Russie - 16ᵉ sommet des BRICS - 22-24 octobre 2024.
Russie - 16ᵉ sommet des BRICS - 22-24 octobre 2024.

Le 16ᵉ sommet des BRICS à Kazan marque-t-il vraiment un tournant géopolitique ? Derrière la mise en scène de Vladimir Poutine réunissant 35 délégations, se cache une réalité plus nuancée : celle d’un monde multipolaire en gestation.

Par Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | Publié le 31 octobre 2024 | Temps de lecture : 4 minutes

Russie - 16ᵉ sommet des BRICS - 22-24 octobre 2024.
Russie – 16ᵉ sommet des BRICS – 22-24 octobre 2024.

Le théâtre des apparences

Dans l’ancienne capitale tatare de Kazan, du 22 au 24 octobre 2024, Vladimir Poutine a orchestré ce qui ressemblait à une magistrale démonstration de force diplomatique. « Les délégations de 35 États ont participé à l’événement« , proclamait-il triomphalement. Pourtant, une semaine après la clôture du sommet, l’euphorie initiale laisse place à une réalité plus nuancée. Comme le souligne l’expert géopolitique Alexandre Kateb : « La mise en scène ne doit pas occulter la substance, ou plutôt son absence. »

Les promesses non tenues

Paradoxalement, ce qui devait être un moment décisif dans l’histoire des BRICS s’est transformé en une exposition des limites intrinsèques du groupe. Le président russe, malgré son ballet diplomatique méticuleux, n’a obtenu aucune avancée substantielle sur les trois objectifs cardinaux : l’élargissement, l’alternative au système SWIFT, et la création d’une monnaie commune. Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) restent prisonniers de leurs contradictions internes.

L’équilibre précaire des forces

La présence remarquée du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et du président turc Erdogan masque difficilement les divergences stratégiques entre membres. Sur l’Ukraine, la position équivoque des BRICS illustre leur dilemme existentiel. Comme l’observe pertinemment Wang Huiyao, président du Centre for China and Globalization : « Les BRICS ne peuvent pas être simplement anti-occidentaux, ils doivent construire quelque chose de positif

Photo de famille : Russie - 16ᵉ sommet des BRICS - 22-24 octobre 2024.
Photo de famille : Russie – 16ᵉ sommet des BRICS – 22-24 octobre 2024.

L’illusion de l’alternative financière

Quantitativement, l’écart entre ambitions et réalités est saisissant. La Nouvelle Banque de Développement des BRICS, avec ses 5 milliards de dollars de prêts annuels, fait pâle figure face aux 72,8 milliards de la Banque mondiale. « La dédollarisation reste un horizon lointain plutôt qu’une réalité imminente« , affirme Zhu Jiejin, professeur à l’Université Fudan.

Les conséquences géostratégiques

Le sommet de Kazan marque une étape dans la reconfiguration de l’ordre mondial. L’intérêt manifesté par plus de 30 pays pour rejoindre les BRICS témoigne d’une aspiration globale au changement. « C’est le signal, non la cause, de l’évolution de l’ordre mondial« , décrypte judicieusement Hamish Kinnear de Verisk Maplecroft.

L’Afrique dans l’équation des BRICS : Entre espoirs et paradoxes

Le positionnement de l’Afrique au sein des BRICS révèle une myriade de contradictions qui méritent une analyse approfondie. L’Afrique du Sud, seul membre africain permanent, se trouve dans une position ambivalente. « Nous sommes censés être la voix du continent, mais nos intérêts nationaux ne convergent pas toujours avec ceux de nos voisins« , confie un diplomate sud-africain sous couvert d’anonymat.

L’entrée de l’Égypte et de l’Éthiopie dans le groupe en 2023 complexifie davantage l’équation africaine. Ces deux nations, aux trajectoires économiques et géopolitiques distinctes, illustrent la diversité des approches africaines vis-à-vis des BRICS. « L’Afrique n’est pas un bloc monolithique dans sa relation avec les BRICS », souligne Carlos Lopes, économiste guinéen et ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique.

Les contradictions s’accumulent sur plusieurs niveaux

Dépendance économique paradoxale. Alors que les BRICS promettent une alternative au modèle occidental, l’Afrique se retrouve dans une nouvelle forme de dépendance, particulièrement envers la Chine. « Nous risquons de remplacer une dépendance par une autre« , met en garde Kako Nubukpo, économiste togolais.

Divergences stratégiques. La position des pays africains sur le conflit ukrainien révèle des fractures profondes. Certains suivent la ligne russe, d’autres maintiennent une neutralité pragmatique, tandis que d’autres encore penchent vers l’Occident.

Enjeux de développement. La Nouvelle Banque de Développement des BRICS peine à répondre aux besoins colossaux du continent. Comme le note Vera Songwe, économiste camerounaise : « Les promesses de financement alternatif restent largement en deçà des besoins réels de l’Afrique.« 

Question de représentativité. Malgré l’élargissement, la majorité des nations africaines demeure exclue des mécanismes décisionnels des BRICS. L’ambivalence africaine s’illustre particulièrement dans le cas de l’Éthiopie, nouveau membre qui jongle entre son adhésion aux BRICS et ses partenariats occidentaux. « Notre adhésion aux BRICS ne signifie pas un rejet de l’Occident, mais une diversification de nos options« , explique Mamo Mihretu, gouverneur de la Banque nationale d’Éthiopie.

Les perspectives d’évolution

A posteriori, trois scénarios se dessinent pour l’avenir des BRICS : L’effritement progressif face aux contradictions internes, la consolidation autour d’un noyau dur Chine-Russie, la mutation vers une plateforme d’influence multipolaire.

En tout état de cause, « la trajectoire des BRICS dépendra de leur capacité commune à dépasser le stade de la simple opposition à l’Occident », prédit Sheila Patel, ancienne présidente de Goldman Sachs Asset Management.

Quoi qu’il en soit, le 16ᵉ sommet des BRICS à Kazan restera probablement dans l’histoire comme un moment charnière. Non pas tant, pour ses réalisations concrètes que pour ce qu’il révèle des mutations profondes du système international. La quête d’alternatives à l’ordre occidental se heurte aux réalités pragmatiques de la gouvernance mondiale. Comme l’exprime éloquemment Mo Ibrahim : « Les gens voient des institutions qui ne sont pas vraiment représentatives — des infrastructures établies en 1945, et rien ne change. » Le véritable défi des BRICS sera de transformer cette critique en proposition constructive pour l’avenir.

DBnews

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