L’Amazonie est en feu, mais l’aggravation de la déforestation de l’Amazonie n’est pas récente : dès l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, les Indiens du Brésil et les défenseurs de l’environnement ont vainement lancé l’alerte. Au mois de juin, la déforestation avait augmenté de 88% par rapport aux données de l’an passé. Désormais, elle aurait quasiment été multipliée par quatre.

La politique de l’actuel président du Brésil qui a conduit à cette catastrophe est dictée avant tout par les lobbys économiques. Plusieurs industries sont impliquées dans la destruction du poumon vert de la planète, mais les principaux acteurs sont issus de l’industrie minière, et de l’agriculture et de l’élevage intensifs. Ils pourraient dès lors se rendre complices de crimes environnementaux, de crimes contre l’humanité et de violations des droits humains.

En effet, les incendies en cours visent en particulier à étendre les cultures de soja pour alimenter porcs, volailles et bœufs qui se retrouveront notamment dans l’assiette des Français. Pour l’essentiel OGM et arrosé de pesticides qui polluent durablement les sols, le soja est produit dans le cadre de processus d’accaparement de terres au préjudice des populations indigènes. Il est ensuite acheté par les grandes entreprises du secteur agroalimentaire et de la grande distribution. Ce drame qui peut sembler lointain nous concerne donc directement.

En mars, nous avons interpellé des entreprises françaises, dont Bigard, le Groupe Bertrand (Quick et Burger King) et E.Leclerc, sur la prise en compte de la déforestation liée à la culture du soja. Le constat était sans appel : la plupart de ces entreprises étaient dans l’incapacité de tracer la provenance du soja entrant dans leurs chaînes d’approvisionnement et de garantir que ce soja était exempt de toute déforestation. Carrefour ou Casino, qui disposent chacun d’importants réseaux de supermarchés au Brésil, sont particulièrement concernées.

Les entreprises de l’agroalimentaire ne sont pas les seules impliquées. Dans son rapport publié en avril, Amazon Watch citait également les entreprises françaises Guillemette & Cie et le Groupe Rougier, qui importent du bois d’Amazonie depuis des zones où il existe de forts risques d’exploitations forestières illégales. Elle dénonçait également la complicité des investisseurs des pays du Nord dans ce qu’elle qualifiait de «pire attaque» subie par l’Amazonie brésilienne et ses peuples en une génération.

Nous ne pouvons plus ignorer le rôle déterminant que jouent les grandes entreprises dans la destruction de notre écosystème. Les récentes mises en examen obtenues grâce à l’action de Sherpa dans les affaires visant Lafarge et Samsung traduisent la nécessité pour la justice d’appréhender et de sanctionner les activités des entreprises et de leurs dirigeants à la mesure de leurs impacts sociaux et environnementaux.

Fatou Bensouda, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a annoncé en septembre 2016 que son bureau allait s’intéresser aux crimes qui impliquaient «des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’expropriation illicite de terrains». Or la situation actuelle au Brésil et la politique de Bolsonaro seraient susceptibles de relever de plusieurs incriminations réprimées par le statut de Rome (entré en vigueur en 2002).

Il est temps de reconnaître que la mondialisation économique est à la source du dérèglement climatique et de la destruction de la biodiversité. Les entreprises qui prétendent se soucier de leur impact social et environnemental, notamment dans des chartes d’engagements éthiques particulièrement fournies, ne doivent plus échapper à leur responsabilité.

Au titre de leur devoir de vigilance, celles qui utilisent le bœuf ou le soja brésilien dans leurs chaînes d’approvisionnement devraient cesser immédiatement leur relation commerciale avec certains traders de commodités agricoles, impliqués dans la déforestation de l’Amazonie et du Cerrado. Les entreprises devraient réorienter leurs politiques d’achat vers les pays qui augmentent leur couvert forestier et protègent les populations autochtones. Enfin, le secteur privé devrait s’associer aux efforts des gouvernements et de la société civile pour protéger les écosystèmes et les droits des peuples autochtones.

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William Bourdon président fondateur de Sherpa Sébastien Mabile avocat Michel Dubromel président de France Nature Environnement Clara Gonzales chargée de contentieux à Sherpa Etelle Higonnet directrice de campagnes Mighty Earth

Par RSA Avec liberation