L’Algérie aura un président-alibi sans légitimité

L’Algérie aura un président-alibi sans légitimité

Par Arezki Aït-Larbi, Correspondant à Alger

Si le pouvoir a imposé son scrutin, les Algériens l’ont disqualifié par un boycott record.

Journée décisive, hier, dans le bras de fer qui oppose, depuis dix mois, les Algériens au pouvoir militaire. Si les jeux étaient déjà faits et le vainqueur désigné d’avance, il s’agissait, pour le général Gaïd Salah, chef d’état major, de donner le change par une « participation acceptable », même si le taux d’abstention allait battre tous les records. Au-delà des Algériens, qui ont mainte fois rejeté le scrutin, la bataille de communication vise à convaincre les partenaires étrangers de la légitimité du nouveau président.

A Alger, un impressionnant dispositif policier a été déployé dans le centre de la capitale dès les premières heures de la matinée. Objectif : étouffer dans l’œuf la grande manifestation annoncée sur les réseaux sociaux. Fourgons stationnés des deux cotés de la chaussée, forces anti-émeute particulièrement excitées, policiers en civil menaçants… On se croirait en état de siège. Un groupe de jeunes qui discutaient sur le trottoir en attendant le début de la marche est dispersé à coups de matraques, sans sommation. Ceux qui ont osé protester contre cette violence injustifiée ont été arrêtés par des policiers en civil. D’autres « suspects » ont été également embarqués au motif qu’ils n’avaient « rien à faire dans la rue » !

Mises en scène

Vers 10 heures, des groupes de manifestants sont revenus à la charge pour défier les forces de l’ordre. Scandant « Algérie libre et démocratique », « Etat civil et non militaire », ils ont défilé dans la rue Didouche Mourad vers la Grande poste, parcours emblématique des manifestations hebdomadaires. La police charge sans ménagement, faisant plusieurs blessés. La foule est disloquée, mais elle se reconstitue un peu plus loin. Ce jeu de cache-cache durera jusqu’à 13 heures lorsqu’une marée humaine déferle des rues avoisinantes vers le centre de la capitale. « Pas de vote avec les maffias » ! « Nous libérerons l’Algérie » ! « Nous, enfants d’Amirouche (héros de la guerre d’indépendance) nous ne reculerons pas »! Repris à l’unisson par des milliers de poitrines, les slogans dopent le moral des contestataires. Le rapport des forces s’est inversé et la police contrainte de céder le terrain aux manifestants, qui occupent le centre ville, dans une ambiance festive, jusque tard dans la soirée.

Si le pouvoir a perdu « la bataille d’Alger », il s’est rattrapé dans quelques villes de province, même si le procédé est déloyal. Comme à Blida, ville de garnison située à 40 km au sud d’Alger où siège la première région militaire. Dès l’ouverture du scrutin à 8 heures, le bureau de vote est pris d’assaut par une foule d’électeurs d’un genre particulier, : jeunes et sportifs, les cheveux coupés en brosse et rasés de près. Les caméras de télévision étaient là pour immortaliser cette « communion patriotique entre le peuple et son armée ». Surtout lorsque les deux rôles sont joués par les mêmes acteurs ! Sur les réseaux sociaux, les internautes se gaussent de ces « électeurs qui ont le même coiffeur… ».

La lutte continue !

En Kabylie, cœur battant de la contestation, bloquer le scrutin est une question d’honneur. Malheur à la localité où les « traitres » pourraient s’imposer par un vote, même symbolique ! Mercredi, les autorités avaient ramené par bus des « étrangers à la région », sous l’œil complice des caméras de télévision. Sitôt informés par les réseaux sociaux, des groupes de jeunes venus de plusieurs quartiers de Tizi Ouzou, la capitale régionale, ont convergé vers le lycée Stambouli, « studio » de la mise en scène, pour déchirer les listes électorales, éparpiller les bulletins de vote et exhiber des urnes déjà pleines ! Hier, le centre de vote Kerrad Rachid ouvert en catimini dans le centre ville, a été pris d’assaut par une vingtaine de contestataires. Aux policiers venus les déloger, ils ont offert des croissants et des viennoiseries en scandant « Silmya-talwit (pacifique) », pour attendrir ces « frères, contraints de faire leur travail ». Une démarche conciliante qui a évité la confrontation.

Dans cette bataille de communication entre deux Algérie parallèles qui se tournent le dos, chaque camp compte ses points. Vestige du passé, le pays officiel, désormais minoritaire, a atteint son objectif : faire élire « son » président-alibi à la hussarde, avec un taux de participation factice, mais « acceptable » ; à 17 heures, il était de 33,06 % !

L’Algérie réelle, celle de la jeunesse majoritaire, a résisté avec intelligence et courage, sans céder aux provocations violentes. Si elle n’a pas réussi à bloquer le scrutin, elle prépare l’avenir avec détermination. Un avenir qui commence aujourd’hui, avec le 43e vendredi de manifestations.

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Avec La Libre Afrique

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