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Aller au delà de cette mesure cosmétique

La Justice  ivoirienne a libéré sans condition, une partie des proches de Guillaume Soro. Cela s’est passé dans la nuit du mercredi 23 au jeudi 24 septembre 2020.  En rappel, ces derniers avaient été poursuivis pour tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat et incarcérés fin décembre. Il faut aussi rappeler que ceux qui viennent d’être libérés sont au nombre de 9, sur un total de 19. Dix pro-Soro sont donc encore derrière les barreaux dont Alain Lobognon et Soul to Soul. On peut faire le constat que ces libérations interviennent dans un contexte politique tendu, marqué au plan endogène par l’appel de l’opposition à la désobéissance civile pour contrer la  candidature d’Alassane Ouattara à la présidentielle du 31 octobre. Et parmi les exigences formulées par Henri Konan Bédié et ses camarades à l’attention du pouvoir, figure, entre autres, la libération des prisonniers politiques. Les 9 pro-Soro qui viennent d’être remis en liberté, ont-ils ce statut ? En tout cas, la question mérite d’être posée. Et selon que l’on prêche pour la chapelle de l’Opposition ou pour celle du pouvoir, la réponse sera affirmative ou négative. Au plan diplomatique, l’on note que ces libérations se passent alors que le représentant spécial du Secrétaire général et chef du bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Mohamed Ibn Chambas, est en mission en Eburnie.   Le moins que l’on puisse dire, c’est que le diplomate est porteur d’un message de décrispation. Extrait : «  Ma mission s’inscrit dans le cadre de l’accompagnement des Nations unies pour l’organisation d’une élection présidentielle pacifique, inclusive, transparente et crédible ». A tous les acteurs politiques auxquels il a rendu visite, il a prêché l’apaisement. De ce point de vue, on peut légitimement se poser la question de savoir si la libération d’une partie des pro-Soro, n’est pas la conséquence immédiate et à chaud de la mission d’apaisement du diplomate onusien.

 

Il ne sert à  rien d’organiser une présidentielle sans un minimum de consensus

 

En tout cas, ceci a pu entraîner cela. On est d’autant plus fondé à croire à cette hypothèse que la communauté internationale, à propos de la tension politique liée à la présidentielle ivoirienne, a toujours prôné l’apaisement et l’inclusion. L’Union européenne (UE), on se rappelle, avait embouché cette trompette. L’UA (Union africaine)  à travers la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), avait explicitement demandé au pouvoir d’Abidjan, de libérer les pro-Soro et de permettre   à leur mentor de candidater à la présidentielle du 31 octobre prochain. Bref, Alassane Ouattara a été  au centre de fortes pressions de la part de la communauté internationale pour faire baisser la tension politique qui a cours dans son pays. Il ne pouvait  donc pas prendre le risque de se la mettre à dos en bandant les muscles face à son opposition. La libération des pro-Soro peut être décryptée dans ce sens. Et l’on peut déjà saluer le souci d’ADO d’aller à la décrispation. Mais à l’analyse, on peut se rendre compte qu’il en faut plus, pour autant que le champion du RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix), c’est-à-dire Alassane Ouattara, veuille décrisper de manière  significative la situation sociopolitique de son pays. Pour l’instant, on est loin du compte. En effet, on peut faire le constat que les pro-Soro qui viennent d’être libérés, sont en réalité du menu fretin. Les plus emblématiques comme Alain Lobognon, Soul to Soul, ou Tehfour Koné ainsi que les deux frères du célèbre exilé de Paris, sont toujours embastillés. Il ne faut pas se leurrer. La grosse fièvre politique ivoirienne ne peut pas  être traitée avec cette mesure, car elle est cosmétique. Il faut aller au- delà. La balle est beaucoup plus dans le camp de l’actuel locataire du palais de Cocody que dans celui de l’opposition. Pour cela, il faut, pour  sauver la Côte d’Ivoire mais aussi pour mieux négocier sa place dans l’histoire de ce pays, qu’Alassane Ouattara fasse montre d’un courage politique exceptionnel en accédant aux revendications de l’opposition. Il peut, par  exemple, travailler à un scrutin inclusif comme le souhaitent et l’opposition et la communauté internationale. Il peut également œuvrer dans le sens de la mise en place d’une CEI (Commission électorale indépendante) ainsi que d’un  Conseil constitutionnel plus équilibrés et plus consensuels. En tout cas, Alassane Ouattara serait mal inspiré de  faire du fétichisme autour de la date du 31 octobre au point de ne pas faire de  concessions majeures à l’opposition. Car, il ne sert à  rien d’organiser une présidentielle sans un minimum de consensus entre les acteurs politiques. A moins de faire l’autruche et d’aboutir ainsi à brûler en toute conscience la Côte d’Ivoire.

 

Pousdem PICKOU