Coronavirus : « Le taux de contamination est certainement sous-évalué en Afrique »

Coronavirus : « Le taux de contamination est certainement sous-évalué en Afrique »

Entretien avec le docteur Olivier Manigart, virologiste et épidémiologiste belge, installé depuis quelques années au Burkina Faso et responsable local d’un projet de renforcement de la surveillance épidémiologique et des systèmes de santé pour les pays de la CEDEAO.

Comment expliquez-vous que le Burkina Faso soit un des pays africains les plus touchés par le COVID19 ?

En effet, à l’heure actuelle, le Burkina Faso est le pays d’Afrique de l’Ouest (zone des quinze pays de la CEDEAO – Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), le plus touché par ce virus avec 222 cas confirmés, 12 décès et 23 guérisons ce 30 mars 2020. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : d’abord, les premiers cas qui nous ont été importés étaient des hommes et femmes publiques, qui ont multiplié les rencontres, les réunions et qui, de par ce fait, ont malheureusement contaminé de nombreuses personnes.

Ensuite, ces personnes ne se sont pas immédiatement auto-confinées, alors qu’elles venaient de zones à risque.

En plus, comme pour la plupart des pays du monde, la réaction sanitaire a mis quelque temps à se mettre en place et, bien qu’elle ait été rapide et efficace, le virus a pu se transmettre dans plusieurs groupes de population (clusters) séparés.

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Pensez-vous que dans d’autres pays d’Afrique, le taux de contamination soit sous-évalué faute de structures médicales ?

La réponse est « oui » mais, ce n’est pas uniquement dû aux structures « médicales » per se. Dans le contexte de ce virus SARS-COV-2, la transmission peut se faire durant les derniers jours de l’incubation virale, avant que les symptômes n’apparaissent ou du moins, qu’ils soient importants. Il s’agit d’une stratégie virale qui a certainement permis au virus de se propager de façon si impressionnante. Dès lors, le travail préliminaire appartient surtout aux épidémiologistes sur le terrain pour faire ce qu’on appelle le « traçage des contacts » en identifiant toutes les personnes qui ont pu côtoyer les cas confirmés. Ce travail est fastidieux et d’autant plus compliqué dans notre contexte africain où les institutions publiques et le recensement des individus ne sont pas aussi structurés qu’en Occident. Vous savez certainement qu’au Burkina Faso, les régions du Nord et de l’Est sont en instabilité sécuritaire permanente depuis plusieurs années. Il est à craindre que ces zones puissent souffrir gravement d’une épidémie quelle qu’elle soit, et certainement de COVID19 étant donné le manque d’infrastructures de prises en charge et de soins en ces lieux. Une transmission dans les camps de réfugiés aggraverait de façon dramatique la situation déjà extrêmement précaire et il est nécessaire d’être très vigilant dans ces zones à haut risque, comme pour plusieurs pays en Afrique de l’Ouest. Un autre risque de sous-évaluer les cas concerne le manque de tests de diagnostic ou de l’un des réactifs qui les constituent. Vu la demande internationale, le monde entier se bat pour obtenir tout ce qui est nécessaire pour lutter contre la pandémie et l’Afrique n’est pas toujours en position idéale pour pouvoir négocier les prix par rapport à d’autres régions du monde.

Les moyens médicaux au Burkina Faso permettent-ils encore aujourd’hui de faire face à l’avancée de l’épidémie ?

Pour l’instant, la prise en charge des malades se déroule relativement bien dans les hôpitaux qui ont été identifiés pour jouer ce rôle à Ouagadougou (2) et à Bobo-Dioulasso (1) et le système n’est pas débordé, bien que certains outils, comme les respirateurs manquent cruellement.

A l’heure actuelle, nous avons enregistré 12 décès pour environ 20 fois plus de cas confirmés identifiés, ce qui correspondrait à une létalité de 5%. Etant donné qu’au niveau mondial, la létalité est généralement plus faible et que l’on identifie les cas graves plus facilement que les cas non symptomatiques ou avec peu de symptômes, il est possible que plusieurs foyers de l’infection n’aient pas été identifiés. Si c’est le cas et que le virus se transmet de façon insidieuse dans la population, il est probable que les infrastructures hospitalières se trouvent rapidement débordées lorsque les plus faibles seront touchés.

Comment faire pour lutter contre la propagation. On sait qu’un confinement des personnes chez elles est pratiquement impossible sur une bonne partie du continent africain ?

C’est tout à fait exact. Il semble illusoire de mettre en place des mesures de confinement total dans un contexte ou la plupart des gens travaillent au jour le jour pour gagner leur repas du soir, sous peine d’avoir rapidement des émeutes. Les pays de la CEDEAO ont opté pour des mesures diverses allant du couvre-feu à la fermeture des marchés en passant par la fermeture de tous les commerces qui ne sont pas indispensables. Cela permet malgré tout de maintenir une activité économique comme, par exemple, pour les restaurants qui peuvent continuer à servir des repas à emporter, comme en Belgique. Ces mesures sont respectées de façon variable selon les quartiers et les groupes de population. Il est probable que les plus indisciplinés, mais, également les plus démunis subiront les premiers les conséquences de l’épidémie dans leur groupe communautaire.

Si vous pouviez lancer un appel aujourd’hui, quelle serait votre priorité ?

Je pense que les besoins essentiels en ce moment concernent les moyens nécessaires à la prise en charge clinique des patients dont le nombre va inexorablement grandir. Nos infrastructures hospitalières en Afrique sont bien souvent en piteux état et les gens qui ont les moyens cherchent en général à se soigner ailleurs. Mais, avec la fermeture des frontières, tout le monde va être obligé de se soigner sur place et j’espère qu’un bénéfice de cette fâcheuse expérience sera de réaliser qu’il est indispensable d’améliorer le système hospitalier dans son ensemble.

Le patron de l’OMS a dit que l’Afrique devait se préparer au pire face à ce COVID19, vous partagez cette mise en garde ?

Je la partage. Non seulement pour ce qui concerne l’épidémie elle-même qui va sans doute engendrer de nombreux morts, mais surtout à mon sens, à cause de l’impact économique qui va s’ensuivre. L’Afrique depuis quelques années profitait d’un essor économique sans précédent dans son histoire et certains pays commençaient justement à démontrer des progrès qui les ont faits sortir du marasme dans lequel ils étaient embourbés depuis des décennies pour bien des raisons qu’on ne peut pas discuter ici. La croissance moyenne du continent était une des plus enviée du monde et les investisseurs se bousculaient au portillon depuis peu. L’indice de développement humain s’était considérablement amélioré, notamment par la baisse de la mortalité infantile et le développement de l’éducation à tous les niveaux, de même que l’atteinte d’autres objectifs de développement du millénaire. Tout ceci pourrait être balayé si cette crise s’éternise et si des mesures appropriées ne sont pas prises pour contrer l’impact de cette tragédie. Il serait très regrettable que l’impact économique des mesures sanitaires que nous mettons en place aujourd’hui pour éviter des morts, en créent encore plus par la suite, à cause des conséquences des mesures sanitaires. Il s’agit de réfléchir dès maintenant aux mesures économiques qui seront nécessaires post-COVID19 pour pallier ces effets néfastes.

On parle beaucoup des effets positifs de la Chloroquine face au COVID19, qu’en pensez-vous ? Des tests sont-ils menés au Burkina Faso ?

En effet, des essais cliniques ont été programmés au Burkina Faso dont un pour tester l’hydroxychloroquine avec l’azithromycine, et qui sera mené par le Dr Halidou Tinto qui a fait plusieurs formations en Belgique et qui est un expert dans ce type d’essais. Je pense qu’il est préférable d’attendre les résultats de ces essais qui font beaucoup de tapage médiatique avant d’avoir démontré scientifiquement l’efficacité de ces médicaments. La chloroquine est une molécule qui agit de façon non spécifique sur des protéines de surface de nombreux pathogènes afin de les empêcher de pénétrer dans les cellules. Donc, il est possible qu’elle soit efficace contre COVID19 et surtout en association avec l’azithromycine qui empêche les surinfections bactériennes. Mais, il est indispensable de vérifier cela en suivant les protocoles scientifiques et les régulations des autorités sanitaires qui existent, sous peine de traiter les populations avec des molécules non efficaces, voire dangereuses. Nous attendons avec impatience les premiers résultats de ces essais.

On a vu que le Burkina Faso, ces derniers mois, devait affronter de plus en plus d’attaques djihadistes. Cette menace s’est-elle estompée depuis la propagation du COVID19 ?

Je pense qu’on subit moins d’attaques ces dernières semaines, mais, je ne pense pas que cela puisse être attribué au COVID19, mais, plutôt aux mesures politiques et stratégiques mises en place récemment telles que le dialogue avec les groupes rebelles et le renforcement des forces armées dans la sous-région, mais, ce n’est pas mon domaine d’expertise. Quoi qu’il en soit, nous nous réjouissons tous de la diminution de la violence qui fait souffrir tant de gens ici depuis plusieurs années maintenant.

La plupart des Belges – si pas tous les Belges – du Burkina ont quitté le pays, pourquoi pas vous ?

Je suis le responsable local d’un grand projet sous-régional de renforcement de la surveillance épidémiologique et des systèmes de santé qui vise justement à préparer les pays de la CEDEAO à ce type d’événements. Je ne peux pas me débiner au moment où la difficulté se présente. Nous travaillons avec les équipes de terrain et il est nécessaire que je reste basé ici en ces temps difficiles, en plus du fait que j’ai maintenant la double nationalité belge et burkinabè.

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Avec La Libre Afrique

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