Un mandat et demi après l’intronisation d’Alassane Dramane Ouattara (ADO), le bilan de l’ex-directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI) est pour le moins controversé

Un mandat et demi après l’intronisation d’Alassane Dramane Ouattara (ADO), le bilan de l’ex-directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI) est pour le moins controversé

Malgré l’amélioration sans cesse rappelée par le pouvoir ivoirien de nombreux indicateurs et indices, la Côte d’Ivoire n’a pas tourné la page de la décennie 2000.

Nécessaires après l’apathie politique de la « crise ivoirienne », les réformes engagées par Alassane Ouattara n’ont finalement pas touché les principaux enjeux nationaux.

Un mandat et demi après l’intronisation d’Alassane Dramane Ouattara (ADO), le bilan de l’ex-directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI) est pour le moins controversé. Puissance ouest-africaine, la Côte d’Ivoire avance inexorablement vers l’échéance de 2020 qui doit porter une cinquième personnalité à la tête du pays. Néanmoins, les situations géopolitique, politique, économique et sociale ivoiriennes n’incitent pas à un optimisme démesuré.

Entre justice à deux vitesses, mutineries, inégale redistribution des richesses, opacité, allégations de corruption et de détournement de fonds publics, exigences des classes populaires et moyennes auxquelles l’État peine à répondre, rivalités de pouvoirs au sein des partis politiques, attentat et atteintes à la souveraineté nationale, la Côte d’Ivoire ne semble pas avoir enterré ses vieux démons (1). Malgré de réelles avancées et des efforts portés sur les conditions de vie des Ivoiriens, le rêve de l’émergence prôné par la présidence depuis 2011 ne semble pas atteignable avant 2030. Pour parvenir à ce rattrapage économique qui ne doit pas oblitérer les volets social, éducatif et politique, encore faut-il que la « transition politique » de 2020 se réalise dans la transparence, une certaine équité électorale ainsi qu’un contexte non conflictuel.

La politique intérieure et ses enjeux

Malgré lui, ADO s’est laissé enfermer dans un exercice du pouvoir qui, à Abidjan plus qu’ailleurs compte tenu du contexte post-électoral de 2010-2011 (2), ne peut faire abstraction des rivalités politiques et de pratiques « politiciennes ». Ayant hérité d’un territoire, d’une économie et d’un climat socio-économique exsangues auxquels il a directement contribué durant la décennie précédente, à l’image de Guillaume Soro, Henri Konan Bédié ou Ibrahim Bacongo Cissé, en poste entre 2002 et 2010, le président ivoirien avait certes des circonstances atténuantes durant son premier mandat (2011-2015), mais n’aurait-il pas dû mieux faire sur le plan intérieur ?

Un déni de justice aux lourdes conséquences ?

Depuis 2011 et en dépit de discours convenus appelant à la réconciliation, ADO n’a pas fait montre des mansuétude et impartialité que la population ivoirienne attendait légitimement du nouvel homme fort du Plateau abidjanais. En favorisant l’extradition de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé vers la Cour pénale internationale (CPI), le pouvoir ivoirien a surtout donné les gages d’une « justice de vainqueur » qui a perduré jusqu’en 2015 lorsque, enfin, une vingtaine de pro-Ouattara ont été inculpés. Parmi eux, Chérif Ousmane et Losséni Fofana, deux anciens commandants autoproclamés (Comzones) de Bouaké et Man. Il n’empêche, sur les 200 personnes jugées ou en passe de l’être, seul un dixième est proche du pouvoir.

La justice – transitionnelle – ivoirienne semble ainsi avoir été inefficace pour certaines parties prenantes au conflit post-électoral, voire inféodée à l’exécutif. Cette impunité reste fortement ancrée dans les représentations populaires ivoiriennes et pourrait peser dans l’approche du scrutin présidentiel de 2020. D’autant plus que le chef de l’État et le gouvernement n’ont de cesse, rhétorique politique oblige, de porter des discours triomphalistes sur la situation socio-économique du pays. Cette communication déconnectée et a-territoriale pourrait finalement se retourner contre ceux qui ont participé à mettre en place le « système Ouattara ».

Le système Ouattara

Bien aidés par la double absence physique et politique des cadres d’un Front populaire ivoirien (FPI) amputé de son président Laurent Gbagbo, les leaders du Rassemblement des républicains (RDR) et subsidiairement du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) se sont accaparé les postes gouvernementaux ou tout poste considéré comme stratégique via des nominations complaisantes et le noyautage de l’État. Par exemple, malgré un premier mandat de six ans censé être non renouvelable, Youssouf Bakayoko a été reconduit à la présidence de la Commission électorale indépendante (CEI) qui a été discréditée par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).

De même, le Conseil constitutionnel est piloté par un proche d’ADO : Mamadou Koné, garde des Sceaux entre 2006 et 2010. Pour s’assurer de votes favorables, le gouvernement ivoirien a également redécoupé les cartes électorales. Par ailleurs, il n’est pas parvenu à dresser des listes électorales complètes et incontestables (3), a institué un Sénat dont le tiers des membres est nommé par la présidence, et n’a pas réussi à redynamiser une vie politique qui manque cruellement de renouvellement. La percée des « indépendants » et les boycotts du FPI incarnent alternativement la cristallisation et la morosité d’une politique ivoirienne vieillissante. Toutefois, le pouvoir sait aussi perdre, comme en attestent les défaites d’Amadou Soumahoro, ex-Secrétaire général du RDR perdant l’élection municipale de Séguéla en 2013, ou de Sara Fadiga Sako, ancienne vice-présidente de l’Assemblée nationale, à Touba, lors des législatives de 2016.

Outre le facteur électoral, le système Ouattara s’appuie avant tout sur une troïka resserrée (Téné Birahima Ouattara et Masséré Touré, frère et nièce d’ADO) qui pourrait engendrer le candidat à l’élection de 2020, soit Hamed Bakayoko, ex-ministre de l’Intérieur et désormais à la Défense, ou Amadou Gon Coulibaly, ancien Secrétaire général de la présidence devenu Premier ministre en 2017. Le mode de gouvernance familial et « clanique » n’est pas sans rappeler le régime de Félix Houphouët-Boigny, dont ADO fut le premier Premier ministre de 1990 à 1993.

Sans opposition véritable, le pouvoir ivoirien peut aisément dériver en verrouillant l’État, et en généralisant concussion, corruption et prédation. La longue histoire d’extraversion du territoire ivoirien, qui a engendré un pacte rentier entre élites internes et externes, semble ainsi se poursuivre en Côte d’Ivoire. Pour partie prédateur, l’État doit par ailleurs composer avec l’échec de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR).

Réconciliation, désarmement-réarmement

Dirigée par Charles Konan Banny, Premier ministre entre 2005 et 2007, la CDVR a manqué de légitimité et d’assise populaire pour espérer remplir le rôle qui lui fut assigné mi-2011. Coquille vidée de son sens, elle n’aura jamais su mobiliser les pro-Gbagbo qui conspuèrent la nomination de l’houphouétiste ayant mené campagne pour Ouattara à Yamoussoukro et Bouaké.

Les conclusions de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) ou de l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ) contredisent le consensuel rapport final de la CDVR qui, en décembre 2014, vante les « résultats » auxquels la CDVR serait parvenue. Les autorités ivoiriennes, conscientes du « malaise profond » perdurant sur leurs territoires, créèrent la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (CONARIV) en 2015.

Présidée jusqu’en avril 2017 par Mgr Paul Siméon Ahouana, elle a recensé 316 954 victimes qui pourraient être dédommagées par un fonds d’une quinzaine de millions d’euros prévu à cet effet. Les 557 101 rejets non justifiés et les accusations de malversations sont plusieurs griefs retenus par la Confédération des victimes de la crise ivoirienne (COVICI), pourtant proche du pouvoir. Cette réconciliation impossible pourrait par ailleurs être définitivement enterrée en cas de réarmement, le processus de désarmement n’ayant, en définitive, pas été correctement réalisé.

Par Regardsurlafrique Avec areion24.news – Xavier Aurégan



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