Affaire des caricatures du prophète de l’islam : Regards croisés d’un sociologue et d’un écrivain

Affaire des caricatures du prophète de l’islam : Regards croisés d’un sociologue et d’un écrivain

Dr Brema Ely Dicko : Sociologue (Crédit photo : AMAP)

Par Dieudonné DIAMA

Bamako, 02 Nov (AMAP) Depuis quelques jours, des manifestations ont lieu dans les pays musulmans où les produits français sont également boycottés pour protester contre des propos qu’aurait tenus le président français Emmanuel Macron, après la décapitation d’un enseignant. Avec le tollé que cette affaire a suscité dans le monde musulman, le président Emmanuel Macron a, dans un tweet, indiqué que « la laïcité n’a jamais tué personne ». Ensuite dans un autre tweet, il s’est justifié. « Contrairement à ce que j’ai beaucoup entendu et vu sur les réseaux sociaux ces derniers jours, notre pays n’a de problème avec aucune religion. Elles s’y exercent toutes librement. Pas de stigmatisation: la France est attachée à la paix et au vivre-ensemble ». Toujours pour faire baisser la colère des musulmans, le président français a donné une interview à la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera. Mais dans les pays musulmans, la grogne se poursuit. Avant de faire sa déclaration après la mort du professeur, Emmanuel Macron aurait dû s’inspirer des propos rassembleurs d’un de ses prédécesseurs en l’occurrence Jacques Chirac.

L’ancien président Jacques Chirac était très attaché au respect de l’autre. «  Tout ce qui peut blesser les convictions d’autrui, en particulier les convictions religieuses doit être évité. La liberté d’expression doit s’exercer dans un esprit de responsabilité. Si la liberté d’expression est un des fondements de la République, celle-ci repose également sur les valeurs de tolérance et de respect de toutes les croyances », disait Jacques Chirac.

La question des caricatures du Prophète Muhammad (PSL) continue de défrayer la chronique. Nous avons jugé bon de recueillir l’analyse du sociologue Dr Brema Ely Dicko et de l’écrivain-théologien Pr Yacoub Doucouré.

Dr Brema Ely Dicko : Sociologue

« La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres »

Déjà, ce qu’il faut relever, c’est que depuis les attentats du 11 septembre 2001, il y a dans les medias et chez certains politiques, une association de l’islam et des musulmans au terrorisme. Donc, la stigmatisation et le raccourci selon lequel l’islam serait une religion liée au terrorisme a commencé depuis ces attentats du 11 septembre. On a vu que suite à ces attentats, les personnes identifiées comme responsables, à savoir Ben Laden et autres, étaient de confession musulmane. Ensuite, on a vu les interventions des Etats-Unis en Irak, en Afghanistan, etc. Depuis, ce débat a commencé.

Pour le cas spécifique de la France, il y a quelques éléments à prendre en compte. Le premier est un contexte global où la France s’est engagée dans la lutte contre le terrorisme, notamment au Sahel et a même été victime d’une série d’attaques. On se rappelle de l’attaque contre Charlie Hebdo, de l’alimentation juive kacher, de ce qui s’est passé à Nice tout récemment. Toutes ces attaques sont le fait de personnes de confession musulmane. Donc, cela renforce le préjugé qui date de 2001.

Aussi, il y a un contexte national français lié aux prochaines élections présidentielles. Il y a la montée de l’extrême droite de Marine Lepen qui récupère ces genres de moments difficiles pour indexer à la fois l’islam et les immigrés de façon générale. Derrière, Emmanuel Macron se sent obligé en tant que président qui veut briguer un second mandat, de tenir certains discours pour montrer au moins, que sur la question de l’extrémisme violent et celle du radicalisme, il a des choses à faire. Il a tenu ce discours pour contenter d’abord l’opinion française.

Le troisième élément à prendre en compte, c’est que la France étant engagée au Sahel, le Mali est une sorte d’épicentre du terrorisme depuis 2012. Et il y a une quarantaine de soldats français qui ont perdu la vie de 2013 à maintenant. Et récemment, des présumés djihadistes ont été libérés en contrepartie de quatre otages dont une Française qui a dit qu’elle s’appelait désormais Mariam et qu’elle a été islamisée. Contrairement à ce à quoi on s’attendait, elle n’a pas eu un discours violent à l’égard de ses ravisseurs. Et donc, Macron n’a pas pu avoir le gain politique qu’il aurait dû avoir. Par exemple, si elle avait dénigré le groupe terroriste, la France aurait pu dire qu’elle a participé à la libération. Mais vu qu’elle a tenu un autre discours, la France était obligée de soutenir que c’était une opération malienne. On a vu que lorsqu’elle a fait cette déclaration, elle a été mal accueillie par une partie de l’opinion française. Marine Lepen a récupéré ce discours pour dire que maintenant, on libère 204 présumés djihadistes alors des soldats français sont morts au Sahel dans la lutte contre ceux-ci. Je crois que Macron a voulu montrer qu’il était toujours aux commandes et qu’il maitrisait encore le jeu. Donc, c’est ce discours qui a été mal reçu dans la plupart des pays musulmans et il y a même des boycotts des produits français.

Mon impression est que c’est le contexte franco-français caractérisé par la montée de l’extrême droite qui a peut-être poussé le président Macron à tenir ce discours perçu comme maladroit par les musulmans de façon générale. Mais comme le disent les Français eux-mêmes, la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Pour les musulmans, la caricature est un acte de trop. Le président Macron a voulu maitriser une situation interne française. On voit quand même qu’en l’espace d’un mois, un Français a été décapité à cause des caricatures. Pour eux, les caricatures participent de la liberté d’expression. Donc, il a voulu réaffirmer la liberté d’expression qui caractérise la France. Il a été tiraillé par cette volonté de rappeler la nécessité d’accorder la liberté d’expression à qui le veut et puis par comment contrôler la sensibilité des musulmans qu’ils soient français ou d’ailleurs.

Après la décapitation du professeur d’histoire-géographie, on a vu l’attentat de Nice qui est la conséquence du discours de Macron et du traitement qu’on en fait. Donc, il est obligé de faire attention parce que si les manifestations se poursuivent ainsi, cela n’est pas bon pour la France. Déjà avec la Covid-19, l’économie est plombée, si le boycott des produits français vient s’ajouter, c’est quand même des pays importants. Ce sont plus d’un milliard de musulmans. Si ceux-ci boycottent les produits français, cela n’est pas bon pour l’économie et renforcera la récession en France.

Lorsqu’on fait la caricature d’un prophète, surtout pour les musulmans, c’est une sorte de blasphème. C’est un péché capital pour eux. Caricaturer est une bonne chose en soi mais lorsque les autres pensent que caricaturer leur prophète n’est pas une bonne chose, il faut tout caricaturer sauf celui-ci. La France est un pays où le modèle républicain est assimilationniste. Quand un étranger arrive, il doit laisser de côté sa façon de voir les choses et respecter les principes de laïcité de la République française et se comporter comme le veut la culture française. Ce n’est pas comme en Angleterre, au Canada ou en Australie où on respecte cette différence dans les pratiques. Ce modèle d’intégration ne convient pas à beaucoup. Du coup, cela crée des frustrations de part et d’autre à la fois chez les Français qui voient que certains maintiennent leur différence, notamment les immigrés et les musulmans alors que la France voudrait qu’ils se fondent dans la société et qu’ils pratiquent la même culture que les autres. Je pense qu’ils ont des efforts à faire dans le domaine de la valorisation de la diversité culturelle et de la pratique religieuse. La première conséquence de tels propos est d’abord le boycott des produits français, la montée du sentiment anti-Macron et anti-français. Entre les Français eux-mêmes, les musulmans vont être stigmatisés. Mais le tout dépend de comment Macron va s’assumer et clarifier ses propos par rapport à tout ce qu’il a dit. Il doit le faire pour son propre avenir et pour les relations entre la France et le monde musulman.

Pr Yacoub Doucouré, écrivain

Affaire des caricatures du prophète de l’islam : Regards croisés d’un sociologue et d’un écrivain

Pr Yacoub Doucouré, écrivain

« Quand on touche au prophète, on touche à tous les musulmans »

L’islam est une religion qui respecte l’autre. Quand on se réfère à l’histoire, si les autres religions avaient respecté l’islam comme il l’a fait, il n’y aurait jamais eu de mésentente entre les religions. Depuis l’époque du Prophète Muhammad (PSL), ce dernier a reçu les juifs et les chrétiens et a même pris des mesures afin que leurs droits soient respectés.

Un pays s’appuie sur des lois. Si celles-ci ne tiennent pas compte de tous les aspects, il y aura toujours des problèmes. Il n’est pas normal qu’au nom de la liberté, on permette aux gens de caricaturer le Prophète des musulmans, le prophète des chrétiens ou même des juifs. L’erreur vient de là. Et le pays n’y a aucun intérêt. Cela fait qu’avec les pays arabes et musulmans avec lesquels il collabore, il y aura toujours des problèmes. Ce n’est normal qu’on caricature le président d’un pays en le traitant de criminel ou d’avoir commis l’adultère, à plus forte raison le Prophète. Il faut revoir la loi sur la liberté d’expression sinon les problèmes ne finiront pas et cela risque de dégénérer un jour. Les pays musulmans ont suffisamment encaissé avec cette histoire de caricature. Quand on touche au Prophète Muhammad, on a touché tous les musulmans du monde. Nous condamnons le fait qu’un musulman aille tuer quelqu’un dans son pays. Mais nous condamnons aussi les caricatures de notre prophète. Au Mali comme ailleurs, tous les musulmans doivent démontrer que ce qui s’est passé n’est pas normal et leur colère pour que cela n’arrive plus jamais.

DD/MD (AMAP)



Avec AMAP

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