle pourrait également créer un précédent dangereux, suggérant que la prise de pouvoir par la force peut être non seulement pardonnée, mais aussi célébrée, sous certaines conditions.

Réformes sociétales et politiques : entre tradition et modernité

Définition constitutionnelle du mariage

Le projet de Constitution aborde par ailleurs des questions sociétales sensibles, notamment en consacrant le mariage comme l’union entre deux personnes de sexes opposés. Cette disposition, si elle peut apaiser certaines tensions sociales en réaffirmant des valeurs traditionnelles, soulève des interrogations sur la place des minorités et l’inclusivité de la future société gabonaise.

D’un côté, cette définition du mariage reflète les valeurs culturelles et religieuses dominantes au Gabon et dans une grande partie de l’Afrique. Elle répond aux attentes d’une partie significative de la population et peut-être vue comme un moyen de préserver l’identité culturelle du pays face à certaines influences occidentales.

De l’autre, cette disposition constitutionnalise une forme de discrimination envers les couples de même sexe, posant des questions sur le respect des droits humains et l’égalité devant la loi. Elle pourrait également avoir des implications sur la perception et le traitement des personnes LGBTQ+ dans la société gabonaise, potentiellement en contradiction avec les engagements internationaux du pays en matière de droits humains.

Réforme du système partisan

La réforme du système partisan est un autre aspect notable du projet, avec un regroupement des partis politiques en blocs idéologiques. Cette mesure, présentée comme un moyen de simplifier et de clarifier le paysage politique, soulève des inquiétudes quant à son impact sur le pluralisme politique et la liberté d’association.

D’une part, cette réforme pourrait effectivement contribuer à structurer le débat politique autour de grandes orientations idéologiques, facilitant la compréhension des enjeux par les électeurs et potentiellement renforçant la stabilité politique. Elle pourrait aussi encourager les partis à se définir plus clairement en termes de programmes et d’idées, plutôt que de s’appuyer uniquement sur des personnalités ou des affiliations ethniques.

D’autre part, ce regroupement forcé risque de limiter la diversité politique, en contraignant des partis aux nuances idéologiques distinctes à s’aligner sur des positions plus générales. Cela pourrait de plus compliquer l’émergence de nouveaux mouvements politiques, restreignant ainsi le renouvellement de la classe politique.

1er septembre 2024 — Libreville, Gabon : l'image de la cérémonie de remise du projet de la future constitution au président Oligui Nguema.
1ᵉʳ septembre 2024 — Libreville, Gabon : l’image de la cérémonie de remise du projet de la future constitution au président Oligui Nguema.

Service militaire obligatoire

L’introduction d’un service militaire obligatoire, autre innovation du projet, est justifiée comme un outil de renforcement de l’unité nationale et de la cohésion sociale. Cette mesure suscite cependant des débats sur la militarisation potentielle de la société et son impact sur la jeunesse gabonaise.

Les partisans de cette mesure arguent qu’elle pourrait contribuer à forger un sentiment d’identité nationale plus fort, à offrir une formation et des compétences à la jeunesse, et à renforcer la capacité de défense du pays. Dans un contexte régional parfois instable, cette disposition pourrait également être vue comme un moyen de consolider la sécurité nationale.

Néanmoins, les critiques soulignent les risques d’une militarisation excessive de la société, les coûts potentiellement élevés d’un tel programme, et son impact sur les parcours éducatifs et professionnels des jeunes. De plus, dans un pays où l’armée a joué un rôle politique significatif, y compris dans le récent coup d’État, cette mesure pourrait être perçue comme renforçant l’influence militaire sur la société civile.

Un processus de transition scruté

Le projet de Constitution, issu d’un dialogue national dont l’inclusivité a été questionnée par certains observateurs, représente un moment charnière pour le Gabon. Il offre l’opportunité de rompre avec un passé marqué par la concentration du pouvoir et l’immobilisme politique. Cependant, le succès de cette réforme dépendra non seulement de son contenu, mais aussi de sa capacité à répondre aux aspirations profondes du peuple gabonais : alternance politique, développement économique équitable, et renforcement de l’État de droit.

Le processus référendaire à venir sera crucial pour la légitimité de cette nouvelle Constitution. La manière dont le débat public sera mené, l’accès à l’information pour tous les citoyens, et la transparence du vote seront autant d’éléments déterminants pour l’acceptation et la pérennité du nouveau cadre constitutionnel.

1er septembre 2024 — Libreville, Gabon : l'image de la cérémonie de remise du projet de la future constitution au président Oligui Nguema.
1er septembre 2024 — Libreville, Gabon : l’image de la cérémonie de remise du projet de la future constitution au président Oligui Nguema.

Enjeux de mise en œuvre

Au-delà des dispositions techniques, c’est l’esprit dans lequel ce  Projet de loi portant Constitution de la République gabonaise  qui déterminera s’il marque véritablement le début d’une nouvelle ère pour le Gabon. La création d’institutions fortes et indépendantes, le respect de l’État de droit, et le développement d’une culture politique respectueuse des principes démocratiques seront essentiels.

La transition d’un régime autoritaire à un système plus démocratique est souvent un processus long et complexe. Le Gabon devra naviguer entre la nécessité de changements rapides et visibles et le besoin de construire des fondations solides pour une démocratie durable.

Alors que le pays s’apprête à se prononcer sur ce texte, le défi est de taille : concilier la stabilité institutionnelle avec les exigences d’une démocratie moderne et inclusive. Le peuple gabonais, longtemps spectateur de son destin politique, a désormais l’opportunité de devenir l’acteur principal de son avenir constitutionnel. Cette responsabilité historique nécessite un débat national approfondi, une participation citoyenne active, et une vigilance constante pour s’assurer que les promesses de changement se traduisent en réalités tangibles.

En conclusion, le projet de nouvelle Constitution gabonaise représente un pas significatif vers un renouveau politique, mais il porte en lui des tensions et des contradictions qui reflètent les défis complexes auxquels le pays est confronté. Entre aspiration au changement et crainte de l’instabilité, entre affirmation de valeurs traditionnelles et nécessité d’inclusivité, le Gabon cherche sa voie vers un avenir démocratique. Le succès de cette entreprise dépendra de la capacité de tous les acteurs – politiques, société civile, et citoyens – à transcender les clivages du passé pour construire un consensus national autour d’une vision partagée de l’avenir du pays.

 

DBnews

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