Diéma : Le pain de singe aux multiples vertus

Diéma : Le pain de singe aux multiples vertusPar Ouka BA

AMAP-Diéma

Diéma, 04 mai (AMAP) En milieu soninké, rares sont les habitations ou les champs qui n’ont pas, au moins, un baobab. Cet arbre historique et nourricier, constitue un patrimoine, un bien commun pour la famille. Lorsqu’une parcelle de terrain compte, même un seul baobab, le jour où son propriétaire décide de la vendre, l’arbre ne fera pas partie de la transaction. Il restera au compte du premier propriétaire du terrain, sauf s’il trouve un compromis pour le céder à l’acheteur.

Le baobab, qui donne le pain de singe, est une essence précieuse qui peuple la quasi-totalité de la Bande sahélienne. Dans le Cercle de Diéma, dans l’Ouest du mali, on  en retrouve dans toutes les quinze communes, avec une présence plus accrue dans les localités de Dianguirdé, Madiga Sacko, Lakamané, Sansankidé, Diéoura et Doumara. Les Communes de Béma et Diéma, en comptent très peu.

La cueillette et la commercialisation du pain de singe sont devenues une affaire de tous, aujourd’hui, dans le Cercle de Diéma. Ce ne sont plus les seuls Maures qui exercent cette activité lucrative.

Dans la pure tradition maure, on accueille l’étranger avec du thé, naturellement, avant de lui donner à boire du « zirigui », une boisson traditionnelle à partir de poudre de pain de singe et de lait, avec une dose raisonnable de sucre. Pour mieux se rafraîchir, certains ajoutent de la glace au « zirigui ».

Diéma : Le pain de singe aux multiples vertus

Le « zirigui », cocktail de poudre de pain de singe, de lait et de sucre

Chez les Maures, le « zirigui ». est autant apprécié que le thé. Il facilite la digestion et « nettoierait » le ventre. D’autres trouvent que la consommation abusive du pain de singe provoque la constipation..

VERTUS ET QUALITES – Le baobab, qui peut vivre plusieurs siècles, occupe une place de choix dans l’économie familiale. Aucune partie du gigantesque arbre ne se jette. Ses écorces sont utilisées pour fabriquer des cordes, ses feuilles vertes entrent dans la préparation de la sauce de pâte d’arachide « Ziraboulou nan » et autres mets, la poudre de ses feuilles sèches « namougoufing » est associée au couscous pour le rendre plus gluant et facile à avaler.

Le pain de singe entre dans la préparation de la bouillie de mil, à défaut du citron. Ce fruit sauvage est recommandé dans les cas de diarrhées, ainsi que l’ulcère gastrique

Pour faire la sauce du « tô » (pâte de mil), certains préfèrent la poudre de feuilles de baobab au gombo. Aussi, pour donner du poids à leurs femmes et leurs filles, les Maures mettent-ils de la poudre de feuilles de baobab dans l’eau, mélangent minutieusement la mixture, et  leur font  boire constamment cette solution.

La personne peut rendre ce qu’elle ingurgite, on lui fera quand même avaler toute la quantité préparée. Une pratique proche du gavage appelée « Ka Bellehé ».

Selon certaines croyances, pour avoir le pouvoir, accéder à un poste de responsabilité ou même devenir « Mansa » (Chef), il faut bouillir la gousse vide du pain de singe et se laver avec la décoction, une fois par jour, pendant une semaine. Le résultat serait immédiat, à condition de n’avoir jamais entretenu de relations intimes avec la femme ou l’homme d’autrui.

Pendant l’hivernage, au moment de cultiver, certains préparent le pain de singe pour donner à leurs enfants, afin d’atténuer les effets du soleil et étancher leur soif.

« Enfant, je me souviens que de retour de la brousse, sous un soleil ardent, ma mère me donnait à boire du jus de pain de singe. Aussitôt, je me sentais soulagé », nous dit un homme.

SAISON DES AFFAIRES – La traite du pain de singe a véritablement démarré dans le Cercle de Diéma. Des exploitants, aux  acheteurs, en passant par des revendeurs et des transporteurs, chacun y trouve son compte. Les Maures arrivent de la Mauritanie voisine pour charger leurs camions de pain de singe. Généralement, ils troquent leurs produits contre des céréales. Ils en vendent, aussi, pour se procurer du thé, du sucre, du tabac et pour régler d’autres petits problèmes.

Le pain de singe est vendu dans les différentes foires hebdomadaires du Cercle de Diéma. Des stocks importants sont acheminés vers divers horizons, notamment, Kayes, Nioro du Sahel et Dakar, au Sénégal, où le produit, le plus souvent,  est transformé en jus, bonbons et autres pâtes alimentaires.

Diéma : Le pain de singe aux multiples vertusAbdrahamane Konaté, notable à Fatao, indique que ce sont les Maures qui ravitaillent en  pain de singe leur commune et celle de Lambidou. Ils troquent leurs marchandises contre le mil et l’arachide. Rarement, sur ce marché, ils vendent pour de l’argent. « Nous, les Soninkés, on s’intéresse peu au pain de singe. Ce qui compte pour nous, c’est surtout le travail de la terre. Elle, qui, comme disait mon défunt grand-père, ne ment pas », dit-il, avec une pointe de fierté.

Baye Sidibé, producteur agricole à Fangouné Bambara, entretient depuis une dizaine d’années, un périmètre de vingt baobabs qui produisent, chaque année, près 500 kg de pain de singe.

Il  vend une partie de sa production, consomme une autre et en offre, volontiers, à des amis, voisins et proches. Dans ce village bambara, beaucoup de producteurs s’intéressent plus aux feuilles du baobab qu’à son fruit. M. Sidibé explique qu’il s’était rendu à Ségou, en voyage d’études, initié par une ONG internationale, à l’intention de certains producteurs, dans le cadre de la vulgarisation du sésame. Il en est revenu avec un pied de baobab greffé, âgé d’environ un an. Il l’a transplanté dans son périmètre.

Mais Baye est confronté à la rareté de l’eau sur sa parcelle. Ce qui, souvent, l’oblige, lui et ses enfants, à la corvée d’eau. De tous ses arbres, il apprécie le plus le baobab qui résiste à la sècheresse et demande peu de soins pour vivre.

En provenance de Fatao, Mme Hatouma Sylla, avoue avoir toujours détesté le pain de singe. « Depuis que je suis petite, quand ma mère me donnait à boire le jus de ce fruit, j’avais la nausée », déclare la dame.

Mady Camara, ancien migrant, trouve que les conditions de conservation de ce produit laissent à désirer. D’où son refus d’en consommer. « Une fois qu’on extrait les grains de leurs enveloppes, on ne prend plus le soin de les protéger contre la poussière et les mouches », dit-il, tête baissée sur sa machine à coudre, dans un crac-crac interminable.

Issa Dème, un conducteur de camion, attend au quartier Razel. Il devait charger les marchandises, essentiellemnt du pain de singe, pour le compte de commerçants, en direction de Dakar, au Sénégal. Finalement, après la rupture du jeûne, le chauffeur a pris la route avec son gros porteur vide.

Mahamadou Koita, réside à Sansankidé, il est marié, père de 8 enfants. Il plaint les exploitants qui parcourent, quotidiennement 15 à 20 kms à la recherche du pain de singe.

Beaucoup d’exploitants, qui ne portent pas de bottes, courent le risque de se faire mordre par des serpents ou de se faire lacérer par des épineux, au cours de la cueillette. C’est la peur au ventre que des exploitants de pain de singe se rendent, quotidiennement, en brousse pour exploiter la précieuse matière.

Diéma : Le pain de singe aux multiples vertus

Un exploitant de pain de singe dans sa parcelle

Ce jour-là, lorsque le bruit assourdissant d’un pneu de véhicule, qui a éclaté sur la route asphaltée menant à Kayes, est parvenu aux oreilles de Mady Soumaré, en quête de pain de singe en brousse, croyant à faire à des Djihadistes, il a pris ses jambes au cou. Quand il s’est aperçu que le bruit provenait d’un pneu, il éclata de rire, à tel point qu’il a effrayé une bande d’oiseaux assoiffés, à la recherche d’eau.

La cueillette du pain de singe est délicate. Certains grimpent jusqu’au sommet des arbres pour arracher les gousses. L’année dernière, deux jeunes garçons sont tombés du baobab et ont eu une fracture du bras. D’autres font la cueillette avec de longs bâtons, de 5 à 10 mètres, munis d’une faucille à l’extrémité.

Le président de l’Association de santé communautaire (ASACO) de Lakamané, Makamba Keita, explique que les foires hebdomadaires de Kamissakidé, Lakamané, Sangha Madina, respectivement, samedi, dimanche et lundi, sont bien fournies en pain de singe. Des commerçants viennent de partout pour s’approvisionner. Le moude (l’unité de mesure) du pain de singe décortiqué, l’équivalent de 2 deux et demi voire 3 kg, est vendu à 500 Fcfa.

« Chez nous, l’exploitation du pain de singe est assez timide », dit Modibo Diarra, originaire de Sorontiguila, peu loquace sur le sujet. Il signale la cherté du pain de singe dans son village, ces derniers temps. Le sac de 50 kg du pain de singe débarrassé de son enveloppe, vendu à 6,000 Fcfa, a vu son prix doubler avec le mois de ramadan.

C’est à Kaladiango, un village voisin, situé vers le Baoulé que le pain de singe est en plein essor. Les exploitants repartent avec des camions remplis, à destination de Dakar, au Sénégal, pour le compte d’un de nos ressortissants.

Certains exploitants sont pressés, ils n’attendent plus la maturité des  fruits, ils les arrachent pour les faire sécher au soleil. Ce qui fait que le pain de singe perd, souvent, son goût naturel et devient fade.

Diéma : Le pain de singe aux multiples vertusSelon les statistiques avancées par le chef de poste central des Eaux et Forêts, Gadiry Keita, cette année, dans le sous-secteur de l’arrondissement de Diéma, qui regroupe les Communes de Diéma, Dianguirdé et Madiga Sacko, la cueillette du pain de singe est en légère baisse, avec 50 tonnes contre 60 en 2020.

Cette diminution est liée, surtout, à l’insécurité qui prévaut actuellement dans la zone. Le cantonnement forestier ne dispose pas d’un répertoire exhaustif de tous les exploitants dont beaucoup opèrent dans la clandestinité. « C’est un manque à gagner. Nous devrons redoubler d’efforts pour rentabiliser davantage ce secteur en souffrance dans le cercle de Diéma », renchérit le technicien, en ajustant ses lunettes,

BONNES INITIATIVES – Le président de la Chambre locale d’agriculture de Diéma, Boubou Traoré, compte regrouper les exploitants de pain de singe, au sein d’une association. Il se dit prêt à les aider à disposer d’une unité de transformation pour valoriser davantage leurs productions.

A cete effet, il a lancé le recensement de tous les exploitants de pain de singe. Si les exploitants se mettent en règle, ils pourraient bénéficier de l’accompagnement des structures nationales.

« Un jour, j’ai vu des exploitants auprès d’un camion prêts à faire charger leurs marchandises à destination du Sénégal. Je leur ai demandé de présenter leurs titres d’intention. Malheureusement, personne n’en possédait, Certains ne connaissaient même pas ce que cela signifiait », raconte le chef du service local du commerce et de la concurrence, Moussa Sissoko.

Le fonctionnaire n’apprécie guère le mode opératoire des exploitants de pain de singe. Chaque fois, il les invite à s’adresser à la Direction du commerce et de la concurrence afin d’obtenir un titre d’importation et d’exportation, après avoir accompli toutes les formalités. La délivrance de ce titre permet à l’exploitant d’exercer librement son métier, sans contraintes majeures.

Les exploitants de pain de singe du cercle de Diéma, dont le nombre reste méconnu, sollicitent le soutien de l’Etat et de ses partenaires pour obtenir une unité de transformation afin de mieux rentabiliser leurs productions.

Ils envisagent de se regrouper en association et arrêter de travailler dans la clandestinité. Aussi, doivent- ils s’acquitter des taxes vis-à-vis de l’Etat.

OK/MD (AMAP)

 

 



Avec AMAP

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