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* « Depuis le décès de notre aîné, Dr Salifou Diallo, la région du Nord a souvent du mal à avoir des repères »

Mme Zalissa Koumaré/Ouillio est la Directrice générale du Centre de contrôle des véhicules automobiles (CCVA). Sur le plan politique, elle est la Secrétaire générale nationale du Nouveau temps pour la démocratie (NTD). Votre rubrique « Mardi Politique » du jour, lui déroule le tapis. Plusieurs sujets sont abordés. Lisez plutôt !

« Le Pays » : Comment se porte la DG du CCVA ?

Mme Zalissa Koumaré/Ouillio : Je me porte très bien dans mon poste et ce d’autant plus que je suis habituée à assumer des responsabilités dans ma vie professionnelle, politique et dans ma vie de tous les jours.

Depuis votre arrivée, ne vous a-t-on pas glissé des peaux de bananes ?

Je ne sais pas ce que vous appelez peaux de bananes mais peut-être que je peux parler de défis, de contraintes professionnelles, de la gestion des hommes. Je ne parlerai pas de peaux de bananes mais de grains à moudre au quotidien de tout manager d’une organisation.

Qu’appelez-vous contraintes professionnelles ?

Dans toute responsabilité, vous avez à gérer des collègues, des collaborateurs et des patrons. Vous avez une lettre de missions à accomplir en vue d’apporter une valeur ajoutée, un système de production de richesses. Et en la matière, il y a forcément des contraintes qui interviennent, soit que vous n’êtes pas compris tout de suite par vos collaborateurs ou collègues, soit que vous avez des difficultés pour réaliser certains objectifs au vu de l’environnement de votre métier. Tout compte fait, l’art de manager, c’est aussi de faire face à des défis, de pouvoir relever de grands challenges, de pouvoir se réjouir à la fin d’avoir pu réaliser vos objectifs et d’avoir rempli votre lettre de missions. C’est ce qui est important.

Regrettez-vous d’avoir accepté d’occuper votre poste actuel ?

Pourquoi ? Je me réjouis pleinement parce qu’au-delà de toute considération, je suis en train d’exprimer une compétence au profit d’une structure qui a une vocation de service public. Comme vous le savez, le CCVA a pour mission essentielle de contribuer à l’assainissement du parc automobile national et de ce fait, il joue un rôle prépondérant dans la mise en œuvre de la politique de sécurité routière dans notre pays. Vu sous cet angle, je me réjouis d’avoir eu le privilège d’assumer cette responsabilité, de pouvoir prouver que c’est possible qu’une femme occupe un tel poste de responsabilités sachant que je suis la seule femme parmi les neuf directeurs généraux qui se sont succédé à la tête du CCVA. Je ne crois pas avoir fait en deçà de ce que mes prédécesseurs ont fait. Bien au contraire, j’ai trouvé des acquis que je travaille à renforcer.

Quelles sont les innovations que vous avez apportées à cette structure ?

Quand j’arrivais au CCVA, il y avait une crise managériale due à quelques incompréhensions entre le personnel et l’équipe managériale si fait que le partenaire stratégique chargé de la gestion du CCVA, a jugé utile de redonner un nouveau souffle à la structure. C’est dans ce contexte que nous avons dû poser un diagnostic qui nous a permis de relever de grands acquis de nos prédécesseurs que je salue au passage mais aussi quelques insuffisances. En réponse, nous avons engagé des négociations avec les partenaires sociaux autour de leurs revendications. Chose qui nous a permis d’aplanir les divergences et de réorganiser les activités et le fonctionnement de la société. Avec l’assistance très éclairée du partenaire stratégique, l’équipe managériale issue du nouvel organigramme et, bien sûr, la mobilisation professionnelle de l’ensemble du personnel, nous avons pu effectivement innover. Parmi les grandes innovations, nous pouvons citer la certification ISO 9001 V2015 du CCVA. Comme vous le savez, dans une structure de prestation de services comme le CCVA, la qualité des prestations est un facteur déterminant de la croissance, de la rentabilité et de la pérennité de la structure. C’est dans cette optique que nous avons jugé pertinent de poursuivre le projet du système de management de la qualité en cours depuis 2014, pour aboutir à cette certification en mai 2019. C’est une certification qui atteste que l’ensemble des processus du CCVA, sont maîtrisés, que les pilotes de processus qui ne sont que les directeurs et les chefs de services et de sections, sont à la hauteur des attentes, que chacun remplit convenablement sa lettre de missions et qu’au bout du compte, nous fournissons des prestations qui répondent aux attentes de nos usagers et clients. Dans notre politique qualité, nous sommes TOP, TAQ et TIP. « TOP » « Tous Orientés Partis intéressés » pour dire que toutes nos actions sont menées dans le sens de donner une satisfaction totale au client. « TAQ » « Tous Agir Qualité » signifie que chaque étape du processus de production de nos prestations, est empreinte de qualité. « TIP » « Tous Innovants et Performants » ; cela veut dire qu’au-delà des procédures, chacun, à son niveau, essaie d’innover pour être dans une performance continue. En plus de la certification ISO, il faut noter que nous avons pu inaugurer un hall de référence. C’est un atelier qui permet de faire la visite technique des véhicules avec des équipements de pointe de dernière génération. Ce hall nous permet aussi, aujourd’hui, de faire les visites techniques sur rendez-vous. Nous avons aussi lancé la construction d’un second hall de référence au niveau de Ouagadougou. Il est situé à Gonsé, sur la route de Fada N’Gourma. Ce hall va nous permettre de prendre en charge tous les gros porteurs, les gros engins, les citernes, les véhicules de transport de marchandises ; toute chose qui permettra de désengorger le siège du CCVA.

A combien peut s’élever le chiffre d’affaires du CCVA ?

Je n’aime pas trop parler des recettes du CCVA parce que ce qui est essentiel, c’est le service public rendu. Il faut plutôt poser la question de savoir « si nous arrivons à remplir convenablement notre mission dans le cadre de la sécurité routière ». Nous savons qu’avec l’insécurité grandissante, il est important que tous les engins en circulation soient identifiés. Le CCVA a une base de données de tous les véhicules qui ont eu à faire la visite technique. A chaque fois qu’un véhicule entre au CCVA, non seulement son état technique est diagnostiqué mais aussi il est enregistré, si fait que nous pouvons fournir les informations d’identification du véhicule en cas de recherche. Malheureusement, les gens voient dans le CCVA, une simple question de visite technique. Certains même pensent que notre travail équivaut à une taxe supplémentaire à payer. Ils ignorent, par exemple, que grâce au CCVA, beaucoup d’accidents sont évités sur la route. Pour revenir à votre question, le CCVA a un chiffre d’affaires de plus de 4 milliards de F CFA par an, qui sert à couvrir ses charges d’exploitation, d’investissement et de rémunération du capital.

« Au niveau national, notre parc est vieillissant : 17 ans d’âge moyen pour les véhicules légers et celui des gros engins est de plus de 20 ans »

En circulation à Ouagadougou, l’on voit par exemple des véhicules utilisés comme taxis et qui sont dans un état effroyable. Ces véhicules passent-ils au CCVA ?

Le CCVA a pu aujourd’hui transposer la directive 16 de l’UEMOA en matière de contrôle technique des véhicules à travers un arrêté interministériel daté de janvier 2019. Au niveau de l’espace UEMOA, la Commission a édicté une directive dans laquelle est listé l’ensemble des organes qui doivent être contrôlés lors d’une visite technique. Pour rester dans le strict respect des dispositions de l’arrêté, le CCVA a dû s’équiper conséquemment et relever le niveau de sévérité des contrôles. Cela s’apprécie notamment à travers les taux d’échec. Avant, sur 100 véhicules qui passaient au CCVA, en moyenne 15 échouaient. Aujourd’hui, pour la même proportion, environ 25 véhicules échouent à la visite technique. Ces derniers sont obligés d’aller faire des réparations nécessaires avant de revenir pour se resoumettre aux exigences de la visite technique. Venons-en au cas des taxis. Quand on raisonne uniquement taxi, on peut se tromper. Il faut dire qu’au niveau national, notre parc est vieillissant : 17 ans d’âge moyen pour les véhicules légers et celui des gros engins est de plus de 20 ans. C’est pourquoi au niveau du ministère des Transports, il y a des textes qui sont en cours d’élaboration, en collaboration avec l’ensemble des acteurs pour arriver à un rajeunissement du parc automobile national. Au regard de cette situation, il est difficile d’appliquer dans toute leur rigueur les critères d’appréciation pour certains types de véhicules. Et surtout que la plupart des taxis ne viennent pas au CCVA.

Pourquoi, selon vous ?

Nous en ignorons les raisons. Nous savons seulement que la plupart ne viennent pas au CCVA. Nous savons aussi qu’avec le syndicat de transport de taxis, nous échangeons et nous organisons des opérations visite technique des taxis. Nous allons sur le principe que les taxis ne circulent qu’en zone urbaine. De ce fait, nous nous assurons du bon état des organes vitaux du véhicule pour délivrer la visite technique. Mais il faut dire qu’au-delà de tout, le comportement des acteurs compte. Ce n’est pas bon à dire mais ce sont des choses que nous vivons. Il nous revient que des gens empruntent des organes pour meubler leur engin juste pour obtenir la visite technique. Quand ils ressortent du CCVA, on ne sait pas ce qu’ils en font.

Qu’est-ce que cela veut dire en français facile ?

Par exemple, vous savez que vos pneus ne sont pas bons. Vous en négociez avec une autre personne et vous venez à la visite technique qui est effectuée à un instant « T ». A la sortie, vous restituez les pneus empruntés au propriétaire. A la faveur de l’arrêté conjoint dont nous parlions tantôt, pour justement s’occuper de ces cas, il est prévu des contrôles inopinés en mission conjointe avec la DGTTM, l’ONASER, le CCVA, en collaboration avec les Forces de l’ordre. J’espère que nous arriverons à appliquer cette disposition cette année.

Qu’en est-il de la visite technique des deux roues ?

La visite technique des engins à deux routes est légale et obligatoire comme les engins à quatre roues. Malheureusement, elle est très timide parce qu’il n’y a aucune action contraignante pour le moment.

Que pensez-vous du phénomène des véhicules d’occasion dans un contexte où le parc automobile national a besoin de rajeunissement ?

Je n’ai pas à dire un mot sur cette question parce que chacun joue son rôle. Je raisonne CCVA. Je pense que le ministère des Transports, notre tutelle technique, est mieux indiqué pour vous répondre.

N’empêche qu’en tant que technicien, vous avez un mot à dire sur la question !

Les véhicules d’occasion relèvent d’une question politique. En Côte d’Ivoire, ce n’est plus possible d’importer un véhicule d’occasion d’un certain âge. Dans beaucoup de pays, l’importation des véhicules d’occasion est règlementée. Je pense qu’à notre niveau, il faut instaurer un dialogue avec tous les acteurs. Je ne doute pas que le ministère des Transports intégrera cela en vue du rajeunissement du parc automobile. Encore une fois, il y a des techniciens avertis pour répondre à votre question.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le CCVA n’est pas épargné par la corruption ?

En matière de corruption, un seul cas découvert est déjà très grave et il faut le traiter. Nous sommes dans une démarche qualité et avons notre principe qu’on appelle PDCA. Nous planifions toutes nos actions. Ensuite, nous les mettons en œuvre. Après la mise en œuvre, nous vérifions l’effectivité. Les écarts décelés sont analysés afin de planifier de nouvelles actions. Etant dans cette démarche, tout cas de fraude est traité avec diligence. Dans la réalité, nous devons savoir que le CCVA traite au moins 400 000 opérations par an ; c’est dire que nous sommes en contact avec au moins 400 000 personnes dans l’année. Plus la proportion de contact est importante, plus il est possible de relever des cas de fraude. Au cours de l’année 2019, nous avons appris, par voie de presse, que le CCVA faisait partie des sociétés les plus corrompues. Soucieux de l’image de notre maison, nous avons écrit officiellement au REN/LAC pour comprendre. Nous nous sommes entretenus avec l’équipe du REN/LAC au cours d’une rencontre au CCVA en janvier 2020, qui a bien voulu nous expliquer leur méthode de sondage. Le rapport publié par REN/LAC, en 2019, est basé sur un sondage effectué sur la période du 1er au 16 novembre 2018. Des explications du REN-LAC, il est dit que sur cinquante-trois personnes qui ont parlé du CCVA, deux ont dit avoir usé de la corruption pour obtenir la prestation. Il s’agit d’une personne à Kaya, qui aurait payé 4 000 F CFA et une autre à Bobo-Dioulasso, qui a dû débourser 10 000 F CFA. De ces échanges très fructueux, nous avons décidé de renforcer le dispositif anti-corruption au CCVA.

Est-ce par défaut d’avoir été nommée ministre que vous avez accepté le poste de DG au CCVA ?

Pas du tout ! Depuis 1997, j’ai toujours occupé des postes de responsabilités dans les grandes sociétés. J’ai été responsable de l’administration et des finances plusieurs fois à l’ONATEL, à TELMOB, dans plusieurs sociétés privées et publiques, vice-présidente de la COMFIB à l’Assemblée nationale. Des télécoms, je suis passée à l’agro-alimentaire, aux infrastructures routières, puis au Parlement, à l’Agriculture avant d’être aujourd’hui aux Transports. Je rends grâce à Dieu pour ce privilège. Pour moi, CCVA, c’est juste une suite logique de ce que j’ai pu vivre jusque-là. Je profite réitérer ma reconnaissance à M. Vincent Dabilgou, ministre des Transports, qui a bien voulu porter ma candidature auprès du partenaire stratégique chargé de la gestion du CCVA. Cela me donne l’opportunité de faire la promotion de la femme, par l’exemple, de prouver qu’une femme peut assumer des responsabilités à un poste qui semble être réservé aux hommes. Vous savez que quand on confie une responsabilité à une femme, on lui attribue pratiquement l’échec jusqu’à ce qu’elle fasse ses preuves et quand on confie une responsabilité à un homme, on lui fait d’office confiance jusqu’à ce qu’il montre ses limites.

Pour certains, être DG du CCVA, c’est brouter dans un pâturage à herbe fraîche. Est-ce le cas pour vous ?

J’ai dit tantôt que j’ai eu l’opportunité d’occuper des postes de responsabilité ailleurs. Quand je quittais l’ONATEL, la société était pratiquement à 100 milliards F CFA de chiffre d’affaires. Mais j’ai démissionné de mon propre gré pour aller vivre d’autres expériences. Par rapport au CCVA qui est aujourd’hui à 4 milliards de F CFA de chiffre d’affaires, vous comprenez aisément que ce n’est pas une question d’herbe fraîche. C’est une question de conviction, d’apporter ma pierre à la construction de l’édifice de la patrie.  « Je trouve qu’aujourd’hui, les fils et filles de la région du Nord n’arrivent pas à convenir d’une ligne de conduite. On y arrivera, mais c’est bien de l’avoir déjà à l’esprit »

Selon vous, qu’est-ce qui est plus important dans la vie : l’argent, le pouvoir ou autre chose ?

Ce qui est plus important dans ma vie, c’est ma famille, ce sont mes proches, c’est ma vie sociale. Et après, c’est ma capacité à être une bonne grâce pour mon prochain, à impacter positivement mon environnement. Je me suis toujours dit qu’un être humain a le devoir de lutter pour le bien-être de sa famille, de ses proches, de sa communauté et partant, pour la nation tout entière. Je n’aimerais pas, au soir de ma vie, regretter certaines choses, me poser beaucoup de questions sur ce que j’aurais dû faire ou pas. Chaque chose en son temps. Quand vous estimez avoir des capacités, il faut s’engager et assumer avec responsabilité et le reste suivra. Vous savez, vous pouvez avoir des milliards de F CFA et ne pas avoir un sommeil apaisé et a contrario vous pouvez être un citoyen lambda à revenus moyens et être très épanoui. Tout dépend de ce que vous faites de votre vie.

Vous êtes originaire du Nord. Il se dit que vous êtes une personnalité très appréciée pour vos actions et votre générosité. Qu’en dites-vous ?

Comme je le disais tantôt, un de mes principes, c’est d’impacter positivement mon environnement. J’ignore si je suis une personnalité appréciée mais je sais que j’ai mené des actions que j’ai estimé d’utilité pour ma région. Si cela est bien apprécié, je m’en réjouis parce que Dieu m’aurait permis d’impacter positivement mon environnement. Je sais que la région du Nord regorge de femmes et d’hommes capables de s’investir utilement pour la région. C’est pour cela que je voudrais profiter lancer un appel à mes sœurs et frères de la région du Nord dans ce sens, pour qu’ensemble, nous regardions dans la même direction ; avec toutes nos compétences, nos capacités intellectuelles, économiques, financières et sociales, pour que nous puissions non seulement assurer le développement de notre région, mais aussi être d’un grand apport pour la construction de notre nation. Aujourd’hui, et je dois le dire, depuis le décès de notre aîné, Dr Salifou Diallo, la région du Nord a souvent du mal à avoir des repères. Nous devons être tous conscients de cela et dans une synergie d’actions, assumer dignement notre part de l’histoire. Par exemple, la route Ouahigouya-Djibo en passant par Titao, on en parle tous les jours. Tantôt il est dit que les études sont achevées ; tantôt les financements sont bouclés ; tantôt les travaux seront lancés… Je trouve que si les fils et filles de la région du Nord avaient un bon lobbying, il est certain que la réalisation de ce projet qui devrait faciliter notre développement, allait voir rapidement le jour.

Vous dites que les fils et filles de la région du Nord manquent de repères. Qu’est-ce à dire ?

C’est la vie. Dans chaque région, il y a des hommes politiques qui s’affirment. Beaucoup de gens s’identifient à telle ou telle personne. Je trouve qu’aujourd’hui, les fils et filles de la région du Nord n’arrivent pas à convenir d’une ligne de conduite. On y arrivera, mais c’est bien de l’avoir déjà à l’esprit.

Voulez-vous dire que depuis le décès de Salifou Diallo, il n’y a plus de leadership ou que la région du Nord a été abandonnée ?

Ce n’est pas ce que je dis. Personne ne se sent abandonné. De toute façon, qu’on le veuille ou pas, ce monde est dicté par le rapport de forces. Plus vous avez des gens qui peuvent faire un plaidoyer, plus vos préoccupations seront mieux portées. Tout compte fait, les ressources sont rares, la répartition est difficile. Un adage de chez nous dit que quand ta mère est là où se fait le partage, tu n’as plus de raison de t’inquiéter. Je pense donc que si les fils et filles de la région se mettent ensemble, ils auront forcément le rapport de forces avec eux.

Etes-vous déçue de la situation de votre région ?

Je ne suis pas déçue. Bien au contraire, être conscient des enjeux et des difficultés qui plombent le développement d’une région, est plutôt un signe d’espoir pour l’avenir.

Votre province, le Loroum, est confrontée comme d’autres zones, au phénomène terroriste. Qu’est-ce que cela provoque comme sentiment en vous ?

Ce qui se passe est triste et désolant. Ma province a quatre communes : Banh, Titao, Sollé et Ouindigui. Toutes sont touchées par le phénomène du terrorisme. Comment voulez-vous que je me sente quand je vois que mes racines sont fragilisées dans ses fondements ? Cela me fait de la peine, en y pensant.

Comment arriver à bout de cette situation ?

La question du terrorisme ne concerne pas seulement le Burkina Faso. Dans la lutte contre ce phénomène, la différence va se jouer sur la capacité de chaque nation à se prendre en charge, à tracer une stratégie pour juguler le problème. Nous savons que le gouvernement fait ce qu’il peut face à un phénomène qui est nouveau pour nous. Il y a des moyens qui sont déployés ; les Forces de défense et de sécurité font ce qu’elles peuvent. Je voudrais, au passage, leur rendre un vibrant hommage et m’incliner devant la mémoire de tous ceux qui sont tombés pour que le Burkina reste debout. Mais au-delà de tout cela, il faut la cohésion sociale. Encore une fois, il faut l’union entre les fils et les filles de la région du Nord et de toute la nation pour venir à bout du terrorisme qui sape profondément nos principes de vie et fragilise notre vivre-ensemble. Chaque Burkinabè devrait se sentir peiné à l’heure où nous sommes en train d’écrire notre part de l’histoire de notre nation. Les aînés ont fait ce qu’ils pouvaient et sont partis. Il ne faut pas qu’à notre tour, les problèmes aient raison de nous. C’est une guerre qui nous est imposée et nous devons la gagner. J’ai une pensée pour mes parents qui vivent aujourd’hui dans une vraie psychose. Quand tu te lèves le matin, tu ne sais pas si tu atteindras le soir et quand tu rentres la nuit, tu ne sais pas si tu verras le soleil se lever. C’est terrible et invivable mais nous avons bon espoir qu’on y arrivera, en tant que Burkinabè. La marche d’une nation est jalonnée de difficultés, d’épreuves à telle enseigne que notre foi en Dieu peut s’en trouver ébranlée. Bon gré mal gré, notre salut passe par la fédération de nos forces : gouvernement, classe politique, coutumiers et religieux, OSC, population, dans ce combat pour le retour de la paix dans pays. C’est pourquoi je salue le vote de la loi sur les volontaires pour la défense de la patrie.

«  Souleymane Soulama est un camarade qui nous a quittés de fait, depuis sa sortie du gouvernement »

Pour certains, le problème de l’insécurité, c’est le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré. Qu’en dites-vous ?

Qu’est-ce que le pouvoir a fait ?

Je vous pose la question !

Il faut dépasser les paroles politiciennes empreintes de démagogie. Nous sommes dans un sérieux pétrin où nous avons besoin d’être ensemble. Dire que le pouvoir actuel est la cause de ce qui nous arrive, je m’inscris en faux. Nous sommes dans une situation où il ne faut pas surfer sur les malheurs des gens pour espérer atteindre des objectifs politiques. L’insécurité est un phénomène international. Elle n’a pas été suffisamment prise en compte dans les programmes de nos candidats, même si gouverner c’est prévoir. Quel que soit le candidat qui passait, on aurait eu les mêmes problèmes. Dans cette guerre inattendue, c’est la capacité à réagir, souvent avec les moyens du bord, qui s’impose. Nous savons que nos FDS, malgré leur courage, n’avaient pas vécu une telle expérience. C’est ce qui explique les difficultés qu’elles ont eues au début mais aujourd’hui, elles font preuve d’une résilience. Mais du fait aussi que l’ennemi a eu une longueur d’avance sur nous, le combat reste difficile mais la victoire est certaine pour le Burkina Faso et son peuple.

Qu’est-ce qui vous a poussé au Nouveau temps pour la démocratie (NTD) et non par exemple au MPP ou ailleurs ?

S’engager en politique demande une certaine analyse. J’étais dans un parti et j’étais à l’Assemblée nationale. Après l’insurrection, chacun a eu son temps d’observation, d’introspection et en fonction de sa vision, ses objectifs et ses ambitions, s’est décidé. Aujourd’hui, on a une centaine de partis politiques. Donc, on tient compte de beaucoup de paramètres, tels que l’idéologie, la démocratie interne, les acteurs, avant de s’engager. Je me suis retrouvée au NTD par conviction. Je ne crois pas avoir fait le mauvais choix du moment où j’arrive à m’exprimer aisément dans ce parti et je suis sa secrétaire générale nationale.

Avez-vous été démarchée pour adhérer au NTD ou est-ce un choix d’y aller ?

C’est l’une des deux options pour adhérer à un parti politique. Sois vous y allez-vous-même, soit on vous démarche. Dans tous les cas, la question n’a pas d’importance. Je me suis retrouvée au NTD, comme je le dis, par conviction.

Quel type de rapports entretenez-vous avec Vincent Dabilgou, président du NTD ?

M. Vincent Dabilgou est le président du NTD et Mme Koumaré est la secrétaire générale nationale du NTD. Dans nos textes, chacun a ses attributions. Je joue pleinement mes attributions ; lui aussi fait bien les siennes. Nos relations sont empreintes de respect mutuel, de courtoisie et de camaraderie dans le sens de faire triompher les idéaux de notre parti et engranger des résultats.

Il se susurre qu’il y a une crise entre vous et Vincent Dabilgou. Qu’en est-il exactement ?

Quand on est dans une année électorale, les gens se permettent tout. Aujourd’hui, si on dit que le NTD a changé sa vision, le NTD ne soutient plus Roch Marc Christian Kaboré, que le NTD n’est plus de la majorité ou qu’il y a une ambiguïté politique dans la démarche du NTD, cela pourrait m’inquiéter. J’allais chercher à comprendre et à justifier. Mais quand on dit que la secrétaire générale et le président ne s’entendent pas, cela me fait sourire. Je n’entre pas dans les suspicions. Dans un parti politique, la démocratie doit s’exprimer en interne avant de s’exprimer ailleurs. Vous savez au moins que la démocratie, c’est l’art de gérer les contradictions et d’arriver à un compromis ou à un consensus positif ! Je sais que les rapports entre le président et moi sont bons et cordiaux. Ce qu’il faut retenir, c’est que le NTD a été le premier parti, en 2015, à soutenir la candidature du président Kaboré. Nous l’avons aidé à conquérir le pouvoir ; nous l’aidons à le gérer et nous sommes dans la logique de l’aider à avoir son second mandat. Nous demeurons également dans la dynamique de lui assurer une majorité confortable à l’Assemblée nationale. De ce fait, au NTD, ça travaille et nous refusons le divertissement.

Nous avons l’impression que le NTD est né pour soutenir le président Roch. Quel est votre avis ?

Ce n’est pas une bonne impression. Un parti naît toujours pour la conquête du pouvoir. Maintenant ; dans sa démarche, il peut juger utile, à un moment donné, de soutenir un candidat, et nous sommes dans cette logique. Nous sommes fidèles à notre ligne de conduite.

Peut-on dire aujourd’hui que le NTD se porte bien quand on
sait qu’il y a des défections, en témoigne le départ acté d’un haut cadre comme Souleymane Soulama ?

Souleymane Soulama est un camarade qui nous a quittés de fait, depuis sa sortie du gouvernement. Quand il a été évincé du gouvernement, il ne s’est plus intéressé à la vie du parti. Sa dernière participation officielle, c’était au congrès du parti, le 28 avril 2018, où il s’est vu confier le poste de troisième vice-président chargé du marketing politique du NTD. Depuis ce congrès jusqu’aujourd’hui, il n’a participé à aucune activité de nos instances. Pour nous, c’était une démission de fait. Si c’était un camarade qui était dans le système, qui participait activement à la vie du parti, qui s’en allait de la sorte pour créer un autre parti, on aurait imaginé qu’il y avait un problème. Pour nous, la démission de Souleymane Soulama est un non-évènement. Personnellement, je pense qu’en tant qu’homme politique averti qui part pour assurer la présidence d’un parti, il devrait suivre les procédures en écrivant officiellement au NTD pour rendre sa démission. En ne respectant pas les principes de fonctionnement de son parti d’origine, je me pose des questions pour la suite là où il part.

Ce départ n’est-il pas la chronique annoncée d’une implosion ?

Le départ de Souleymane Soulama ne nous inquiète pas, au regard de ce que je viens de dire. Nous savons comment notre parti grandit. Depuis la création du NTD, en mars 2015, jusqu’à aujourd’hui, nous avons 625 conseillers. Nous gérons des mairies et des chefs-lieux de régions, de provinces. Nous avons des députés à l’Assemblée nationale, qui occupent des postes importants. Dans le gouvernement, notre président occupe le poste de ministre des Transports, de la mobilité urbaine et de la sécurité routière. A cela, il faut ajouter les adhésions au quotidien de grands militants à notre parti. C’est dire que le NTD se porte bien et affûte efficacement ses armes pour consolider son leadership et réaliser ses ambitions aux élections de cette année.

Qu’est-ce qui a prévalu au départ de Souleymane Soulama du gouvernement ?

Nous sommes dans une République. Le poste ministériel est confié au NTD en tant qu’allié et parti ayant contribué à l’élection du président du Faso. Les critères de choix du militant qui doit occuper le poste, relèvent de la gestion interne du parti, sachant que le NTD regorge de compétences capables de composer tout le gouvernement. Dans un premier temps, c’est Souleymane Soulama qui a eu le privilège d’occuper le poste. Par la suite, c’est le président lui-même qui a pris la relève. Je ne vois pas de mal à cela. Personnellement, j’apprécie bien que le président ait pris ses responsabilités parce qu’il comprend mieux les enjeux et les défis qui s’imposent au NTD.

Il se dit souvent que le NTD est une fabrication personnelle de Simon Compaoré. Y a-t-il une part de vérité dans cette affirmation ?

C’est un refrain alors ! J’ai déjà entendu cela plusieurs fois. Ce n’est pas une préoccupation pour moi. Un parti a d’abord des principes. Il y a des conditions pour créer un parti. Ensuite, il y a des hommes qui l’animent. Ces derniers ont leurs relations personnelles. Le président Vincent Dabilgou et Simon Compaoré ont été de proches collaborateurs à la mairie de Ouagadougou. Ce n’est pas parce que M. Dabilgou est président du NTD qu’il doit se décharger de ses relations. On ne fait pas la politique en détruisant ses relations. Bien au contraire, quand on fait la politique, on consolide ses relations. Moi, je ne vois pas en quoi la relation qui lie ces deux hommes politiques peut impacter le NTD si ce n’est positivement. Le NTD est un parti de la majorité présidentielle et qui est né pour la conquête du pouvoir.

Vous êtes dans le développement local et c’est de là que vous avez mis pied en politique. Dans l’opinion, il se dit que quand on vient en politique, c’est pour des questions matérielles. Qu’en dites-vous ?

Il faut travailler à mettre fin à cette perception très erronée de la politique. C’est très facile de critiquer la conception des autres. Il faut qu’il y ait des gens qui s’engagent en politique, non pas pour ce que vous dites, mais pour contribuer, à leur manière, à la construction du pays. Il faut qu’il y ait des gens qui, avec ou sans la politique, peuvent s’épanouir. Ces gens-là apportent objectivement leur contribution au développement. J’invite les gens à s’engager en politique pour changer, véritablement, ce qu’ils trouvent médiocre dans la gestion. S’engager suppose consentir des sacrifices à tous les niveaux. Il faut accepter le débat contradictoire, les critiques constructives et même négatives. Il faut accepter de faire face aux enjeux politiques, de prendre position et en assumer les conséquences. Il ne faut pas laisser le terrain politique à ceux qui ne savent pas où aller au risque de cultiver la médiocrité. Ceux qui savent où aller, doivent choisir de venir en politique pour impacter, surtout que généralement, quand on a le choix, on accepte les compromis mais pas les compromissions.

Propos recueillis par Michel NANA