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Le Maréchal Idriss Deby Itno a-t-il perdu le Nord ? Cette question, on peut se la poser après le drame qui s’est passé au domicile de l’opposant Yaya Dillo, le dimanche 28 février 2021. En effet, selon ce dernier, son domicile a fait l’objet d’une attaque meurtrière par des hommes de l’armée tchadienne, plus précisément par une unité de la garde présidentielle dirigée par le fils du chef de l’Etat. L’opposant fait état de plusieurs morts parmi ses proches dont sa mère et son fils. Yaya Dillo est formel et explicite sur les objectifs poursuivis par les auteurs de cette attaque meurtrière. Il l’a dit en ces termes : «  Le régime est habitué à organiser des élections qui ne sont pas transparentes, mais cette année, nous avons décidé de le contraindre à ce que les élections deviennent transparentes. Et c’est la raison pour laquelle aujourd’hui, ils m’attaquent. Ils savent que j’ai les moyens de les empêcher de frauder ».  Il est important de rappeler que Yaya Dillo est candidat à la présidentielle du 11  avril prochain. Il a été investi par le Parti socialiste sans frontière. Dans une vie antérieure, l’homme a été chef rebelle avant de rallier le camp présidentiel où il a servi en qualité de ministre.

Tous les moyens sont bons pour neutraliser tous ceux qui aspirent à arrimer le Tchad à la démocratie

Pendant sa lune de miel avec Idriss Deby, il a représenté le Tchad en tant que haut fonctionnaire à la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). En dépit de ce statut de privilégié du régime, il avait osé mettre le pied dans le plat en dénonçant la gestion calamiteuse de la chose publique par Deby et les siens. Il avait notamment pointé la gestion de la Première Dame. Cet acte téméraire lui a valu d’être révoqué par le dictateur. Un autre élément du CV de Yaya Dillo qui vaut la peine d’être mis en lumière, est ceci : Yaya Dillo vient de la même région que Idriss Deby. Il a donc des atouts pour barrer la route à Idriss Deby dans un scrutin véritablement transparent. Cette perspective est susceptible de faire trembler le maréchal du Tchad ; lui qui semble avoir gravé dans le  marbre, l’idée selon laquelle il n’y a personne pour diriger le Tchad en dehors de sa personne. Sa longévité au trône s’explique, entre autres, par cette croyance digne du roi Louis XIV de France. Tous les moyens sont donc bons pour neutraliser tous ceux qui aspirent sérieusement à arrimer le Tchad à la démocratie en opérant la première alternance de l’histoire du pays. L’idée d’un tel scénario peut conduire le maréchal à perdre le Nord.

En tout cas, l’on peut légitimement croire à cette hypothèse après la descente musclée et meurtrière de la garde présidentielle tchadienne au domicile de Yaya Dolli. Et comme l’on pouvait s’y attendre, le gouvernement s’est fendu, via le ministre de la Communication, d’une déclaration dans laquelle il justifie l’intervention de la garde prétorienne. Pour lui, Yaya Dolli était en train de «  constituer une rébellion au cœur de la capitale ». Ce n’est donc pas le domicile de  l’opposant politique qui a été attaqué mais le domicile d’une personnalité qui est en train de monter une rébellion. Mieux, le gouvernement ajoute que l’armée a riposté à des tirs provenant du domicile de l’opposant.

Il est utopique de penser que l’on peut réaliser l’alternance démocratique dans une dictature par les urnes

C’est connu, ce disque s’est rayé à force d’être utilisé par les dictateurs à chaque fois qu’ils veulent se débarrasser d’un concurrent sérieux.  L’Ougandais Yoweri Museveni et le Congolais Denis Sassou Nguesso n’ont que ce disque dans leur discothèque. De ce point de vue, il est utopique de penser que l’on peut réaliser l’alternance démocratique dans une dictature par les urnes. Car, les scrutins qui s’y déroulent, se suivent et se ressemblent par le fait qu’ils sont tous marqués par des fraudes. Et toute personne qui a la témérité de s’attaquer à cela, est perçue comme un élément qui complote contre la sûrété de l’Etat. Aujourd’hui, c’est le qualificatif terroriste qui est le plus usité. Et le tour est joué. Dès lors, aucun doigt n’ose se lever pour appeler le dictateur à la modération. Même de la part des grandes démocraties, c’est généralement le silence radio dès lors qu’un dictateur invoque la lutte contre le terrorisme pour justifier la répression sauvage à l’endroit de ses opposants.

En tout cas, il ne faut pas s’attendre à ce que la France essaie de faire entendre raison au « guerrier du désert » ; lui qui vient de renouveler sa promesse à Jupiter, entendez par-là Macron, de casser du terroriste dans le « triangle de la mort » au  Sahel. Cet engagement lui vaut une immunité de la part de l’Hexagone en particulier et de la communauté internationale en général. Le peuple tchadien est donc prévenu. La démocratie au Tchad est et sera le cadet des soucis de la France tant que la feuille  de route assignée à Idriss Deby,  ne sera pas exécutée jusqu’au bout. Dans ces conditions, seuls les armes et la nature peuvent imposer l’alternance démocratique au Tchad. Au moment où nous tracions ces lignes, le domicile de l’opposant était toujours encerclé par la garde prétorienne du dictateur. Et l’on sait que cette dernière ne fait montre d’aucune retenue lorsqu’il s’agit de sécuriser le trône du Maréchal. D’ailleurs, c’est pour s’assurer la loyauté éternelle de cette garde prétorienne que le dictateur a confié son commandement à son fils. Et ce dernier a du mal à faire le distinguo entre un terroriste et un opposant politique. Mahamat Saleh, un autre opposant, on s’en souvient, a disparu depuis 2008 alors qu’il était en captivité dans les geôles de cette garde prétorienne. Jusqu’à ce jour, cette affaire garde tous ses mystères. Et la France, si prompte à adopter la posture de défenseur des droits de l’Homme lorsqu’il s’agit d’un pays comme le Liban, se mure dans un silence de tombe, lorsque le Maréchal écrase ses opposants avec ses godasses. De ce point de vue, il est fort probable que l’opposant ne sorte pas de son domicile, vivant. On touche du bois.

 

« Le Pays »