Ali Bongo plaide pour sa famille : un adieu politique amer
Ali Bongo plaide pour sa famille : un adieu politique amer

Un an après sa destitution, l’ancien président gabonais Ali Bongo a enfin pris la parole. Dans une lettre ouverte, il a demandé la clémence pour sa famille toujours emprisonnée, tout en admettant les erreurs commises durant ses deux mandats. Ce geste, bien que tardif, suscite des réactions partagées au sein de l’opinion publique.

Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | lundi 23 septembre 2024

Ali Bongo plaide pour sa famille : un adieu politique amer
Ali Bongo plaide pour sa famille : un adieu politique amer

La lettre d’Ali Bongo : un mea-culpa intéressé

Le 19 septembre 2024, Ali Bongo Ondimba a enfin pris la parole après des mois de silence, suite au coup d’État militaire du 30 août 2023. Dans une lettre ouverte adressée à ses compatriotes, et authentifiée par son avocate Me Gisèle Eyue Békalé, l’ancien président partage ses réflexions. Ce geste marque un moment fort et symbolique dans l’évolution de la situation politique du Gabon depuis son renversement. 

Dans cette missive, l’ex-chef d’État adopte un ton contrit, reconnaissant à demi-mot les « insuffisances » de sa gouvernance. Il affirme comprendre « la volonté des citoyens de souhaiter de nouveaux responsables politiques ». Cette autocritique, bien que timide, tranche avec l’intransigeance dont il faisait preuve durant son règne.

Cependant, le véritable objet de cette lettre transparaît rapidement : Ali Bongo implore la libération de son épouse Sylvia et de son fils Noureddin, incarcérés depuis le coup d’État. Il les qualifie de « bouc-émissaires impuissants » et dénonce les « violences et tortures » qu’ils subiraient en détention.

Cette requête soulève une question épineuse : peut-on accorder la clémence à la famille Bongo sans bafouer les principes de justice et de redevabilité ? Le dilemme est d’autant plus complexe que Sylvia et Noureddin Bongo sont poursuivis pour des faits graves, notamment « haute trahison » et « détournements massifs de deniers publics ».

Gabon, défilé du 17 aout 2023 -Ali et Sylvia Bongo Ondimba.
Gabon, défilé du 17 aout 2023 -Ali et Sylvia Bongo Ondimba.

Un bilan présidentiel désastreux

Pour comprendre la portée de cette lettre, il faut la replacer dans le contexte du bilan catastrophique des 14 années de présidence d’Ali Bongo. Malgré les immenses richesses naturelles du Gabon, son règne a été marqué par une augmentation alarmante de la pauvreté.

Les chiffres sont éloquents : le taux de pauvreté a bondi de près de 10 points sous ses deux mandats. Cette dégradation est d’autant plus choquante que même les pays les moins avancés d’Afrique n’ont pas connu une telle régression. Comment expliquer un tel fiasco dans un pays regorgeant de pétrole, de minerais et de bois précieux ?

La réponse réside dans une gouvernance kleptocratique et népotiste. Ali Bongo a perpétué le système mis en place par son père Omar, basé sur la prédation des ressources nationales au profit d’une oligarchie. Les scandales de détournements de fonds se sont multipliés, tandis que les infrastructures de base – hôpitaux, écoles, routes – tombaient en décrépitude.

Cette gestion calamiteuse a engendré un profond ressentiment au sein de la population. Les promesses de « changement » martelées par Ali Bongo lors de son accession au pouvoir en 2009 se sont révélées n’être que des slogans creux. La frustration populaire a culminé avec sa réélection controversée en 2016, entachée d’irrégularités flagrantes.

Noureddin Bongo et sa Young Team inculpés, seul Jessye Ella Ekogha est libre
Noureddin Bongo et sa « Young Team » inculpés, seul Jessye Ella Ekogha est libre

Une demande de pardon qui divise

L’appel à la clémence d’Ali Bongo divise l’opinion au Gabon. D’un côté, certains appellent au pardon, évoquant la capacité de chacun à reconnaître ses erreurs, à l’instar du message de rédemption. D’un autre côté, de nombreux citoyens rejettent cette démarche, estimant que la « réconciliation nationale » ne relève pas d’Ali Bongo, mais repose désormais sur Brice Clotaire Oligui Nguema, vu comme le véritable espoir pour la transformation du pays.

Cette divergence d’opinions reflète les profondes divisions qui persistent au sein de la société gabonaise. Le traumatisme laissé par plus d’un demi-siècle de domination des Bongo ne s’effacera pas du jour au lendemain. La transition démocratique engagée reste fragile, et le spectre de l’instabilité plane toujours.

Un avenir incertain pour le Gabon

La lettre d’Ali Bongo soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Quid des autres prisonniers politiques, victimes de sa répression ? Quelle justice pour les manifestants tués lors des contestations post-électorales de 2016 ? Comment recouvrer les milliards détournés par le clan Bongo ?

Le nouveau pouvoir militaire, dirigé par le général Oligui Nguema, se trouve face à un défi colossal. Il doit à la fois satisfaire les aspirations démocratiques de la population et assainir une économie gangrenée par la corruption. La tentation de l’autoritarisme reste forte, comme en témoignent les restrictions imposées à Ali Bongo, qui se dit « soumis à surveillance quotidienne ».

L’avenir du Gabon se jouera dans sa capacité à rompre définitivement avec les pratiques du passé. La réconciliation nationale prônée par Ali Bongo ne pourra se faire sans une véritable justice transitionnelle, impliquant la restitution des biens mal acquis et la condamnation des responsables de crimes économiques.

Au bout du compte, la lettre d’Ali Bongo apparaît comme le baroud d’honneur d’un homme politique déchu, plus préoccupé par le sort de sa famille que par celui de son peuple. Son appel à la clémence risque de rester lettre morte face à l’ampleur du ressentiment populaire. Le Gabon tourne une page de son histoire, mais le chemin vers une véritable démocratie reste long et semé d’embûches.

 

DBnews

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