A la uneGrand angle

 Que va-t-on faire dire au mort ?

Alors que l’enquête sur la tentative d’assassinat au couteau, le jour de la Tabaski, du président de la transition malienne, Assimi Goïta, n’a pas encore livré ses résultats, un communiqué gouvernemental en date du 25 juillet dernier, annonce de façon presque laconique, la mort du détenu qui était gardé à vue au niveau des services de sécurité, sans plus de précisions. Certaines informations parlent d’une dégradation de la santé de l’agresseur qui aurait été conduit à l’hôpital où il aurait passé l’arme à gauche.  De quoi rendre cette mort aussi suspecte que le délit pour lequel le mystérieux assaillant avait été arrêté, à savoir la tentative d’assassinat au couteau et en public de l’autoproclamé chef de la Transition, dans des conditions qui continuent encore d’interroger.  La question est de savoir si le détenu est mort de mort naturelle ou s’il a succombé à des actes de tortures pour lui arracher des aveux. Et quels aveux ? Se peut-il qu’il ait été simplement liquidé, comme cela est courant dans les Etats d’exception, après avoir été « débriefé » pour les besoins   de l’enquête ?

 

 

Seul le témoignage du suspect aurait pu permettre d’éclairer la lanterne des uns et des autres

 

 

 

 En espérant que l’autopsie ordonnée par les autorités de Bamako, permettra de déterminer les causes exactes de la mort, cette disparition soudaine du seul témoin connu et acteur principal de la tentative d’assassinat sur la personne du chef de la Transition malienne, suscite plus de questions que de réponses. Que s’est-il réellement passé ? Est-ce l’interrogatoire qui aurait mal tourné ? Ou bien a-t-on délibérément voulu faire taire définitivement le suspect ? Si c’était le cas, qu’est-ce qui aurait bien pu se passer pour qu’on le préfère mort que vivant ? Bien malin qui saurait répondre à ces questions. Du reste, on peut se demander si l’on saura   un jour la vérité dans cette affaire. Déjà qu’au vu des circonstances, d’aucuns émettaient de sérieux doutes sur la thèse de la tentative d’assassinat, cette disparition brusque du suspect numéro 1, vient davantage épaissir le mystère sur ce qui se cache derrière cette affaire de tentative de meurtre. S’agit-il d’une véritable tentative de « déstabilisation » pour reprendre les mots du président de  la Transition malienne lui-même, ou d’un montage grotesque pour atteindre des adversaires politiques ou militaires encore tapis dans l’ombre ? On attend de voir.  D’autant que la piste terroriste a été assez rapidement écartée par les autorités de Bamako. Mais, d’ores et déjà, tout porte à croire que seul le témoignage du suspect aurait pu permettre d’éclairer la lanterne des uns et des autres sur la question. A présent que ce dernier n’est plus en mesure de parler, l’on peut se demander ce qu’on va faire dire au mort, pour pouvoir continuer l’enquête dans un sens ou dans un autre. C’est dire si l’on peut mettre en doute la transparence de l’enquête. La question est d’autant plus importante que c’est peut-être l’avenir de la transition malienne qui se joue derrière cette affaire.

 

 

Le colonel Assimi Goïta est soupçonné de vouloir balayer le palais de Koulouba pour mieux s’y installer

 

 

Car, si l’on en croit le gouvernement malien qui affirme que la mort du suspect n’est pas rédhibitoire à la poursuite de l’enquête, d’autant que « les premiers indices collectés indiquent qu’il ne s’agit pas d’un acte isolé », il y a des raisons de croire que les choses n’en resteront pas là et que l’on peut s’attendre à une évolution dans les jours ou semaines à venir. Cela va-t-il se traduire par des interpellations ? On attend de voir. Mais ce qu’il faut craindre, c’est que les choses ne tournent au règlement de comptes sur fond de purge au sein de la Grande muette ou de la classe politique malienne, maintenant qu’il semble établi que le président autoproclamé de la transition ne compte pas que des amis au sein de ses compatriotes. Une inquiétude d’autant plus justifiée  que le colonel Assimi Goïta lui-même est soupçonné de vouloir faire un bébé dans le dos de la Transition, en travaillant à déblayer le terrain et à balayer le palais de Koulouba pour mieux s’y installer. En attendant, avec tous ces couacs qui constituent, à quelque sept mois de l’échéance, autant de coups de freins à la bonne marche de la transition, l’on est bien parti pour que le délai de février 2022 pour la tenue des élections censées ramener le pays à l’ordre constitutionnel normal, ne soit pas respecté. Rien ne dit que celles-ci seront pacifiques et inclusives. Car,  cette sombre affaire de tentative d’assassinat peut déboucher finalement sur des verdicts d’exclusion. Ce qui pourrait contribuer à crisper davantage l’atmosphère sociopolitique au moment où le pays peine à sortir de l’ornière. On n’est donc pas encore sorti de l’auberge.

 

 « Le Pays »