La suspension des prestations par les pharmaciens gabonais, due à des milliards de francs CFA d’arriérés, a plongé 40 % de la population dans une crise sanitaire. Une reprise des services a été annoncée pour ce lundi 6 janvier 2025, mais les défis structurels persistent.
Santé publique au Gabon | Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | 6 janvier 2025
Une crise aux racines profondes : l’incompétence institutionnalisée
La suspension des prestations aux assurés de la CNAMGS depuis le 1ᵉʳ janvier 2025 n’est pas une simple crise passagère, mais le symptôme d’un système de santé gabonais en décomposition avancée. Les pharmaciens, affiliés au Sypharga, ont été contraints de prendre une décision radicale face à des arriérés de plusieurs milliards de francs CFA, impayés depuis des années. Cette situation révèle l’incapacité chronique de la CNAMGS à honorer ses engagements, malgré un ultimatum lancé en octobre 2024. Les pharmacies, étranglées financièrement, ont dû cesser leurs services pour survivre, laissant des milliers de Gabonais sans accès aux médicaments essentiels.
La CNAMGS, créée en 2007, a été dirigée par une succession de directeurs généraux dont les mandats ont été marqués par l’instabilité et l’inefficacité. Michel Mboussou (2009-2017), Renaud Allogho Akoue (2017-2019), Séverin Anguile (2019-2024), et Audrey Christine Chambrier Voua (quelques mois 2024) ont tous échoué à redresser une institution en crise permanente. Nadia Christelle Koye, nommée le 4 janvier 2025, hérite d’un système à bout de souffle, avec une dette abyssale de 70 milliards de francs CFA et des retards chroniques dans le versement des cotisations.
Cette crise financière est le résultat d’une gestion désastreuse et d’un manque criant de volonté politique. Les pharmacies, en première ligne, ont été abandonnées à leur sort, contraintes de jouer le rôle d’avanceur de trésorerie pour un État défaillant. La présidente du Sypharga, le Dr Sandrine Itou-Y-Maganga, a souligné que cette suspension n’était pas un choix, mais une question de survie économique. Une réalité qui en dit long sur l’état de déliquescence du système de santé gabonais.
Une population sacrifiée sur l’autel de l’incurie
Près de 40 % des Gabonais, principalement les plus démunis, dépendent de la CNAMGS pour accéder aux médicaments. La suspension des prestations a contraint ces assurés à avancer les frais de leurs traitements, une charge insurmontable pour des familles déjà précarisées. Les conséquences sanitaires sont désastreuses : interruptions de traitements chroniques, hospitalisations évitables et risques accrus pour la santé publique. Cette crise met en péril des années d’efforts pour rendre les soins accessibles à tous, révélant au grand jour l’indifférence des autorités face à la détresse des plus vulnérables.
Les assurés de la CNAMGS, souvent issus de milieux défavorisés, se retrouvent dans une situation désespérée. Sans accès aux médicaments essentiels, de nombreux patients atteints de maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension risquent des complications graves. Les familles, déjà en difficulté, doivent désormais choisir entre se soigner et subvenir à leurs besoins de base. Cette situation, qui relève de l’inhumanité, est le résultat d’une gestion catastrophique et d’un mépris total pour les droits fondamentaux des citoyens.
Les professionnels de santé, quant à eux, sont partagés entre leur devoir éthique et leur survie économique. Les pharmacies, en première ligne, ont été contraintes de prendre une décision radicale pour alerter les autorités sur l’urgence de la situation. Cette crise a également révélé les limites d’un système d’assurance maladie qui ne parvient pas à répondre aux besoins de la population, faute de volonté politique et de gestion compétente.
Le Gabon en 2025 : un pays riche, un peuple pauvre
En 2025, le Gabon compte entre 2,4 et 2,6 millions d’habitants, avec un taux de croissance démographique annuel de 2,13 %. Plus de 80 % de la population vit en zones urbaines, principalement à Libreville et Port-Gentil. Cependant, derrière ces chiffres se cache une réalité socio-économique alarmante. Le taux de pauvreté devrait atteindre 39 % de la population, avec plus d’un million de Gabonais vivant dans des conditions précaires.
Malgré un PIB par habitant relativement élevé pour l’Afrique (8 414 dollars en 2023), le pays fait face à des inégalités criantes. La majorité de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, et l’indice de Gini, mesurant les inégalités, s’élève à 38,0. Cette situation paradoxale s’explique par une gestion inefficace des ressources publiques, une corruption endémique et une forte dépendance aux industries extractives, notamment le pétrole.
Le secteur privé, très faible, limite la création d’emplois, tandis que le taux de chômage atteint 35 à 40 % de la population active. Les défaillances des services publics, notamment en matière d’éducation et de santé, aggravent la situation. Et la croissance démographique dépasse largement les efforts de réduction de la pauvreté.
Une gouvernance en question : l’art de l’échec institutionnalisé
La CNAMGS traverse une crise de gouvernance marquée par des nominations controversées et des décisions opaques. Les dysfonctionnements administratifs, comme l’archaïsme du système de gestion et l’absence de mise à jour de la liste des médicaments remboursables depuis 2018, doivent être corrigés. La digitalisation du système apparaît comme une priorité pour limiter les fraudes et améliorer la gestion.
Les retards chroniques dans le versement des cotisations et les dettes abyssales de l’État compromettent la mission sociale de l’institution. Une réforme en profondeur du système de financement est nécessaire pour garantir la pérennité de la CNAMGS et assurer un accès équitable aux soins pour tous les Gabonais.
Un appel aux autorités : l’heure des comptes
Les dirigeants gabonais excellent dans l’art de transformer leurs devoirs en options. Pendant cinq jours, les pharmacies ont fermé leurs portes aux plus vulnérables, rappelant cette triste vérité : quand l’État ne paie pas ses factures, ce sont les citoyens qui trinquent.
L’État existe pour protéger ses citoyens, pas pour les abandonner au premier virage. La santé n’est pas un luxe, c’est un droit fondamental. Quand 40 % de la population se retrouve privée d’accès aux médicaments, ce n’est pas une simple défaillance administrative — c’est une trahison du contrat social.
Les militaires, autoproclamés « sauveurs » lors du coup d’État du 30 août 2023 qui a renversé le régime précédent, avaient promis un nouveau départ. Dix-huit mois plus tard, la pagaille administrative fait passer l’ancien régime pour un modèle d’organisation. Le président Brice Clotaire Oligui Nguema peut bien jouer les pompiers de service, mais ces solutions de dernière minute ne font que masquer l’incompétence chronique d’un système à bout de souffle.
Un État qui ne peut garantir l’accès aux soins de ses citoyens n’est pas digne de ce nom. Les Gabonais méritent mieux que des promesses creuses et des rustines administratives. Il est temps que les autorités assument leurs responsabilités et agissent de manière décisive pour restaurer la confiance et garantir un avenir sanitaire viable pour tous.