RDC: KOKOKO!… Mais qui est là ?
RDC: KOKOKO!… Mais qui est là ?

Soldout ! Plus une place n’était disponible au festival Afropolitan des Bozar pour assister au concert du groupe kinois déjanté, Kokoko ! Dans leurs fameuses combinaisons jaunes, c’est dans la foule-même que le concert a commencé par un « KO, ko, ko, ko !! » scandé au microphone et rapidement chanté par la foule. Attendus de pieds fermes, les artistes, ont pris place sur scène munis de leur instruments confectionnés de bouteilles, de bois, de canettes, de câbles électriques et d’autres matériaux de récupération pour entamer un show pendant lequel le public s’est déhanché jusqu’à la dernière note de musique.

Kokoko ! Ou Toctoctoc en français, brise tous les codes musicaux pour nous offrir une musique en réaction à la prédominance de la rumba et des autres registres musicaux traditionnels en République Démocratique du Congo. Des instruments construits de toutes pièces, des tenues modernes et colorées, une énergie inégalable et un univers sonore inédit, voilà ce que nous proposent les membres du collectif Kokoko.

Rencontre dans les loges des Bozar avec Bom’s, Love, Makara et Débruit.

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LLA : Pourriez-vous vous présenter en quelques mots avant de former KOKOKO.

Bom’s: Moi c’est Bom’s, je suis créateur d’instruments à Kinshasa.

Love : Je suis Love, artiste, musicien et créateur d’instruments aussi.

Makara: Moi je suis Julien Makara Bianco, le seigneur d’ambiance à Kinshasa. L’homme qui a mille filles partout ! (Rires)

Débruit : Il faut savoir que Makara est animateur dans un quartier de Kinshasa. Plus précisément, son fief s’appelle le couloir de Bercy. Il collabore avec un chorégraphe, Makoka, qui travaille avec plus de 40-50 danseurs. Plus de cinq fois par semaine, ont lieu des répétitions publiques avec des boucles de 8 mesures de musique électronique qui peuvent durer 30 minutes au total. Cela amène à une forme de transe avec énormément d’énergie. Et moi, je suis Xavier Thomas alias Débruit. J’ai fait beaucoup de projets de collaboration en Turquie avec des musiciens dans le cadre d’un festival qui est aussi passé par les Bozar : Europalia. Je fais de la musique électronique et je collabore avec différents artistes d’un peu partout dans le monde. Cette fois-ci, pour KOKOKO, c’est la première fois que je suis dans un groupe où on collabore et se présente tous ensemble.

LLA: Justement j’allais vous demander comment vous vous étiez rencontrés et comment vous avez décidé de former ce groupe ensemble ?

Débruit: On s’est rencontrés sous l’initiative de Renaud Barret qui est réalisateur et qui fait un film en ce moment qui s’appelle Système K. Il était diffusé récemment à la Berlinale et il sortira officiellement en Avril. Nous avons réalisé toute la bande film de ce documentaire. Ce film a comme sujet principal la scène artistique à Kinshasa avec entre autres les performeurs de rue. Comme Eddy Etekete, l’homme cannette à Kinshasa, que vous venez de croiser à l’instant dans les couloirs des Bozar. Eddy réalise beaucoup de choses dont le festival d’arts contemporains à Kinshasa également. Entre artistes kinois, on se connaît tous. C’est un peu comme une scène où tout le monde gravite, les danseurs comme les musiciens. C’est une vraie émulsion en ce moment, une sacrée énergie. Donc, quand on s’est rencontrés, c’était dans cette atmosphère-là. Bom’s et Love avaient déjà eu des projets musicaux ensemble, Makara avait déjà eu le couloir de Bercy et moi j’avais ma propre petite expérience.  Et on s’est rencontrés.

La première fois qu’on a joué ensemble c’était dans le quartier de Bom’s. On a fait une bloc party dans un immeuble en construction depuis 20 ans. C’était la première fois qu’on se produisait après un bon premier mois de travail et de rencontres. C’est ça qui a créé vraiment le groupe.

LLA: Quel était le point commun qui vous a donné envie de vous réunir ?

Bom’s : KOKOKO, c’est vraiment du nouveau. Il y a tellement de sons différents. On ne rentre dans aucune case de la musique actuelle. Quand on joue, on joue sur des bidons, du bois, du fer, donc les sons proposés sont totalement nouveaux.

Débruit: Effectivement, les sonorités que nous proposons proviennent d’instruments entièrement confectionnés et uniques. Personne d’autre ne peut les produire. Puis il faut prendre en compte le mélange des influences de chacun. Tout cela ajouté à l’ambiance et à l’énergie que Makara ou Love combinent avec mon approche un peu plus électronique. Ça crée un combo totalement nouveau. Nous avons une énergie très atypique.

D’ailleurs à Kinshasa on commence à inspirer d’autres personnes dans les quartiers où on vit. Cela fait un moment que les gens commencent à créer leur propre instrument. Le père initiateur de ce mouvement c’est Bebson de la rue. Et maintenant sur la parcelle en face, il y a beaucoup de jeunes qui commencent à comprendre qu’en fait ils ne sont pas obligés d’attendre d’avoir de l’argent pour louer des instruments, mais qu’avec leur propre créativité, ils peuvent en créer de nouveaux. Il faut se dire qu’on va se donner les moyens de créer et de jouer coûte que coûte, même si on ne possède pas d’instruments traditionnels.

LLA : Donc l’idée et l’envie de travailler avec des nouveaux instruments, cela vient surtout du fait qu’il est impossible de s’en procurer à Kinshasa ?

Love :  C’était clairement ça oui. C’est trop compliqué d’avoir des instruments. Comme beaucoup de groupes à Kinshasa n’ont pas de moyens ni de producteurs, nous avons trouvé cette solution. Tout le monde a besoin de faire de la musique. On ne pouvait pas attendre.

Débruit: Il n’y a que les Églises qui peuvent louer les instruments parce qu’ils ont de l’argent (Rires). Pour louer par exemple tout un ensemble, basse, batterie avec les micros et compagnie c’est 600-700 dollars pour une journée. Pourtant la musique est vraiment partout.

Bom’s: C’est une ville très sonore. Partout quand tu te balades à Kinshasa, tu entends de la musique, des sons. Chaque commerçant a son propre bruit. Il a son rythme. On définit à l’oreille la distance où il se trouve. Nous, évidemment, ça nous inspire. On vit dans le rythme constant des bruits qui nous entourent.

Débruit: Les yeux fermés, on peut savoir où on est à Kinshasa. Par exemple le vendeur de vernis, il a son rythme. Il prend deux petits flacons et quand il passe dans la rue, il les fait tinter avec une rythmique qui est la sienne et cela donne un bruit très perçant. On ne peut pas le rater. On sait qu’il arrive. Parfois tu as une boîte de nuit en face d’une église évangélique. D’un côté on entend les chants traditionnels et, de l’autre, le coupé-décalé. Tout cela mélangé aux mégaphones qui passent des messages en boucle. Les vendeurs d’œufs même jouent avec des élastiques qui font un bruit très particulier. Alors, évidemment, c’est inspirant. Tout ceci est ancré dans l’essence-même de la ville.

RDC: KOKOKO!… Mais qui est là ?
Instrument construit par le collectif KOKOKO! avec du matériel de récupération.

LLA: Justement, avec toutes les nouvelles sonorités que vous proposez, vous avez été confrontés à des problèmes pour vous enregistrer et créer un album ?

Débruit: L’enregistrement c’était compliqué déjà car on n’avait pas de studio ni de matériel. Donc on a construit un espace dans un coin d’une grande pièce avec des matelas, des chiffons, des bouts de bois récupérés, des rideaux, etc. Je suis allé acheter des micros mais bon, ce sont des micros qui viennent de Chine. Tu peux prendre un rouge et deux bleus mais tu ne connais rien (rires). En même temps cela fait partie du projet. Chaque instrument a sa sonorité particulière donc il faut apprendre à enregistrer un instrument et à l’amplifier pour qu’on puisse entendre tout le monde. On a évidemment beaucoup travaillé là-dessus et quand on tout amplifié correctement, ça nous a donné l’énergie de nous accorder pour chacun ait sa place. Et c’est aussi une façon d’apprendre à se connaître.

LLA : Qu’est-ce qui vous inspire dans votre processus de création ?

Bom’s: L’inspiration, c’est vraiment l’esprit d’innovation. Quand on est dans un processus de création on a envie de commencer par créer du nouveau. Ce qui n’a pas encore été entendu, ni vu. Quelque chose que tu imagines et qui n’existe pas. Parfois je vois un objet et je me dis « Si je fais ce mouvement sur cet instrument, ça va faire sortir un son qui n’a pas encore écouté ».

Débruit : Didio, un des membres de Kokoko, commence parfois par une création visuelle. C’est-à-dire qu’il fait d’abord une sculpture et, après, il voit commence ça sonne. L’esthétique aussi c’est important. Une fois, il a fait un instrument incroyable, plus haut que moi ! Il l’a appelé « Jesus crise », en rapport à l’église évangélique car beaucoup de gens dépensent tout leur argent dans les églises. C’était donc une croix monumentale avec des cordes, on aurait dit une sculpture d’un musée. Ça faisait des gros sons avec des grosses cordes. Et ça lui était venu à l’esprit. Il avait vu ça, peut-être dans un rêve ou un songe, et il a eu envie de le construire. On a des enregistrements sur l’album mais après c’est évidemment difficile à déplacer (rires). Ça reste comme un totem pour nous. Finalement, ce qui est intéressant, c’est qu’on part de l’idée de créer un instrument mais après il faut apprendre à en jouer. Il n’y pas de règles. Tu peux être un bon guitariste mais si tu as créé quelque chose de totalement différent et bien tu es le seul à savoir l’utiliser. Et tu seras sûrement le meilleur vu que c’est toi qui l’as créé. Mais par contre, tu dois partir de zéro et rencontrer ton instrument.

LLA: Il y a des artistes qui vous ont inspiré dans votre processus de création ?

Love : Celui qui nous a inspiré par rapport à la création c’est Bebson de la rue car à l’époque on faisait partie du groupe. Il était notre leader et nous les musiciens. Il voulait absolument jouer et comme on n’avait pas les moyens, il a eu cette idée.

LLA : Vous-même, si vous deviez vous décrire musicalement parlant, vous me diriez quoi ?

Makara: On a mille influences. On passe du zagué au coupé-décalé et à la rumba. Des musiques du Nigéria ou d’Afrique du sud. C’est la force du KOKOKO finalement parce que on écoute de tout mais ce qu’on propose ne s’inscrit dans aucun style particulier.

Débruit: Ce qui est bien, c’est qu’on a notre propre énergie sans essayer de copier quelqu’un ou un style. Avec des références on devient rapidement une copie alors que là on se sent libre et on joue avec nos envies. On est plus dans l’instrumental mais les influences viennent de partout puisqu’on aborde même des sons de la rue ou des objets. Love, quand il va chercher des instruments, il prend son téléphone et avec les notes de clavier il analyse si la casserole choisie, par exemple, fait des sons justes. Et si elle sonne entre deux notes il ne la prend pas. Comme quoi le téléphone est utile pour autre chose (rires) ! Il faut se débrouiller, c’est comme ça. C’est le système K (référence au titre du film de Renaud Barret) !

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Image issue du film « Système K » de Renaud Barret

LLA: Comment votre musique elle a été reçue à Kinshasa ? Comment cela se passe-t-il aujourd’hui ?

Bom’s : Au début c’était un peu difficile (rires). Les gens nous voyaient récupérer les trucs par ci par là. Et se disaient mais qu’est-ce qu’il va faire avec ce truc-là ? Ça n’a pas été facilement accepté. On nous prenait pour des fous.

Love: Maintenant, c’est le contraire. Les gens gardent des choses exprès pour nous (rires). Ils ont compris !

LLA: Quelle est la place qu’on donne aux artistes à Kinshasa ? Comment êtes-vous reconnus en tant qu’artistes ?

Love: A Kinshasa, les artistes ont vraiment leur place. Surtout maintenant. Mais ce qui est inquiétant c’est que l’Etat ne prévoit vraiment rien pour les artistes.

LLA: On vous appelle parfois pour vous produire ?

Love: Non. Parce que personne n’a rien et il n’y a pas d’argent pour nous rémunérer ou payer une salle. Il y a donc des performances dans la rue, chez Makara et dans des centres culturels parfois.  C’est nous qui devons donner vie aux événements artistiques, finalement.

LLA: J’allais vous demander si vous percevez une forme d’engagement quelconque dans votre musique ?

Débruit : L’idée c’est de ne jamais renoncer.  Toujours aller de l’avant et peu importe si il n’y a pas le matériel. Quand l’esprit est décidé à aller de l’avant, il le fait. Après politiquement parlant, la situation était compliquée au Congo récemment. Je pense que le simple fait que les artistes soient obligés de créer leurs propres instruments soulignent directement l’existence d’un véritable problème. Mais il faut se bouger soi-même et y croire.

LLA : Avez-vous  l’impression qu’avec les récentes élections et la victoire de Tshisekedi il y a aura des changements significatifs pour les artistes ?

Love: Chez nous en lingala on dit : « Aza mutu ». C’est-à-dire c’est un homme, il vient d’être élu, on attend de voir. J’espère qu’il n’y aura aucun président qui fera les mêmes choses que les précédents. Tout le monde a envie de tourner la page.

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Photo Credit: Martin Gallone

LLA : Il y a l’air d’y avoir une vraie frénésie créative à Kinshasa. Pour vous, quelle en est la raison ?

Débruit: Je pense qu’il y a vraiment une énergie comme ça parce que les gens ont envie de s’exprimer de plein de manières différentes. L’art permet de s’exprimer sans trop s’attirer d’ennuis aussi (rires).

LLA: Quels sont les artistes à ne pas louper à Kinshasa ?

Love : Il y en a tellement. Eddy Etekete alias l’homme-canette qu’on vient de voir. Makoka, le chorégraphe de Makara.

LLA: Quels sont vos futurs projets ?

Débruit : On est toujours en train de terminer l’album. Il sortira en juin. On refera une tournée cet été et on ira aux États-Unis pour la première fois. Après, dans le futur, on aimerait beaucoup amener des danseurs et des performeurs avec nous sur scène pour avoir l’entièreté de la scène artistique de Kinshasa.  Si on peut se le permettre évidemment parce que c’est souvent compliqué d’obtenir les visas, etc. Mais il nous manque vraiment les danseurs car c’est l’ensemble qui crée la vraie alchimie kinoise.

LLA: Est-ce que vous sentez un accueil important sur la scène internationale de la diaspora congolaise ? Vous avez l’impression qu’elle préfère plutôt la musique traditionnelle comme la rumba ou qu’au contraire elle vous appuie et vous soutient ?

Débruit : Quand ils viennent à nos concerts ils sont plutôt fiers. C’est aussi ce que j’aime à Kinshasa, c’est que les gens excentriques sont respectés. On peut être différent et créer la différence dans la façon de marcher, de s’habiller, de s’exprimer ou de penser. Les Congolais sont prêts à entendre ce qu’on propose car, culturellement parlant, la différence et l’excentricité sont respectés. Ils n’ont pas besoin de connaître toute l’histoire de l’art pour apprécier ce qu’on propose comme performances. Les gens posent beaucoup de questions et souvent ce sont les questions les plus pertinentes.

LLA: Un dernier mot ou un message pour nos lecteurs congolais ?

Makara: Il faut qu’ils sachent que c’est pour eux et grâce à eux qu’on fait des concerts. C’est leur force et leur énergie qui nous animent.

Débruit : Comme le gouvernement ne soutient pas, il faut que la population le sache et prenne cette place-là.

Love: Que les congolais continuent à nous soutenir, nous et les autres artistes. Soyez avec nous, on a plein de choses à vous offrir ! Seuls les moyens manquent. Soutenez-nous et vous ne serez pas déçus. Il faut soutenir la créativité et être fier de ses artistes car ils créent du nouveau et ça voyage partout dans le monde pour représenter notre culture et notre pays.

Découvrez le groupe avec les images de Renaud Barret:

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Avec La Libre Afrique

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