Le temps politique s’est subitement accéléré au Gabon ces derniers jours avec le dépôt des candidatures à l’élection présidentielle. Nombre d’entre elles émanent de l’opposition. Que peut-elle espérer des élections à venir ? Au-delà des déclarations chocs et des postures médiatiques, voici un éclairage utile à la compréhension des rapports de force à l’œuvre.
Une candidature unique est-elle possible ?
Non. L’opposition gabonaise est très divisée. Elle l’a montrée à chaque dernière occasion où elle aurait pu s’unir, comme lorsqu’il a fallu désigner ses représentants lors de la concertation pour des élections apaisées en février dernier ou encore ses délégués au sein du Centre gabonais des élections en mai dernier. Dans ces deux cas, c’est le ministre de l’Intérieur qui a dû arbitrer.
Schématiquement, il y a au sein de l’opposition gabonaise deux grandes tendances réparties en plateformes. Ceux qui se retrouvent au sein de la PG41 présidée par Me Louis Gaston Mayila et ceux réunis au sein d’Alternance 2023, présidée par Paulette Missambo. Les uns et les autres se détestent cordialement…
À ce grand « schisme », il faut ajouter des rivalités entre candidats comme celles qui opposent Paulette Missambo (UN) à Paul Marie Gondjout (UNI) ou encore Paulette Missambo, toujours, elle, à Barro Chambrier (RPM), alliés de circonstance pour l’heure, mais lancés, tous deux, dans la course au leadership de l’opposition.
Pour ne rien arranger, il faut ajouter dans ce paysage déjà chargé ceux qui restent (encore) fidèles à Jean Ping qui n’entend pas lâcher son magistère sur l’opposition et prône le boycott des élections du 26 août.
Dans ces conditions, dire que l’opposition est divisée n’a rien d’exagéré. C’est bel et bien une réalité politique avec laquelle il faut compter.
Une candidature commune est-elle possible ?
Si une candidature unique de l’opposition est impossible, une candidature commune est, elle, en revanche, possible. Mais, en théorie seulement, sur le papier. Car celle-ci sera, quoi qu’en disent certains difficiles à obtenir. D’une part, l’Histoire se répète rarement deux fois. Ce n’est pas parce que les choses se sont passées d’une certaine manière en 2016 qu’elles se dérouleront à l’identique en 2023. D’autre part, si Alternance 2023 a dit vouloir présenter un candidat « consensuel », on voit mal Barro Chambrier ou Missambo s’effacer au profit de l’autre. Car celui qui serait désigné deviendrait de facto le leader de l’opposition pour les cinq années à venir et relèguerait l’autre au second rôle.
Qui plus est, il y a la présidentielle, mais aussi les législatives. Et négocier un retrait de la présidentielle supposerait une compensation au niveau des élections législatives pour le candidat qui accepterait de s’effacer. Bref, tout ça est très compliqué, d’autant plus qu’il y a derrière ça également une question d’argent (plus de députés, c’est plus de financement pour un parti politique). C’est pourquoi, s’agissant d’une candidature commune de l’opposition, il y a loin de la coupe aux lèvres…
En cas de candidature commune, l’opposition peut-elle l’emporter ?
« Si l’opposition veut faire un résultat lors de cette élection, une candidature commune est une condition nécessaire, mais absolument pas suffisante », indiquait un professeur en science politique de l’UOB dans une récente interview (lire cette interview). Et, d’insister : « ça n’est pas la panacée ». Répétons-le, 2023 n’est pas 2016. La configuration n’est plus la même. Le rapport politique est nettement plus favorable à la majorité qu’il ne l’était il y a sept ans. Un bon baromètre de cette tendance ? Le fait que beaucoup d’opposants continuent de rejoindre Ali Bongo Ondimba alors qu’à l’époque, c’est lui qui faisait face à des désistements […] Entretenir l’illusion sur le fait qu’une candidature commune pourrait lui faire gagner les élections permet toutefois à l’opposition de ne pas démobiliser ses électeurs, d’alimenter le feu médiatique et, surtout, de préparer le terrain à une future contestation des résultats…
Au final, présidentielle ou primaire pour l’opposition ?
Tous les observateurs les plus sérieux le disent, l’opposition ne peut raisonnablement espérer l’emporter cette fois-ci. C’est pourquoi beaucoup disent que cette présidentielle au Gabon est, pour l’opposition, moins une élection qu’une primaire. Ali Bongo Ondimba sera très difficile à battre, pour ne pas dire plus. L’enjeu pour les Barro Chambrier, Missambo et autres (car la rivalité entre deux personnalités profite souvent à un troisième larron…), c’est d’arriver en tête de leur famille politique. Car, celui qui arrivera en tête le 26 août deviendra le leader de son camp pour les cinq années à venir et prendra un avantage décisif pour la suite. Comme le dit un politologue de l’UOB, « pour le dire simplement, l’opposition ne joue pas 2023, elle joue 2028. »