Alors que s’achèvera demain la COP16, grande conférence mondiale sur la biodiversité en Colombie (21 octobre au 1 novembre 2024), retour sur dix jours de négociations intenses qui pourraient redéfinir notre rapport au vivant et accélérer la mise en œuvre des engagements mondiaux.
[ENVIRONNEMENT] — Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | 31 octobre 2024
À la veille de sa clôture, la 16ᵉ Conférence des Parties (COP16) sur la biodiversité à Cali cristallise tous les espoirs et les tensions d’une planète en quête de solutions pour enrayer l’effondrement du vivant. Depuis le 21 octobre, cette ville colombienne, lovée entre la cordillère des Andes et les jungles du Pacifique, est devenue l’épicentre d’une bataille diplomatique sans précédent pour l’avenir de notre biosphère. « Cette COP16 marque un tournant décisif dans notre capacité à transformer les promesses en actions concrètes« , affirme avec gravité Susana Muhamad, ministre colombienne de l’Environnement, dont les yeux reflètent l’urgence de la situation.
Une affluence record qui défie les pronostics
Tel un fleuve en crue, Cali a vu déferler une marée humaine dépassant toutes les prévisions. Les 23 000 participants — contre 12 000 initialement prévus — ont submergé cette métropole de 2,5 millions d’habitants, transformant la capitale mondiale de la salsa en une fourmilière diplomatique bouillonnante. Cette affluence paroxystique témoigne d’une prise de conscience collective sans précédent. « Nous assistons à un moment historique où la biodiversité n’est plus considérée comme une préoccupation marginale, mais comme un enjeu central de notre survie« , souligne Carlos Manuel Rodríguez, président du Fonds pour l’environnement mondial. Les hôtels débordent, les restaurants ne désemplissent pas, et les centres de conférence résonnent de débats multilingues qui se poursuivent jusque tard dans la nuit.
Un dispositif sécuritaire à la hauteur des enjeux
Dans les rues de Cali, l’ambiance est à la fois festive et tendue. Les 11 000 policiers et militaires déployés quadrillent la ville avec une vigilance de rapace, créant un bouclier humain autour des délégations. Cette présence massive répond aux menaces sibyllines de l’EMC, groupe dissident des FARC, qui a tenté de jeter une ombre sur l’événement. « La sécurité n’est pas négociable« , martèle, dont la détermination ubiquitaire se manifeste par des apparitions régulières aux points névralgiques de la conférence. Les forces de l’ordre ont établi un maillage serré autour des deux zones névralgiques : la « zone bleue » réservée aux délégations officielles et la « zone verte » ouverte aux autres participants.
Le constat alarmant qui secoue les consciences
Les chiffres qui résonnent dans les allées de la COP16 sont vertigineux : 73 % des populations d’animaux sauvages ont disparu en cinquante ans selon le dernier rapport du WWF, une hécatombe silencieuse qui donne le vertige. « Nous sommes les témoins et les acteurs d’une extinction de masse que nous avons nous-mêmes déclenchée« , déclare avec émotion un représentant de l’IPBES. Cette réalité prométhéenne a catalysé les discussions, poussant les négociateurs à dépasser leurs divergences traditionnelles. Les débats se sont particulièrement focalisés sur l’objectif phare de protéger 30 % des terres et des mers d’ici à 2030, un défi titanesque qui nécessite une mobilisation sans précédent.
L’épineux défi du financement
La question du financement reste le nœud gordien des négociations. L’objectif mélopéen de mobiliser 200 milliards de dollars annuels d’ici à 2030 semble aussi complexe à atteindre que la quadrature du cercle. « Les promesses doivent se matérialiser en flux financiers concrets« , tonne le représentant brésilien, dont le pays abrite la plus grande forêt tropicale du monde. Les pays développés peinent à concrétiser leurs engagements : sur les 20 milliards de dollars promis d’ici à 2025, seuls 400 millions ont été effectivement mobilisés. La France et le Royaume-Uni tentent d’insuffler un nouvel élan avec leur initiative de « marchés de crédits biodiversité à haute intégrité« , mais les pays du Sud restent circonspects face à ces mécanismes qu’ils jugent parfois trop complexes.
La mosaïque des acteurs : un kaléidoscope d’intérêts et d’ambitions
La COP16 révèle un nouveau paradigme dans la gouvernance environnementale mondiale. Les pays mégadivers, ces léviathans de la biodiversité comme le Brésil, l’Indonésie et la République démocratique du Congo, qui abritent 70 % des espèces connues sur 10 % des terres émergées, forment désormais un bloc puissant. « Nous ne sommes plus de simples gardiens passifs de la biodiversité mondiale, mais des acteurs stratégiques de sa préservation », affirme avec force le ministre brésilien de l’Environnement. Cette assertion trouve un écho particulier alors que son pays s’apprête à accueillir la COP30 sur le climat en 2025.
Les peuples autochtones : gardiens millénaires en quête de reconnaissance
Dans ce concert des nations, la voix des peuples autochtones résonne avec une nouvelle force. Représentant 6,2 % de la population mondiale et présente dans 90 pays, ces communautés revendiquent un accès direct aux financements pour la conservation. « Nos territoires sont les derniers sanctuaires d’une nature inviolée, mais nous sommes trop souvent écartés des décisions qui nous concernent« , déplore Alex Lucitante, leader de la communauté Cofan Avie d’Équateur. Les négociations ont abouti à une avancée significative avec la création d’un mécanisme spécifique permettant aux communautés autochtones d’accéder directement aux fonds internationaux pour la biodiversité.
La Colombie : un exemplum pour l’action environnementale
Le pays hôte fait figure de laboratoire vivant des politiques de conservation. L’engagement de la Colombie à protéger 34 % de ses territoires et à restaurer 5 millions d’hectares de terres dégradées constitue un modèle épistémologique pour les autres nations. « Notre pays démontre qu’il est possible de concilier développement économique et préservation de la biodiversité« , explique le président Petro. Le pays a notamment présenté son ambitieux programme de « bioéconomie« , visant à générer 3 % de son PIB à partir d’activités durables liées à la biodiversité.
Vers une convergence historique des luttes environnementales
À la veille de sa conclusion, la COP16 marque un tournant décisif dans l’approche des défis environnementaux. La convergence entre climat, biodiversité et désertification émerge comme le nouveau paradigme d’une gouvernance environnementale holistique. « Nous ne pouvons plus traiter ces crises séparément », insiste Susana Muhamad. Alors que s’annoncent les COP sur le climat à Bakou, l’expérience de Cali pourrait bien servir de boussole pour l’avenir de la diplomatie environnementale mondiale.
DBnews