Acquittés, il y a quelques jours par la CPI, avant que la procureure de la Cour n’obtienne que cette décision soit transformée en liberté conditionnelle, les trajectoires de Charles Blé Goudé et Laurent Gbagbo semblent devoir se dessiner sous des étoiles contraires.

En effet, la Belgique a offert d’accueillir le second, conformément aux conditions de la libération qui leur interdit de rentrer en Côte d’Ivoire. Le premier, lui n’a toujours pas de pays d’accueil. Qu’à cela ne tienne. Ses avocats et lui négocient avec la CPI la possibilité de se tourner vers des pays africains… dont la Côte d’Ivoire.

Alors que Laurent Gbagbo n’a pas eu grand mal à trouver une terre d’accueil, son compagnon de fortune, Charles Blé Goudé, peine à se faire accueillir par des Etats européens. Dans ces conditions, celui qui avait assuré, lors de sa première audience à la CPI, qu’il repartirait chez lui, voudrait négocier avec la cour la possibilité de retourner dans un pays africain, si possible le Côte d’Ivoire.

Le problème, c’est que la Côte d’Ivoire ne fait pas partie des pays envisageables et la nation d’asile choisie doit être en mesure de remettre l’Ivoirien à la disposition de la CPI, au besoin. Une condition que le pays qui avait refusé de livrer Simone Gbagbo à la Cour, ne remplit pas forcément.

L’homme qui murmure à l’oreille de la foule

« Je sais que je repartirai chez moi. Si je suis jugé pour ce que j’ai fait et non pour ce que je suis, je serai déclaré innocent », avait assené Charles Blé Goudé en 2014 lors de sa première audience publique à La Haye, au siège de la CPI. L’extrait avait fait le tour des chaînes de télévision, rappelant à ceux qui l’avaient oublié, le redoutable orateur qu’était le fidèle de Laurent Gbagbo. Surnommé ministre ou général de la rue, il était connu en Côte d’Ivoire pour sa capacité à haranguer les foules. « Tu es véritablement doué dans l’art de faire vibrer les foules. Après l’accord de Linas-Marcoussis, tu réussis à mobiliser près d’un million de personnes sur la place de la République », reconnaissait le journaliste ivoirien Venance Konan, dans une lettre ouverte adressée à Charles Blé Goudé.

« Tu es véritablement doué dans l’art de faire vibrer les foules. Après l’accord de Linas-Marcoussis, tu réussis à mobiliser près d’un million de personnes sur la place de la République », reconnaissait le journaliste ivoirien Venance Konan.

Cette capacité à charmer une foule à coups de discours, l’Ivoirien l’a développée dans sa jeunesse, en menant des manifestations estudiantines.

Itinéraire d’un homme qui refusait de se contenter

« Si je ne deviens que Premier ministre, je n’aurai pas réussi ma vie », déclare Charles Blé Goudé, dans une interview accordée au magazine Jeune Afrique. Cette forte ambition se manifestait déjà durant ses plus jeunes années, une époque où le jeune homme se rêvait en Kwame Nkrumah ou en Gandhi.

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« Si je ne deviens que Premier ministre, je n’aurai pas réussi ma vie »

Tout a commencé en 1972, à Niaprahio, dans la région de Guibéroua, où Charles Blé Goudé a vu le jour. Il racontera dans son livre « Ma part de vérité », qu’il y a échangé, enfant, quelques passes avec Didier Drogba, le célébrissime capitaine de l’équipe ivoirienne de football, également originaire de Guibéroua.

Il racontera dans son livre « Ma part de vérité », qu’il y a échangé, enfant, quelques passes avec Didier Drogba.

Cette information ne sera ni confirmée, ni infirmée par la star du football. Pire, le célèbre attaquant est, de six ans, le cadet de Charles blé Goudé qui s’attire donc de nombreuses railleries à cause de cette anecdote. Rien de très dérangeant pour le natif de Niapraho qui affiche depuis ses plus jeunes années un caractère à toute épreuve. C’est d’ailleurs l’une des qualités qui l’a poussé à rejoindre la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), dès sa création en 1990.

L’ambitieux jeune homme, qui ne cachait pas ses désirs d’incursion dans la vie politique, avait-t-il entrevu le tremplin que pouvait représenter ce mouvement qui finira par lancer de nombreux hommes politiques, dont son ami, puis grand rival, Guillaume Soro ? On ne pourrait que le présumer. Quoi qu’il en soit, après avoir obtenu son baccalauréat en 1991, et s’être inscrit en faculté d’anglais, Charles Blé Goudé commence à gravir les échelons de la Fesci. Il en devient le secrétaire à l’organisation en 1996, avant de succéder à Guillaume Soro, en 1998, en tant que secrétaire général du mouvement. Ces années seront marquées par un fort engagement dans un militantisme contre le régime du président Henri Konan Bédié qui finira par mettre Charles Blé Goudé sur le devant de la scène.

Ces années seront marquées par un fort engagement dans un militantisme contre le régime du président Henri Konan Bédié.

Arrêté à de nombreuses reprises, il sera photographié, en 1999, enchaîné à un lit d’hôpital avec une chaîne rouillée. La photo fait le tour de la Côte d’Ivoire.

Quelques mois plus tard, le régime en place est évincé par un putsch. Le général Robert Guéï prend le pouvoir. Sous son régime, la Fesci et sa capacité de mobilisation font du mouvement une organisation convoitée par les politiques. Le président accorde même à la Fesci la gestion de l’attribution des résidences universitaires. L’enjeu est tel que des mutins s’élèveront au sein du mouvement pour contester l’autorité de Charles Blé Goudé. Ce dernier vaincra les dissidents lors de combats violents à l’arme blanche qui lui vaudront un autre de ses surnoms : « la machette ». En fait, le mouvement était divisé entre pro-Ouattara et pro-Gbagbo. La grande majorité des vaincus fuira les représailles en se réfugiant au Burkina Faso.

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Des combats violents à l’arme blanche lui vaudront le surnom « la machette ».

Pour de nombreux observateurs, cet épisode a consacré la violence comme mode de fonctionnement du mouvement. Un changement qu’il devait entièrement à son nouveau secrétaire général.

Pour de nombreux observateurs, cet épisode a consacré la violence comme mode de fonctionnement du mouvement. Un changement qu’il devait entièrement à son nouveau secrétaire général.

Le conflit terminé, le statut de chef de la Fesci est sauf, mais à quel prix ? Charles Blé Goudé met environ 10 ans à obtenir sa licence en anglais qu’il finit par décrocher dans des conditions troubles. En octobre 2000, Laurent Gbagbo arrive au pouvoir. Charles Blé Goudé le connait depuis un moment, et épouse totalement ses idées. Quelques mois après l’arrivée de son mentor aux affaires, « la machette », qui a créé son propre mouvement, le Congrès panafricain des jeunes patriotes (Cojep) obtient une bourse pour poursuivre ses études en Angleterre.

Problème, peu de temps après son départ, on découvre que la licence en anglais a été délivrée frauduleusement. Toro Séry, le professeur complice, passe aux aveux et est sanctionné par l’université.

Problème, peu de temps après son départ, on découvre que la licence en anglais a été délivrée frauduleusement. Toro Séry, le professeur complice, passe aux aveux et est sanctionné par l’université. Charles Blé Goudé, lui, continuera de clamer son innocence.

Le général de la rue

Charles Blé Goudé finit tout de même par poursuivre ses études en Angleterre. Il ne revient en Côte d’Ivoire qu’en 2002, lorsque Guillaume Soro tente de renverser son mentor. Les deux anciens de la Fesci se retrouvent alors dans des camps opposés. Charles Blé Goudé mobilise ses anciens militants, ainsi que plusieurs mouvements de jeunes, sous la bannière de l’Alliance de la jeunesse pour le sursaut national. Il organise alors la défense de Laurent Gbagbo dans la rue. Des heurts éclatent. Finalement, la France intervient et facilite un cessez-le-feu. Les parties belligérantes signeront finalement les accords de Linas-Marcoussis, le 24 janvier 2003. Ils mettront fin au conflit en maintenant Laurent Gbagbo au pouvoir, à condition qu’il mette en place un gouvernement de réconciliation nationale intégrant les mouvements rebelles.

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« J’ai été le premier à demander pardon pour tout ce que j’ai pu faire moralement et physiquement ».

Quelques semaines plus tard, Guillaume Soro est nommé ministre de la Communication. Après quelques mois, il sera successivement ministre d’Etat puis ministre de la Reconstruction et de la Réinsertion. Les tensions avec Charles Blé Goudé disparaissent, pour le moment.

Dans le même temps, certains proches du président en place, dont Charles Blé Goudé, voient en l’intervention de la France une ingérence néocolonialiste. Ce sentiment latent sera responsable de combats qui interviendront quelques mois plus tard. Alors que l’accord de paix semble en bonne voie, la date des élections présidentielles prévue par les accords de Linas-Marcoussis est repoussée. La réaction des chefs rebelles ne se fait pas attendre. Ils déclenchent des manifestations dans le nord du pays. Le gouvernement tente alors de les stopper par les armes. Des fidèles au président Laurent Gbagbo vont même tenter de s’en prendre aux ministres issus de l’opposition, alors que ces derniers sont sous la protection des Nations unies (ONUCI). Finalement, des tensions naissent entre les forces gouvernementales et celles de l’ONUCI qui reçoit l’aide de la force française Licorne.

Le 6 novembre 2004, les forces ivoiriennes attaquent des positions françaises et tuent 10 personnes, dont 9 soldats. Les Français ripostent en détruisant toute la flotte aérienne ivoirienne. Ce jour-là, Charles Blé Goudé prononcera, à la télévision ivoirienne, un discours passé depuis à la postérité. « Si tu manges, arrête de manger. Si tu dors, réveille-toi. Tous à l’aéroport. L’heure est venue de choisir entre mourir dans la honte ou dans la dignité ». Ces phrases attireront des milliers de jeunes dans les rues ivoiriennes pour manifester violemment contre la présence occidentale dans le pays. « Lorsque la France voit des jeunes gens couper des barbelés avec leurs dents, creuser dans le mur avec leurs mains, elle doit revoir sa position », explique l’Ivoirien dans son livre « Ma part de vérité ».

En 2006, Charles Blé Goudé dirige des attaques sur des installations de l’ONU. Il sera sanctionné par l’organisation internationale qui gèle ses avoirs et l’interdit de voyage.

Il gagne, en coordonnant avec une discipline quasi militaire, un autre de ses surnoms : le général de la rue. En 2006, Charles Blé Goudé dirige des attaques sur des installations de l’ONU. Il sera sanctionné par l’organisation internationale qui gèle ses avoirs et l’interdit de voyage. Un statu quo s’installe entre la France et la Côte d’Ivoire pendant que les batailles intestines reprennent en Côte d’Ivoire.

La transfiguration

Peu de temps après les sanctions, Charles Blé Goudé change du tout au tout. Transfiguré au point d’en paraître schizophrène, il s’excuse pour ses actions passées et se mue en chantre de la paix. Pour les diplomates étrangers, la situation est évidente, l’ancien chef de milice veut acquérir la stature et l’image d’un homme d’Etat. Sa communication est moins dure, plus apaisée. « J’ai été le premier à demander pardon pour tout ce que j’ai pu faire moralement et physiquement », déclare-t-il, à l’endroit des nombreux sceptiques qui ne croient pas en son changement.

« J’ai été le premier à demander pardon pour tout ce que j’ai pu faire moralement et physiquement », déclare-t-il, à l’endroit des nombreux sceptiques qui ne croient pas en son changement.

Après les accords de Ouagadougou, intervenus en mars 2007, sur l’initiative du président burkinabé Blaise Compaoré, le calme revient en Côte d’Ivoire. Guillaume Soro est nommé Premier ministre. Cette nomination a-t-elle frustré « la machette » ? On ne le saura jamais. En apparence, les deux hommes s’affichent ensemble tout sourire, bras dessus, bras dessous. Charles Blé Goudé se signale durant cette période par des discours rassembleurs et une accalmie relative s’installe, jusqu’à la crise électorale de 2011.

Crise électorale de 2011, détention à la CPI puis liberté conditionnelle

Après le deuxième tour des élections présidentielles du 28 novembre 2010, la commission électorale indépendante (CEI) s’apprête à proclamer les résultats provisoires lorsque des membres de l’institution, favorables à Laurent Gbagbo, contestent à l’avance les résultats. Après ces incidents, la CEI communique, à l’Hôtel du Golf, QG du candidat Alassane Ouattara, des résultats qui le donnent gagnant. Pendant ce temps, le Conseil constitutionnel déclare Laurent Gbagbo vainqueur. De son côté, la communauté internationale considère Alassane Ouattara comme vainqueur de l’élection. Pourtant, Laurent Gbagbo refuse de quitter le pouvoir. Dans le gouvernement qui sera formé quelques jours plus tard, Charles Blé Goudé, qui comme à son habitude a pris fait et cause pour son mentor, est nommé ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi.

Dans le gouvernement qui sera formé quelques jours plus tard, Charles Blé Goudé, qui comme à son habitude a pris fait et cause pour son mentor, est nommé ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi.

Guillaume Soro, lui, prend parti pour Alassane Ouattara. Il devient le Premier ministre de ce dernier et, plus que jamais, l’adversaire de Charles Blé Goudé qui lui donne même « rendez-vous aux élections de 2015 ». Finalement, la rivalité entre les deux hommes, sourde depuis la Fesci, peut être vécue au grand jour. En fait, Charles Blé Goudé n’a jamais réellement fait confiance à Guillaume Soro« Le problème avec lui, c’est qu’un jour il est avec nous dans le gouvernement, le lendemain il est dans la rébellion », confie le natif de Niaprahio dans une interview.

Finalement la communauté internationale lance une opération militaire qui aboutit, le 11 avril 2011, à la capture de Laurent Gbagbo. Charles Blé Goudé part alors en exil au Ghana.

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Pour Fatou Bensouda, « il est responsable de certains des pires crimes commis après l’élection présidentielle de novembre 2010 ».

Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, il y sera arrêté le 17 janvier 2013, puis extradé vers la Côte d’Ivoire. Le 1er octobre 2013, la CPI annonce avoir émis un mandat d’arrêt à son encontre le 21 décembre 2011. La juridiction l’accuse de crimes contre l’humanité, notamment meurtres, viols et persécutions, commis entre 2010 et 2011. En fait, ce sont les hommes sous son autorité qui auraient directement perpétré ces exactions, selon l’institution. Le 20 mars 2014, la Côte d’Ivoire accepte de livrer Charles Blé Goudé à la CPI. Il y sera transféré le 22 mars 2014. Pour Fatou Bensouda, la procureure de la cour, « il est responsable de certains des pires crimes commis après l’élection présidentielle de novembre 2010 ».

Pour Fatou Bensouda, la procureure de la cour, « il est responsable de certains des pires crimes commis après l’élection présidentielle de novembre 2010 ».

Pourtant, pendant son procès, Charles Blé Goudé réussira à semer le doute grâce à un discours désormais mémorable. Morceaux choisis. « L’accusation cherche à démontrer ce qui n’a jamais existé. Pour retrouver les chefs de guerre et les chefs de milice en Côte d’Ivoire, il suffit au bureau de la procureure de se référer aux documents et aux archives des différentes opérations de démobilisation, de désarmement et de réinsertion des milices. Ni le Cojep, ni l’alliance des jeunes patriotes, ni mon nom n’y figurent ». Plus loin, il remettra en cause sa présence même à la cour.

6Charles Blé Goudé2

« L’accusation cherche à démontrer ce qui n’a jamais existé.»

« C’est le Conseil constitutionnel qui a rendu une décision qui donnait le candidat Laurent Gbagbo vainqueur des élections, pas moi. Parce que je suis respectueux des lois de la République, je n’ai fait que constater cette décision et me soumettre à elle », affirme-t-il avec une pointe de sarcasme habilement déguisée. « Maintenant, si l’accusation estime que la décision rendue par le Conseil Constitutionnel a été source de conflit, elle devrait en principe s’en prendre à cette institution. Une telle démarche me semblerait plus logique. Alors, Monsieur le Président, en me maintenant en prison, la CPI ne laisse-t-elle pas en liberté l’épervier pour emprisonner la mère poule qui pourtant a perdu ses poussins ? » Environ 5 années après ce discours, faute de preuves, Charles Blé Goudé est acquitté, puis libéré sous conditions.

Semper Fidelis

« Je serai le dernier à lâcher Gbagbo », avait assuré Charles Blé Goudé durant son exil consécutif à l’arrestation de son mentor. Et l’enfant de Giberoua a tenu promesse. Jamais, durant le procès, Charles Blé Goudé n’a tenté de sacrifier Laurent Gbagbo pour trouver une voie de sortie. Il faut dire que la fidélité du premier pour le second n’a jamais flanché depuis le début des années 2000, lorsque les deux hommes se sont rencontrés. Mariage d’amour entre deux militants aux convictions communes, ou de raison, entre deux opposants ayant un adversaire commun, la relation entre les deux hommes a résisté à tout. Charles Blé Goudé n’hésitait jamais à descendre dans la rue pour son mentor, qui semblait le préparer à lui succéder, à la tête du pays.

Charles Blé Goudé n’hésitait jamais à descendre dans la rue pour son mentor, qui semblait le préparer à lui succéder, à la tête du pays.

Ce plan n’a-t-il été que retardé par le passage à la CPI ? Au final, les deux hommes seront vraisemblablement éloignés l’un de l’autre. Cela durera peut-être quelques semaines, des mois, ou des années. Mais que sont quelques années pour deux personnes qui finissent toujours par se retrouver ? Qui sait, le rendez-vous donné à Soro sera peut-être reporté pour 2020 avec des rôles cette fois inversés où Laurent Gbagbo se battra pour l’élection de Charles Blé Goudé.

Par Regardsurlafrique Avec Agenceeceofin Servan Ahougnon



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