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Le président Yoweri Museveni a été réélu dès le premier tour, le samedi 17 janvier dernier, pour un 6e mandat avec 58,64 des voix. Pour un non-événement, c’en est véritablement un. Car, un dictateur n’organise pas des élections pour les perdre. Son principal rival, Bobi Wine, a obtenu 34,83% des voix, soit 3 775 000 votes. Bien des Ougandaises et des Ougandais ont donc accordé leurs suffrages à Bobi Wine. Et ce résultat serait probablement meilleur si l’Ouganda n’était pas perçu par Yoweri Museveni comme sa « bananeraie ». L’on se rappelle que lors d’une de ses sorties, ce dernier ne s’était pas gêné d’assimiler l’Ouganda à sa bananeraie. Et pour l’avoir cultivée, il n’était pas imaginable à ses yeux, qu’une autre personne en récoltât les fruits. Cette métaphore, peut-on dire, est sincère. Car, elle résume, à elle seule, le type de rapport au pouvoir des dictateurs africains. Pour ces derniers, en effet, leur pays est leur propriété privée. Et il a plu à Dieu de leur accorder cette grâce à eux et à eux seuls. La longévité au pouvoir plonge ses racines, entre autres, dans ce paradigme. Paul Biya, Teodoro Obiang NGuéma, Sassou NGuesso ; Yoweri Museveni, etc., ont tété aux mamelles de cette idéologie.

L’alternance par la nature seulement, pourrait faire souffler la démocratie en Ouganda

C’est pourquoi ils ne s’imaginent pas une autre vie en dehors du pouvoir. Et leurs courtisans, leurs intellectuels de service et autres Raspoutine s’évertuent, chaque jour que Dieu fait, à les conforter dans cette posture.

Le 6e mandat que Yoweri Museveni vient de s’octroyer s’inscrit donc dans la logique des choses. De ce point de vue, l’on peut dire qu’il conserve sa « bananeraie ». Et il en sera ainsi jusqu’à ce que Dame nature en décide autrement. L’alternance donc par la nature seulement, pourrait faire souffler la démocratie en Ouganda et dans les autres satrapies d’Afrique, marquées par une conception patrimoniale et messianique du pouvoir. Et même dans ce scénario, il convient de nuancer les choses. Car, à N’Djamena comme à Brazzaville ou encore à Kampala, on peut avoir l’impression que les princes régnants préparent leurs rejetons pour assurer leur succession au cas où…

Lorsque l’on dresse la liste des pays marqués par la longévité au pouvoir de leurs dirigeants respectifs, l’Afrique devance de loin les autres continents. Et le retard du continent noir par rapport aux autres, en est l’une des conséquences.

Et l’on a envie de faire observer à tous ceux qui jouent le rôle d’avocat du diable en invoquant la stabilité et la performance économique pour justifier la longévité au pouvoir, ceci : tous les pays d’Afrique qui ont connu ces cas ont vécu pratiquement le chaos ou des moments douloureux après la chute ou la disparition des présidents qui ont régné pendant des années sur leur pays. En Afrique de l’Ouest francophone, on peut citer Houphouët Boigny, Gnassimbé Eyadéma, etc. En Afrique centrale, il y a eu Mobutu au Zaïre. Et très souvent, la stabilité et les performances économiques que l’on met à leur actif, s’écroulent comme des châteaux de carte immédiatement après eux. En tout cas, l’histoire est là pour déconstruire l’idée selon laquelle la longévité au pouvoir a des vertus politiques.

Les Ougandais pourraient être tentés un jour de le déloger de la présidence

Yoweri Museveni peut donc se le tenir pour dit : il est en train de préparer le chaos pour l’Ouganda à force de s’accrocher au pouvoir. En accédant au pouvoir en 1986 après s’être débarrassé par les armes, de Milton Oboté, il s’était plaint des dirigeants qui ne « savaient pas partir ». Près de 35 ans plus tard, c’est lui qui est en train de s’illustrer comme un président qui ne sait pas partir. A 76 ans, il devrait au moins avoir la décence de s’effacer au profit des autres Ougandais qui ont l’âge de ses enfants et de ses petits-enfants. Son principal rival, Bobi Wine, avait seulement 3 ans en 1986, année de son avènement au pouvoir. Aujourd’hui, il en a 38. Les ¾ de la population du pays sont jeunes comme lui et n’ont pas connu un autre président en dehors de Yoweri Museveni. Ces chiffres sont évocateurs et devraient parler à sa conscience de manière à ce qu’il quitte les affaires avant que les affaires ne le quittent. Car, à force d’organiser des élections  pour les gagner systématiquement par tous les moyens, les Ougandaises et les Ougandais pourraient être tentés un jour de le déloger de la présidence par des moyens utilisés par d’autres peuples, pour se débarrasser de leur dictateur. Et si ce scénario venait à se produire, il serait difficile de leur jeter la pierre. C’est pourquoi Bobi Wine ne doit pas désespérer de voir le Tout-puissant Yoweri Museveni débarrasser le plancher de gré ou de force. Le dieu du Zaïre, Mobutu, est tombé de son piédestal par une rébellion animée par Kabila père. Et le dieu zaïrois repose aujourd’hui dans un cimetière anonyme au Maroc. Une telle anecdote devrait faire réfléchir les pouvoiristes comme Yoweri Museveni et autres. Mais que voulez-vous ? Ces derniers sont ainsi faits qu’ils sont convaincus que cela n’arrive qu’aux autres.

 

« Le Pays »