A la uneDialogue intérieur

Dans un mémorandum publié le 4 novembre 2021, le Parena, le parti de Tiébilé Dramé, une des figures de proue de l’opposition malienne, fustige la gestion des autorités de la transition. La première salve lancée est « l’incapacité » du gouvernement de la transition, à «organiser des élections marquant la fin de la Transition » et de « produire un calendrier électoral » au moment où ce gouvernement fait de moins en moins mystère de sa volonté de repousser la date du 27 février 2022 initialement prévue pour ces élections censées ramener le pays à l’ordre constitutionnel normal. Le deuxième argument est l’opportunité de la tenue des assises nationales que le Parena rejette, à l’instar d’autres partis politiques qui s’en sont clairement démarqués. La troisième pique est la dégradation continue de la situation sécuritaire qui fait courir au pays,  « le risque d’un nouvel effondrement ». Pour finir, le leader du parti du bélier pointe du doigt « l’isolement diplomatique sans précédent du Mali », en raison des crises ouvertes avec la France et la CEDEAO, sans oublier « l’instauration d’un climat d’intolérance et d’atteinte aux libertés démocratiques fondamentales », en référence, entre autres, à l’incarcération du député Issa Kaou N’Djim pour sa position très critique vis-à-vis du gouvernement de Chogel Maïga.

Tiébilé Dramé touche du doigt plusieurs réalités qui sont autant de ronces qui jalonnent le chemin de la transition

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette sortie de Tiébilé Dramé est plutôt osée, dans un Mali où de plus en plus les gens semblent enclins à tourner sept fois leur langue dans la bouche avant de s’exprimer sur la gestion du pays, sous peine de se voir jetés au gnouf. En témoigne le cas du truculent 4ème vice-président du Conseil national de la Transition, (CNT), Issa Kaou N’Djim, dont l’immunité parlementaire n’a pas réussi à le sauver de la réclusion, en attendant le délibéré de la réquisition de trois mois de prison pour « troubles à l’ordre public ». Il avait vertement critiqué la gestion du Premier ministre. Mais au delà de cette sortie au vitriol qui tend à charger les autorités de la transition de tous les maux du Mali, Tiébilé Dramé touche du doigt plusieurs réalités qui sont autant de ronces qui jalonnent le chemin déjà très escarpé de la transition malienne. En tout cas, c’est une prise de position qui vaut son pesant de courage dans une transition qui peine encore à donner de la lisibilité à son action et à se défaire de ses oripeaux de pouvoir kaki. Car, à quelque quatre mois de sa fin théorique de cette transition, non seulement rien ne semble véritablement indiquer les efforts faits pour respecter l’échéance, mais aussi et surtout c’est toujours le flou sur la date des élections. Dès lors, on peut comprendre l’impatience de la classe politique malienne dont une bonne partie rejette les fameuses assises nationales auxquelles le pouvoir de la transition semble pourtant s’accrocher pour tracer les sillons du calendrier électoral.

Bien des acteurs de la classe politique et les autorités de la transition ne parlent pas toujours le même langage

Dans leur sillage, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui piaffe aussi d’impatience de voir plus clair dans les échéances de cette transition, tient, le 7 novembre prochain, un sommet extraordinaire à cet effet. En attendant d’en connaître les conclusions, l’on peut se demander à quoi  sert de tenir de telles assises nationale, qui paraissent, à bien des égards, comme celles de la division, dans un Mali à la recherche d’un nouvel ordre constitutionnel. C’est à se demander si les autorités de la transition n’en font pas à leur tête, à moins que leurs agissements envers et contre la volonté de nombreux Maliens et de la communauté internationale, notamment la CEDEAO, ne soient finalement la partie visible d’un agenda caché. Comme quoi, « le chien aboie, la caravane passe », pour reprendre une expression bien connue. C’est pourquoi l’on peut s’interroger si ce pamphlet de Tiébilé Dramé contre les autorités de la transition, ne fera finalement pas sur Assimi Goïta et ses camarades, l’effet de l’eau sur les plumes d’un canard. Si l’on peut aisément comprendre la nécessité de construire le renouveau des institutions maliennes sur des bases solides, cela devrait se faire suivant un chronogramme clair et précis, qui appelle à un investissement plein et entier de tous les acteurs de la classe politique, dans une synergie d’actions. Malheureusement, ce n’est pas ce que semble traduire la réalité du terrain où bien des acteurs de la classe politique et les autorités de la transition ne parlent pas toujours le même langage quand ils ne sont pas à couteaux tirés, concernant les priorités et la conduite de la transition. C’est pourquoi il faut saluer ce genre d’interpellations qui pourraient permettre, pour peu que les autorités de Bamako se montrent quelque peu à l’écoute de leurs détracteurs, de restaurer la confiance entre tous les acteurs et de redresser la barre pour une sortie de crise consensuelle. C’est le seul combat qui vaille pour le Mali, aujourd’hui à la croisée des chemins.

 

« Le Pays »