Nigeria : la corruption au coeur de la présidentielle
Nigeria : la corruption au coeur de la présidentielle

Les deux candidats à la présidentielle du Nigeria sont septuagénaires, Haoussas, musulmans, originaires du Nord et pourtant, ils ne pourraient pas être plus différents. L’ex-général Buhari, austère et pieux, affrontera le richissime ancien vice-président Atiku Abubakar, sur fond de lutte anti-corruption.

Muhammadu Buhari, 76 ans, avait été élu à la tête du Nigeria en 2015 sur la promesse d’éradiquer « ce cancer » qui gangrène le premier producteur de pétrole du continent africain.
Début janvier, le parrain de la politique nigériane Bola Tinubu a décrit le chef d’Etat comme un « homme honnête et droit ». « Laissez un Naira (monnaie locale) dans une pièce avec Buhari. Vous le trouverez encore sur la table à votre retour », a lancé l’ancien gouverneur de l’Etat de Lagos pour défendre son candidat.
Ironie du sort, il affrontera le 16 février, Atiku Abubakar, 72 ans, vice-président sous Olusegun Obasanjo, qui a la réputation d’être un des hommes politiques les plus corrompus du pays.
A la tête d’une richesse estimée à plusieurs centaines de millions de dollars, il est soupçonné d’avoir abusé de ses fonctions politiques entre 1999 et 2007 pour faire prospérer ses affaires, mais il n’a jamais été visé par une enquête au Nigeria.
« Je mets au défi toute personne, à n’importe quel moment, d’apporter une quelconque preuve de corruption contre ma personne », clame le candidat du Parti populaire démocratique. « Je vais surprendre tout le monde en combattant la corruption mieux que jamais ».
Aux Etats-Unis pourtant, une enquête du Sénat cite son nom dans une affaire de blanchiment d’argent. Entre 2000 et 2008, sa quatrième épouse, de nationalité américaine, aurait « aidé son mari à rapatrier plus de 40 millions de dollars de fonds suspects aux Etats-Unis via des comptes off-shores », peut-on lire dans un rapport de 2010.
Deux réformes essentielles
Le couple est accusé également d’avoir reçu plus de 2 millions de dollars de commission pour un contrat passé avec la multinationale Siemens, qui a depuis plaidé coupable dans cette affaire.
Mettant fin aux rumeurs assurant qu’il ne se rendait plus aux Etats-Unis pour cette raison, Atiku Abubakar a fait savoir jeudi soir qu’il était arrivé à Washington pour une tournée officielle.
Dans un entretien avec l’AFP, le candidat Abubakar a assuré qu’il ne garderait aucune part au sein de ses compagnies s’il était élu président. Une promesse qu’il sera cependant bien difficile de vérifier, tant son empire est gigantesque (télécommunications, transports, immobilier, agriculture, import/export, santé…) et le système économique nigérian opaque.
La sobriété de Buhari est aux antipodes de la flamboyance d’Atiku Abubakar, de son jet privé, de ses Rolex et voitures de luxe. Mais au terme de son premier mandat, la lutte menée contre la corruption est fortement critiquée.
Certes, son gouvernement a réussi à mettre en place deux réformes essentielles: un compte unique du trésor pour centraliser toutes les recettes publiques, ainsi qu’un assainissement du secteur bancaire grâce à un système biométrique d’identification pour mieux tracer les clients et les transferts de fonds, le Bank verification number.
« Sur ces deux points, je tire mon chapeau au gouvernement », note Saadatu Falila Hamu, avocate spécialisée basée à Abuja. « Mais pour le reste, la lutte anti-corruption est centrée sur les membres de l’opposition ».
Blocs pétroliers
« L’autre souci est que la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC) traduit en justice les accusés avant même d’avoir fait une enquête solide », affirme l’avocate, ce qui explique selon elle pourquoi si peu de procès ont abouti.
Début novembre, le directeur de l’EFCC, Ibrahim Magu, s’était félicité d’avoir saisi l’équivalent de 2,3 milliards de dollars, ainsi que des villas, bijoux, voitures…, souvent en dehors de toute procédure judiciaire.
Le chef d’Etat a promis également de revoir tous les contrats d’attribution des blocs pétroliers qui doivent être renouvelés après 2019: une promesse électorale qui pourrait « nettoyer le secteur, mais aussi entraîner un chaos total », dans un pays qui tire 70% de ses recettes de l’or noir, selon Soji Apampa, directeur du think-tank Integrity à Abuja.
Fin 2013, sous la présidence de Goodluck Jonathan, le président de la Banque Centrale avait affirmé qu’il manquait 20 milliards de dollars aux revenus de l’Etat. Ce scandale avait entraîné la chute de Jonathan et la victoire de Muhammadu Buhari en 2015.
Toutefois, la société nationale des hydrocarbures (NNPC), caisse noire des gouvernements successifs, est toujours aussi opaque, et l’ancien général a nommé l’un de ses proches à sa tête.
« Si on imagine que toutes les richesses du Nigeria circulent à travers un pipeline, et que ce pipeline est troué, ça ne sert à rien de mettre un agent de sécurité avec un fouet pour dissuader ceux qui viennent se servir », détaille Soji Apampa. « Il faut un vrai programme pour réparer ce pipeline. Et ça, aucun gouvernement dans l’histoire du Nigeria n’est parvenu à le trouver. »

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Avec La Libre Afrique

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