En libraire: comment la France a aidé les génocidaires rwandais

En libraire: comment la France a aidé les génocidaires rwandais

Par Marie-France Cros.

C’est un livre minutieux, soutenu par d’abondantes références, que nous livrent Raphaël Doridant et François Graner, membres de l’association française Survie, qui lutte contre les dérives de la politique française en Afrique et fut une des rares voix, en France, à dénoncer le rôle de Paris au côté des génocidaires rwandais dès les débuts de la tragédie.

L’ouvrage explique les choix politiques et leur application criminelle; souligne le rôle précis des principaux acteurs et leur refus de prendre en compte les avertissements, même ceux de la DGSE (service de renseignement civil) – qui dès 1991 préconisait le désengagement militaire de la France – et de certains politiques désireux d’éviter à leur pays de patauger dans le sang.

Epinglés

Sont ainsi épinglés, entre autres, l’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées, qui assure le 13 avril 1994, une semaine après le début du génocide: « Maintenant ce sont les Tutsis qui massacreront les Hutus dans Kigali »; le colonel Jacques Rosier, qui refuse d’abord le sauvetage des civils tutsis de Bisesero; le capitaine de frégate Marin Giliier, qui assure à la presse, en dépit de l’évidence, que ces civils en train d’être massacrés sont des « hommes du FPR » (Front patriotique rwandais); le général Christian Quesnot, conseiller militaire du président Mitterrand, qui propose à ce dernier « une stratégie indirecte », l’utilisation de mercenaires; Hubert Vedrine, secrétaire général de l’Elysée, qui justifiera la poursuite des livraisons d’armes à Kigali après le début du génocide et insistera pour le réarmement des militaires hutus qui se sont sauvés au Zaïre. Ce pays paie jusqu’aujourd’hui les pots cassés de cette politique.

La démonstration est sans appel: le pays qui se veut “la patrie des droits de l’Homme” a aidé les génocidaires rwandais avant, pendant et après le génocide.

Vingt-cinq ans plus tard, des officiers et politiciens français continuent à répéter le discours politique de Juvénal Habyarimana et du gouvernement génocidaire, formé dans les locaux de l’ambassade de France à Kigali.

Pas un dérapage, mais une affaire d’Etat

“De bout en bout, la machine d’Etat a fonctionné correctement”, soulignent les auteurs. “Il s’agit bien d’une volonté politique, maintenue et assumée par Mitterrand, ses proches conseillers, l’état-major et leurs soutiens; politique jamais infléchie par les alertes reçues, puis par le génocide en cours, pas plus qu’elle ne fut remise en question après la défaite militaire des auteurs de l’extermination des Tutsis rwandais”.

Une aberration rendue possible, selon les auteurs, par ”la spécificité de la France au sein des Etats occidentaux, son président peut à lui seul engager son pays dans une guerre” et, depuis De Gaulle, par le fait que le chef de l’Etat s’est “arrogé un “secteur réservé” sous sa seule autorité: la défense nationale et les affaires étrangères”. A au moins sept reprises, écrivent les auteurs, Mitterrand décidera  l’envoi ou le maintien de troupes au Rwanda « alors que presqu’à chaque fois il a reçu une suggestiion en sens inverse ».

L’ouvrage n’apporte pas de grande nouveauté mais même le lecteur qui s’intéresse depuis longtemps au génocide y découvrira des détails ignorés ou peu connus. Le travail de fourmi qui l’a permis se traduit néanmoins par un livre clair, qui devrait tenir une place de choix dans la connaissance du dernier génocide du XXe siècle et de ce qui l’a rendu possible.

Le volume est accompagné d’une table des matières détaillée, d’une chronologie, d’une bibliographie, d’un index, de cartes et d’un tableau de la chaîne de commandement française impliquée.

“L’Etat français et le génocide des Tutsis au Rwanda”, par Raphaël Doridant et François Granier. Ed. Agone-Survie/Dossiers noirs, 503 pp., 19 €.

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Avec La Libre Afrique

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