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« Il y a lieu de revoir en profondeur les stratégies de lutte contre le paludisme »

Epidémiologiste de formation, Dr Louis Hamadé Ouédraogo ne compte pas rester les bras croisés bien qu’étant à la retraite. Il veut toujours apporter sa contribution pour l’amélioration des soins dans les centres de santé du Burkina. Dans cet écrit, il fait une analyse sur la gratuité de la prise en charge du paludisme grave chez les enfants de moins de 5 ans au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Ouahigouya.

Problème et Question de Recherche

L’un des meilleurs indicateurs à utiliser pour mesurer le succès de la lutte contre une maladie donnée, est la létalité (ou capacité à tuer) de cette maladie. Depuis la seconde moitié de l’année 2016, le Gouvernement du Burkina-Faso a décidé de prendre en charge le traitement des enfants de moins de 5 ans atteints du paludisme grave. Cette décision qualifiée de gratuité fut applaudie par les masses populaires car elle devrait contribuer à vaincre l’obstacle financier qui gêne l’accès des populations à des soins de santé de qualité. Mieux, la Gratuité devrait réduire significativement la létalité du paludisme grave chez les enfants de moins de 5 ans dans les formations sanitaires. Mais est-ce le cas après 2 années de mise en œuvre dans la plus grande formation sanitaire de Ouahigouya?

Hypothèse à vérifier Sur la période d’observation (2016-2018) au CHU de Ouahigouya, la Gratuité est associée à une diminution significative de la létalité du paludisme grave chez les enfants de moins de 5 ans. Les ressources et la méthode suivantes ont été utilisées pour vérifier si oui ou non cette affirmation est acceptable. 


Ressources et méthodes 
Au Burkina-Faso, par message appelé télégramme-lettre officiel hebdomadaire (TLOH), chaque formation sanitaire doit transmettre lundi au District sanitaire dont elle relève, les renseignements sur le paludisme grave (entre autres). Pour répondre à la question posée, des TLOH du district sanitaire de Ouahigouya, extraction fut faite des données du CHU relatives aux enfants de moins de 5 ans pris en charge pour paludisme grave en 2016 (avant la gratuité), ou en 2017-2018 (pendant la Gratuité). Afin de disposer de nouveaux malades pour les périodes considérées, les malades des 3 premières semaines de chaque année furent exclus de l’étude car pouvant être tombés malades l’année précédente. L’échantillon de malades retenus fut alors divisé en deux groupes qui seront plus tard comparés : le premier groupe comporte les malades censés être sous Gratuité, tandis que le second est fait de malades d’avant la mise en œuvre de la Gratuité. Dans chaque groupe, les décès et les survivants furent dénombrés, puis la létalité et les risques de mourir du paludisme grave calculés. La comparaison des valeurs de ces indicateurs dans les deux groupes permet de tester notre hypothèse. Pour l’analyse des données et l’interprétation des résultats, le logiciel Epi info des CDC d’Atlanta (USA) a été utilisé.
Résultats

Tableau a. Tendance (2016 – 2018) de la létalité du paludisme grave des moins de 5 ans au CHU de Ouahigouya, province du Yatenga, région du Nord, Burkina-Faso. Source = District Sanitaire, TLOH mis à jour le 5/2/2019.
Paludisme grave des moins de 5 ans

Période d’observation
Décédés
Survivants
Total
Létalité
2016 = Avant la Gratuité
22
450
472
4,7%
2017 = 1ère année de mise en œuvre de la Gratuité
45
784
829
5,4%
2018 = 2 ans de Gratuité
96
1000
1096
8,8%

Remarque 
Ce tableau révèle qu’au CHU de Ouahigouya, depuis que la Gratuité du traitement du paludisme grave des enfants de moins de 5 ans est mise en œuvre, les 2 premières années sont caractérisées par une aggravation de la létalité de cette maladie. Cette tendance est statistiquement significative (p = 0,0019). Ce fait est préoccupant car contraire aux attentes.
Mais la Gratuité est-elle associée à la mort des suites de paludisme grave ? Le tableau b ci-après révèle que dans cette formation sanitaire, la Gratuité est significativement associée au décès des enfants de moins de 5 ans par paludisme grave. Ce fait est troublant car en rompant une des barrières financières, la Gratuité est censée améliorer l’accès des enfants de moins de 5 ans souffrant de paludisme grave à des soins de qualité.

Discussion



Plusieurs facteurs expliquent pourquoi la Gratuité de la prise en charge des enfants de moins de 5 ans admis pour paludisme grave n’a pas suffi pour que cette maladie tue plus dans ce groupe d’âge. Le CHU reçoit beaucoup de cas de paludisme grave qui parfois lui sont référés trop tard par les autres formations sanitaires. Sont aussi en cause, les ruptures de stocks en médicaments, produits sanguins et autres intrants essentiels au traitement des enfants. Ces ruptures sont probablement dues à la grave crise que traversait la CAMEG, à la mauvaise gestion des stocks et/ou à des indélicatesses diverses. Citons aussi la probable faible capacité du laboratoire du CHU pour garantir rapidement et sur-place la sécurité des transfusions sanguines, sans oublier les terribles et terrifiantes grèves des agents de santé (parfois sans service minimum). Des problèmes administratifs et logistiques pourraient aussi avoir retardé l’administration à temps des soins de santé de bonne qualité, surtout lorsque le sang à transfuser en urgence doit venir du centre national de transfusion sanguine. Enfin, la liste des facteurs macabres comporte d’éventuelles mauvaises qualités des médicaments (à investiguer), une méchanceté particulière des espèces du parasite du paludisme grave circulant à Ouahigouya, et finalement le terrain (malnutri sévère ou autre) des enfants pris en charge pour paludisme grave.

Tableau b
Gratuité des soins et létalité du paludisme grave des moins de 5 ans pris en charge au CHU de Ouahigouya, province du Yatenga, Région du Nord, Burkina-Faso
Source = District Sanitaire, TLOH mis à jour le 5/2/2019

Gratuité de la prise en charge en cours
Paludisme grave des moins de 5 ans
Risque de décéder
Risque relatif (et limites à 95%)
Décès
Survie
Total

Oui (Années 2017 & 2018)
96
1000
1096
0,09
1,9 
(1,2 à 2,9)
Non (Année 2016)
22
450
472
0,05
p = 0,002 (Fisher)
En temps de gratuité, le paludisme grave tue presque 2 fois plus fréquemment qu’avant la gratuité. Pour résoudre le problème que pose ce tableau affligeant, les recommandations suivantes sont proposées.

Recommandations

1. D’autres travaux de recherche-action basés sur les données au cas par cas des malades hospitalisés dans les pavillons du CHU sont indiqués pour affiner ces résultats. En effet, on pourrait définir autrement le concept de Gratuité, surtout que beaucoup de malades éligibles n’ont pas trouvé les médicaments promis par notre politique sanitaire au moment de leur maladie. Par la force des choses, de tels malades étaient sans gratuité en période de gratuité. En fait, tous les facteurs cités dans la discussion sont à considérer dans ce qui pourrait être le travail d’un sujet de thèse de doctorat en médecine.

2. Sachant que le paludisme est le plus souvent facile à soigner et guérir, afin de corriger l’échec de la Gratuité qui pourtant est un acte louable de santé publique, le ministère de la Santé est interpelé pour diligenter des audits approfondis visant à identifier tous les déterminants du problème et les opportunités pour les résoudre. Au minimum une revue et des enquêtes rapides s’imposent dans les meilleurs délais, pour identifier les causes de cette contre-performance et rendre disponibles les bases rationnelles à utiliser pour vaincre le paludisme grave.

3. En attendant, à court terme, contre ce fléau sanitaire et économique majeur qu’est le paludisme, il faudrait veiller à rendre disponibles au moment où le malade entre en contact avec le système de santé, tous les intrants nécessaires à sa prise en charge correcte (définition de cas, algorithmes et protocoles thérapeutiques, médicaments essentiels, sang propre, laboratoires fonctionnels, consommables divers de réanimation médicale, personnel de soins aguerri) ; aussi, il faut davantage de sensibilisation et d’information des demandeurs et des prestataires de soins, une logistique sans faille, le renforcement de la communication et de la bonne collaboration entre structures de soins, de bons plans opérationnels de lutte contre la maladie, et enfin des capacités managerielles solides et efficaces.

4. A moyen terme, il y a lieu de revoir en profondeur les stratégies de lutte contre le paludisme au Burkina-Faso car, nous semble-t-il, nous ne faisons pas actuellement tout ce qui devrait être fait. En plus des approches en cours, une innovation consiste à mettre à contribution nos ingénieurs, architectes, menuisiers, soudeurs, entrepreneurs et ouvriers en bâtiment entre autres, pour réduire le nombre de piqûres de moustiques par inclusion entre autres de grilles protectrices efficaces aux ouvertures des maisons, salles de cours et autres lieux de travail, de culte ou de recréation : « dorénavant, plus jamais de fenêtres et portes sans grilles anti-moustiques ! » Cartographions nous-mêmes les gîtes larvaires des anophèles et autres vecteurs à combattre; enrichissons pour cela la liste des tâches des agents de santé communautaire et des travailleurs des services d’hygiène de nos villes et villages.
5. A quand un bon vaccin contre le parasite causal du paludisme? Chercheurs de tous âges, le prix Nobel vous attend. Le Burkina-Faso a besoin de chercher et surtout de former et trouver des chercheurs qui trouvent les solutions à la longue et terrible pénibilité de la vie de ses populations!
6. Enfin, le système de santé du pays gagnerait à conduire de telles analyses dans les autres districts.

Conclusion 

Sans mesures d’accompagnement, la gratuité de la prise en charge du paludisme grave chez les enfants de moins de 5 ans n’améliore pas la létalité de cette affection chez ces enfants. Davantage de travaux sont nécessaires pour résoudre ce problème.

Remerciements

Au médecin-chef et à l’équipe du CISSE du district sanitaire de Ouahigouya, région du Nord : sans votre esprit de santé publique, la résolution de ce problème serait davantage retardée et des décès évitables perdureraient au sein des populations dont vous êtes co-responsables de la santé. Soyez-en remerciés.

Dr Louis Hamadé Ouédraogo, [email protected]